samedi 12 juillet 2008

Citation du jour

"Livré aux seuls gens normaux, le monde n'aurait pas un grand avenir. Cela devrait nous enseigner la tolérance et l'écoute la plus attentive à l'égard des excentriques de toute sorte, inestimables insensés, nos frères, nos semblables. Car c'est aussi par eux, qui se tiennent vaillamment sur les crêtes de la raison, que nous avons tous, peut-être, une chance d'atteindre un jour à l'essentiel".

Michel Braudeau, Six excentriques, Gallimard

Bon été à tous !

jeudi 3 juillet 2008

Ô poésie !

"Et je pourrais
Tout à l'heure, au sursaut du réveil brusque,
Dire ou tenter de dire le tumulte
Des griffes et des rires qui se heurtent
Avec l'avidité sans joie des vies primaires
Au rebord disloqué de la parole.
Je pourrais m'écrier que partout sur terre
Injustice et malheur ravagent le sens
Que l'esprit a rêvé de donner au monde,
En somme, me souvenir de ce qui est,
N'être que la lucidité qui désespère
Et, bien que soit retorse
Aux branches du jardin d'Armide la chimère
Qui leurre autant la raison que le rêve,
Abandonner les mots à qui rature,
Prose, par évidence de la matière,
L'offre de la beauté dans la vérité,

Mais il me semble aussi que n'est réelle
Que la voix qui espère, serait-elle 
Inconsciente des lois qui la dénient.
Réel, seul, le frémissement de la main qui touche
La promesse d'une autre, réelles, seules,
Ces barrières qui poussent dans la pénombre,
Le soir venant, d'un chemin de retour.
Je sais tout ce qu'il faut rayer du livre,
Un mot pourtant reste à brûler mes lèvres.

Ô poésie,
Je ne puis m'empêcher de te nommer
Par ton nom que l'on n'aime plus parmi ceux qui
errent
Aujourd'hui dans les ruines de la parole.
Je prends le risque de m'adresser à toi, directement,
Comme dans l'éloquence des époques
Où l'on plaçait, la veille des jours de fête,
Au plus haut des colonnes des grandes salles,
Des guirlandes de feuilles et de fruits.

Je le fais, confiant que la mémoire, 
Enseignant ses mots simples à ceux qui cherchent
A faire être le sens malgré l'énigme,
Leur fera déchiffrer, sur ses grandes pages,
Ton nom un et multiple, où brûleront 
En silence, un feu clair,
Les sarments de leurs doutes et de leurs peurs…
"Regardez, dira-t-elle, dans le seul livre
Qui s'écrive à travers les siècles, voyez croître
Les signes dans les images. Et les montagnes
Bleuir au loin, pour vous être une terre.
Ecoutez la musique qui élucide
De sa flûte savante au faîte des choses
Le son de la couleur dans ce qui est."

Ô poésie…"

(Yves Bonnefoy, Les planches courbes, Poésie/ Gallimard, 2001, p.p. 77-79)

 Nous sommes au téléphone depuis une dizaine de minutes, je ne suis pas du tout à l'aise : —Attends s’il te plaît, lui dis-je, donne-moi...