mardi 29 mars 2022

La déclaration

La porte est entrouverte, elle hésite un instant puis appuie sur la sonnette.

—Entre, lui crie une voix de l’intérieur

Accoudé sur son bureau, il donne à voir un visage contrarié.

— Qu’est-ce qu’il t’arrive ?

Ses yeux se ferment. Cueilli par l’émotion, il y a comme un nœud dans sa gorge.

—Mais enfin, qu’est-ce que tu as ? Sans attendre la réponse, lentement, elle lui passe la main sur le front. Qu’est-ce qu’il est brûlant ! Tu es malade ?

Ses yeux s’ouvrent, humides. Il contemple le visage de la femme comme s’il la voyait pour la première fois.

—Je ne sais pas ce qui m’arrive, mais je ne suis pas malade, rassure-toi. J’ai juste mal…à l’écriture !

—?!…

— Je ne sais comment t’expliquer, c’est assez compliqué, même pour moi.

—Entendu, prends ton temps.

—Il s’agit de l’écriture…

—Oui, ça j’ai bien compris, mais c’est le mal qu’elle te fait que je ne saisis pas

—qu’elle me donne…

—Pardon ?

—Ecrire ne me fait pas mal, bien au contraire. Mais, je n’arrive pas à faire corps avec, il y a pourtant quelque chose à l’intérieur de moi, que je veux faire exister, c’est-à-dire mettre au dehors, l’offrir…, mais ça résiste et je cours après, comme un amoureux éconduit. En réalité,  je fais du sur-place, je sature, rature, et recommence, encore et encore sans jamais pouvoir dire ce qui est. Impression désagréable de répéter toujours le même scénario.

—A t’entendre, c’est comme si tu cherchais une bonne idée et une façon élégante de l’exprimer, et tu te trouves soudain confronté à un autre impératif : ton outil, je veux dire le langage, lui, veut parler d’autre chose que de lui-même.

Il la regarde, ébloui par ce qu’elle vient de dire.

—Mais tu es un génie, ma parole ! Ainsi, pour pouvoir faire corps avec ce qui pousse à l’intérieur de moi, je dois renoncer à vouloir « dire » ou faire « beau », le langage doit, ici, en quelque sorte renoncer à lui-même, se faire oublier, faire le mort afin de laisser advenir ce qui est déjà là.

—Exactement, par ce renoncement consenti comme une ascèse tu pourras mieux exprimer, paradoxalement, ce que tu as à dire, c’est-à-dire donner à voir et à entendre autre chose qu’un simple jeu de langage. Mais, au fait, que cherches-tu à dire au point de t’émouvoir à ce point ?

Il est surpris par la question. Peut-être la redoutait-il ? Une chose est sûre, la spontanéité n’est pas son fort. Il réalise soudain ce que veut dire s’apparaître à l’occasion de l’autre.

—Ta question me ramène à ce que je cherche à fuir, mais je sens en même temps le soulagement que cela me procurerait à le dire. Car, c’est ce que je cherche désespérément à écrire, à t’écrire !

—Quoi donc ?

—Je t’aime !

samedi 26 mars 2022

Se laisser porter par le chemin

 Sais-tu quoi ?

Non.

Gravis-la.

Quoi donc ?

La montagne.

Tu veux dire ma montagne ? Je ne peux pas.

Justement. Tu renonces parce que tu veux la porter.

Quoi faire d’autre ?

Gravis-la sans travail.

Tu veux dire me laisser porter par le chemin ?

Que ressens-tu en disant cela ?

Je me sens tout léger, comme déchargé d'un poids.

dimanche 13 mars 2022

Ne faisons-nous pas fausse route en cherchant absolument la tranquillité ?

 "Un jour qu'il traversait le fleuve, le "souci" vit de la terre glaise : il en prit en songeant un morceau et se mit à le modeler. Tandis qu'il est tout à la pensée de ce qu'il avait créé, survient Jupiter. Le "souci" le prie d'insuffler l'esprit au morceau de glaise ainsi modelé. Jupiter l'accorde volontiers. Mais le "souci" voulant alors attribuer son nom à la statue, Jupiter s'y opposa et réclama qu'elle portât le sien. Tandis que le "souci" et Jupiter se disputaient pour le nom, la Terre (Tellus) se souleva à son tour et exprima le désir que la statue reçoive son nom :c'est quand même elle qui l'avait dotée d'une part de son corps. Les parties en présence en appelèrent à l'arbitrage de Saturne. Et Saturne rendit la décision suivante qui leur sembla équitable : "Toi, Jupiter, puisque tu lui as donné l'esprit, c'est l'esprit que tu auras à sa mort, toi, la Terre, puisque tu lui as donné corps, c'est le corps que tu recevras. Mais parce que le "souci" a tout d'abord modelé cet être, qu'il le possède tant qu'il sera en vie. Quant au nom, puisque c'est pour lui qu'il y a litige, qu'il s'appelle "homo" car il a été fait avec de l'humus (terre)".


Fable attribuée au poète, théologien et philosophe allemand Johann Gottfried von Herder (1744-1803)

Reprise par Heidegger dans Etre et Temps, Gallimard, 1986, p. 248 

Citation du jour

 "Là où est le péril, croît aussi ce qui sauve."

Friedrich Hölderlin 

Tranquilité

 "Une histoire nous est-elle encore destinée à l'avenir, chose tout autre que ce qui semble être tenu pour telle à présent : la mor...