samedi 17 décembre 2022

Livre du jour : Un enfant voit un film, par Aimé Agnel

Je remercie Christiane Veschambre qui me fait découvrir le dernier livre d'Aimé Agnel, que je salue ici au passage. En guise de présentation en attendant d'en faire une recension, voici ce qu'on peut lire sur la quatrième de couverture :

Il ne s’agit pas de récit de « souvenirs » de cinéma, mais de l’expérience vivante du film tel qu’il est reçu par l’enfant, dans un temps où le cinéma est encore un art jeune, un art « surgissant ». Il ne s’agit pas plus, dans ces textes, de « raconter » le film, mais de le décrire tel que le découvre l’enfant et ce qu’il fait vivre en lui : les émotions, si profondes que l’adulte revoyant le film les éprouve, étonnamment identiques, aux mêmes moments. Car l’adulte qui écrit ici ne surplombe pas l’enfant.

Parmi de nombreuses activités liées au cinéma, à la psychanalyse ou au son, Aimé Agnel fut entre autres professeur à l’IDHEC, chargé de cours à l’Université de Vincennes (Département Cinéma), monteur son de Le moindre geste de Fernand Deligny et Jean-Pierre Daniel et La Storia de Sergio Castilla, acteur dans L’Aquarium et la Nation de Jean-Marie Straub... Il a notamment publié L’Homme au tablier, le jeu des contraires dans les films de Ford et Hitchcock et l’ennui, une psychologie à l’œuvre.

Aimé Agnel, Un enfant voit un film, Editions de l'Œil, 2022


 


mercredi 14 décembre 2022

Citation du jour

 "Le contact réciproque entre deux chairs est comme le prolongement du lien instauré par les visages. En effet, je ne touche jamais un autre-objet: le frôlement de deux épidermes est déjà contact réciproque, je touche un autre qui est touché par le fait même que je le touche, comme je suis touché par lui au même instant. Cette réciprocité du contact ne se retrouve avec aucun objet du monde. Deux chairs ne deviennent chairs l'une pour l'autre que dans le contact réciproque, comme deux visages ne prennent visage qu'à se considérer mutuellement. Toucher autrui, c'est toujours nécessairement éprouver cette réciprocité, qui ne signifie jamais une "fusion" de ma chair avec la sienne, c'est vibrer à l'unisson de sa chair en prenant chair moi-même pour lui. Le contact a ainsi la faculté de nous mettre en prise immédiate avec l'existence même de l'autre, il est dialogue charnel entre deux existences."

Claude Romano, Le chant de la vie. Phénoménologie de Faulkner, Gallimard, 2005, p.244

vendredi 7 octobre 2022

Qu'appelle-t-on penser ?

"Désormais tout fait ombre, car c'est le jour. L'aube obscure est en effet sans ombre, et le jour éclatant couche la terre sous les ombres. C'est le commencement de notre histoire, histoire de la caverne du Soleil, boule d'énigme qui accapare la lumière. Mais ce n'est pas encore le moment de penser à nous ; c'est seulement le moment d'apprendre à penser la rive grecque.

Ce qui "manque" à la première pensée grecque, ou plus exactement l'Impensé de cette Pensée, est précisément qu'elle ignore cette obscurité qui ne s'allonge sur la terre qu'au fur et à mesure que dans le ciel se lève le soleil. Sans doute même faut-il dire autrement. "Ignore cette obscurité" ne saurait être absolu : il n'y aurait pas alors de pensée. Il est seulement vrai de dire que l'ébranlement même de la première pensée consiste à pressentir, et même à faire venir, à "appeler" ce lever du jour qui fait du monde une caverne."

Martin Heidegger, Qu'appelle-t-on penser ? Puf, 2ème édition Quadrige 1999, p.9

mardi 9 août 2022

Fiche de lecture

Je lis, je reprends plutôt une lecture interrompue il y a quelques années pour des raisons qui n'ont rien à voir avec le livre. Ce livre, Moi, Monde, Mots, du regretté François Gantheret (1), psychanalyste et écrivain — d'après une modeste fiche de lecture glissée dans le livre — m'avait beaucoup impressionné. Je ne résiste pas à l'envie de partager ce qui alors m'avait énormément touché. Ce qui suit est donc une copie exacte de ladite fiche.

Je suis d'emblée sensible, en lisant Gantheret, au rapport entre la poésie et la psychanalyse, l'auteur le nomme en citant une lettre de Lou "l'écriture de l'âme". Plusieurs écrivains sont convoqués, bien sûr. Le cas de Rilke me fascine en même temps que l'importance de Lou Andréas Salomé dans la vie et la carrière du poète.

En 1911, "Rilke vient d'achever Les cahiers de Malte…; et cet achèvement est un acte auquel il ne survit que dans le plus grand désarroi." Gantheret relève "les indices, les signes de cette crise", à travers la correspondance de Rilke : d'abord à Lily Kanitz Menar, cette lettre datée du 7 septembre 1911 :

"En ce qui me concerne, je respire, chaque fois que je pense que ce livre est là, il devait être là, c'était pour moi une obligation indicible, je n'avais pas le choix. Mais à présent, je me sens un peu comme Raskolnikov après son acte, je ne sais pas du tout ce qui doit venir, et je frémis même un peu quand je réfléchis que j'ai écris ce livre ; avec quelle force, je me le demande, de quel droit, en viendrais-je presque à me demander."

Même questionnement dans sa lettre du 28 décembre 1911, adressée à Lou :

"Peux-tu comprendre qu'avec ce livre, je me suis fait l'effet d'un survivant, livré au désarroi le plus profond, désœuvré, incapable d'œuvrer jamais plus ?"

Dans ces moments où le poète est sans ressource, usé par l'écriture du livre enfin achevé, Rilke pense entrer en analyse, pour mettre fin pense-t-il à ses tourments. Mais c'est sans compter avec la puissance mystérieuse de l'acte d'écrire. En effet, au moment même où il croit sombrer, Rilke continue à écrire. De Duino, où il séjourne depuis un mois et d'où il écrit à ses amis son désarroi, Rilke, commente Gantheret, "a commencé à écrire les deux premières Elégies, où il a déjà écrit les vers le plus célèbres qui ouvrent la première." En effet :

"Qui donc dans les ordres des anges

M'entendrait si je criais ? 

Et même si l'un d'eux soudain

 Me prenait sur son cœur ; 

De son existence plus forte je périrais. 

Car le beau n'est que le commencement du terrible

 Ce que tout juste nous pouvons supporter (…)"

Commentaire de Gantheret : "Déjà, alors que Rilke désemparé vacille, la vague profonde de l'écriture le dépasse, ramasse les enjeux de la souffrance, et le poème se déploie. Faut-il alors s'étonner que le recours, auquel à ce moment-là il songe, à la psychanalyse tourne court ?"

Le travail d'écriture ici fonctionne, agit comme un "autotraitement" analogue à l'analyse. Lou n'est pas étrangère à cette prise de conscience chez Rilke. Disciple et amie privilégiée de Freud, elle devine la première que ce qui est en jeu dans le désarroi du poète "c'est d'écriture qu'il s'agit, d'écriture de l'âme, de ce qui infecte l'âme et la tourmente." Elle en convaincra le poète qui de lui-même, en janvier 1912, conclut :

"—Je sais désormais que l'analyse n'aurait de sens pour moi que si je prenais vraiment au sérieux l'étrange arrière-pensée de ne plus écrire que je faisais miroiter à mes yeux comme une espèce de soulagement pendant l'achèvement du Malte."

Gantheret, plus loin, après avoir indiqué l'enjeu de l'un des thèmes majeurs au sein du mouvement psychanalytique naissant, à savoir le lien entre narcissisme et création artistique, s'interroge : 

"Pourquoi l'intérêt porté, au sujet du narcissisme, à la création artistique et littéraire en particulier ? Parce que le créateur pose une énigme singulière pour la théorie. Entre le névrosé qui tient compte de la réalité extérieure, et tente de gérer le conflit "à l'intérieur" de lui-même, et le psychotique  qui installe, par retrait, un monde intérieur de "toute-puissance des pensées", quitte à se trouver coupé de la réalité, quitte à transformer celle-ci par le délire de l'hallucination, le créateur a une place particulière : il transforme la réalité, dans ses œuvres, selon ses désirs, et sans que cela éveille apparemment de conflit ; bien plus, il fait partager la jouissance de cette réalisation de désir à ses lecteurs, auditeurs ou spectateurs, contrairement au psychotique dont le délire reste purement solipsiste."

Voilà, ma fiche de lecture s'arrête ici. Y aura-t-il une suite maintenant que je me suis remis au livre ?

(1) François Gantheret, Moi, Monde, Mots, Gallimard, Collection Connaissance de l'inconscient, 1996

Du même auteur, j'ai lu, ri, pleuré, et adoré Libido Omnibus et autres nouvelles du divan, Gallimard 2001

dimanche 12 juin 2022

Citation du jour

 « Marcher sans perdre sa direction : au cœur de l’incontournable !

Martin Heidegger, Réflexions II - VI Cahiers Noirs (1931-1938), p.48

mardi 3 mai 2022

Rêve ou réalité ?

Tout ce qui me reste comme souvenir de cette étrange rencontre c'est une trace…de dialogue, que j’essaie de restituer ici de mémoire.

Une figure féminine. Voix douce mais ferme 

- On se connaît à peine, mais tu n'a pas arrêté de dire "c'est ceci/ce n'est pas ceci"

- Pour toi, il n' y a pas de disjonction…

- En affirmant ou en infirmant, tu ne questionnes pas, tu t'immobilises, et s’éloigne en même temps toute promesse de rencontre entre nous…

- Tu voudrais que je questionne sans avoir jamais parlé ?

- Tu peux parler bien sûr, mais sans que tu t'attaches…

- Sans que je m'attache à quoi, à qui ?

Pour toute réponse, elle se leva, me fit un signe de la main, que j'interprétai après coup comme la seule trace sensible de notre brève et évanescente rencontre !

C'était un 1er mai

 "Il y a le destin, et tout ce qui ne tremble pas en lui n'est pas solide

(Vladimir Holan)

C'était un 1er mai

deux décennies 

déjà

sur le quai en larmes

avec les deux petites

nous suivions tordus de douleur

le train invisible t'emporter 

vers un ailleurs

de nous inconnu et suspect

mais dont tu nous disais 

qu'il était étoilé et que tu étais attendue

tu le disais sans emphase

pas pour nous consoler

mais peut-être juste nous donner 

à sentir l'invisible

tu es partie donc un 1er mai

non sans nous avoir dit

au revoir 

tendrement

profondément 

comme un gage que nos cœurs gelés

du moment par l'amour perdu

se remettront à nouveau

un jour à battre le rythme de la vie

dans tout le corps

 à aimer surtout.

merci à toi pour toujours

pour tant d'amour

au nom de nous trois

nous t'aimons

mardi 29 mars 2022

La déclaration

La porte est entrouverte, elle hésite un instant puis appuie sur la sonnette.

—Entre, lui crie une voix de l’intérieur

Accoudé sur son bureau, il donne à voir un visage contrarié.

— Qu’est-ce qu’il t’arrive ?

Ses yeux se ferment. Cueilli par l’émotion, il y a comme un nœud dans sa gorge.

—Mais enfin, qu’est-ce que tu as ? Sans attendre la réponse, lentement, elle lui passe la main sur le front. Qu’est-ce qu’il est brûlant ! Tu es malade ?

Ses yeux s’ouvrent, humides. Il contemple le visage de la femme comme s’il la voyait pour la première fois.

—Je ne sais pas ce qui m’arrive, mais je ne suis pas malade, rassure-toi. J’ai juste mal…à l’écriture !

—?!…

— Je ne sais comment t’expliquer, c’est assez compliqué, même pour moi.

—Entendu, prends ton temps.

—Il s’agit de l’écriture…

—Oui, ça j’ai bien compris, mais c’est le mal qu’elle te fait que je ne saisis pas

—qu’elle me donne…

—Pardon ?

—Ecrire ne me fait pas mal, bien au contraire. Mais, je n’arrive pas à faire corps avec, il y a pourtant quelque chose à l’intérieur de moi, que je veux faire exister, c’est-à-dire mettre au dehors, l’offrir…, mais ça résiste et je cours après, comme un amoureux éconduit. En réalité,  je fais du sur-place, je sature, rature, et recommence, encore et encore sans jamais pouvoir dire ce qui est. Impression désagréable de répéter toujours le même scénario.

—A t’entendre, c’est comme si tu cherchais une bonne idée et une façon élégante de l’exprimer, et tu te trouves soudain confronté à un autre impératif : ton outil, je veux dire le langage, lui, veut parler d’autre chose que de lui-même.

Il la regarde, ébloui par ce qu’elle vient de dire.

—Mais tu es un génie, ma parole ! Ainsi, pour pouvoir faire corps avec ce qui pousse à l’intérieur de moi, je dois renoncer à vouloir « dire » ou faire « beau », le langage doit, ici, en quelque sorte renoncer à lui-même, se faire oublier, faire le mort afin de laisser advenir ce qui est déjà là.

—Exactement, par ce renoncement consenti comme une ascèse tu pourras mieux exprimer, paradoxalement, ce que tu as à dire, c’est-à-dire donner à voir et à entendre autre chose qu’un simple jeu de langage. Mais, au fait, que cherches-tu à dire au point de t’émouvoir à ce point ?

Il est surpris par la question. Peut-être la redoutait-il ? Une chose est sûre, la spontanéité n’est pas son fort. Il réalise soudain ce que veut dire s’apparaître à l’occasion de l’autre.

—Ta question me ramène à ce que je cherche à fuir, mais je sens en même temps le soulagement que cela me procurerait à le dire. Car, c’est ce que je cherche désespérément à écrire, à t’écrire !

—Quoi donc ?

—Je t’aime !

samedi 26 mars 2022

Se laisser porter par le chemin

 Sais-tu quoi ?

Non.

Gravis-la.

Quoi donc ?

La montagne.

Tu veux dire ma montagne ? Je ne peux pas.

Justement. Tu renonces parce que tu veux la porter.

Quoi faire d’autre ?

Gravis-la sans travail.

Tu veux dire me laisser porter par le chemin ?

Que ressens-tu en disant cela ?

Je me sens tout léger, comme déchargé d'un poids.

dimanche 13 mars 2022

Ne faisons-nous pas fausse route en cherchant absolument la tranquillité ?

 "Un jour qu'il traversait le fleuve, le "souci" vit de la terre glaise : il en prit en songeant un morceau et se mit à le modeler. Tandis qu'il est tout à la pensée de ce qu'il avait créé, survient Jupiter. Le "souci" le prie d'insuffler l'esprit au morceau de glaise ainsi modelé. Jupiter l'accorde volontiers. Mais le "souci" voulant alors attribuer son nom à la statue, Jupiter s'y opposa et réclama qu'elle portât le sien. Tandis que le "souci" et Jupiter se disputaient pour le nom, la Terre (Tellus) se souleva à son tour et exprima le désir que la statue reçoive son nom :c'est quand même elle qui l'avait dotée d'une part de son corps. Les parties en présence en appelèrent à l'arbitrage de Saturne. Et Saturne rendit la décision suivante qui leur sembla équitable : "Toi, Jupiter, puisque tu lui as donné l'esprit, c'est l'esprit que tu auras à sa mort, toi, la Terre, puisque tu lui as donné corps, c'est le corps que tu recevras. Mais parce que le "souci" a tout d'abord modelé cet être, qu'il le possède tant qu'il sera en vie. Quant au nom, puisque c'est pour lui qu'il y a litige, qu'il s'appelle "homo" car il a été fait avec de l'humus (terre)".


Fable attribuée au poète, théologien et philosophe allemand Johann Gottfried von Herder (1744-1803)

Reprise par Heidegger dans Etre et Temps, Gallimard, 1986, p. 248 

Citation du jour

 "Là où est le péril, croît aussi ce qui sauve."

Friedrich Hölderlin 

dimanche 13 février 2022

Citation du jour

"Les décisions les plus difficiles à prendre sont celles qui vous présentent des chemins au bout desquels vous ne serez plus la même personne…
Tout au long de votre vie, vous aurez des choix à faire qui vous mèneront sur le chemin de la paix intérieure ou celui de la destruction de vous-même.
Ecoutez-vous, écoutez cette petite voix intérieure qui vous murmure que les seules bonnes décisions sont celles qui se trouvent hors du mensonge que vous pouvez vous faire à vous-même et aux autres.
Visez la vérité, l'intégrité et l'authenticité. Cela peut demander beaucoup de travail sur soi, de discipline, de courage mais surtout d'amour de soi.
Regardez-vous avec amour et écoutez ce dont votre âme a réellement besoin…"

Nelson Mandela

Tranquilité

 "Une histoire nous est-elle encore destinée à l'avenir, chose tout autre que ce qui semble être tenu pour telle à présent : la mor...