mercredi 6 novembre 2024

 Nous sommes au téléphone depuis une dizaine de minutes, je ne suis pas du tout à l'aise :

—Attends s’il te plaît, lui dis-je, donne-moi encore un peu de temps …

Elle : tu veux dire du temps à perdre ?

Moi : comment ça du temps à perdre ? J’ai simplement besoin de réfléchir, tu peux comprendre ça ?

Elle : Non, pas du tout. Parce que ce n'est pas la première fois que tu me le demandes, pour moi c’est du temps gaspillé…

Moi : !?…

Elle (imperturbable) :Voilà, comme à ton habitude, tu ne dis plus rien dès qu'on te fait des objections…, tu fais semblant d'ignorer que le temps dont nous disposons dure autant que celui qui n’est pas gaspillé.

Moi (perplexe et inquiet) : tu veux dire qu’on n’a pas beaucoup de temps, et que le reste …

Elle (victorieuse) : …le reste est perdu, il est sans importance ! Nous n'avons que ce temps… Je t’aime, c'est certain et c'est maintenant, et je sais que tu m’aimes, tu me le répètes depuis des mois "je t'aime, je t'aime", alors qu’as-tu besoin de réfléchir encore et encore ?

Moi (par devers moi) : c’est vrai, ce qu'elle dit, , mais de là à prendre un engagement…!

Elle : Allô, à quoi penses-tu ? Attends, je crois lire dans tes pensées, toujours les mêmes, n'est-ce pas ? Tu te demandes, en gros, comment accepter d'être heureux ici, maintenant, alors qu'il y a tant de souffrances autour de nous, tant d'incertitudes, tant d'inquiétudes…

Moi : Pas toi, peut-être ?

Elle : Bien sûr que si, comme tout le monde, tu le sais bien, je suis terriblement concernée par l'actualité de plus en plus anxiogène, instantanément relayée en continu dans les médias et sur les réseaux sociaux ; je me sens solidaire de celles et ceux qui fuient leurs pays pour cause de guerre ou de la misère, je suis, comme toi, consternée par le climat de violence qui règne un peu partout, inquiète pour la sauvegarde et la survie de notre écosystème en sursis, avec ses effets dévastateurs immédiats ici et là ! 

Quant aux élections incertaines aux Etats-Unis… 

Mais, dois-je pour autant désespérer et renoncer à tout désir, au bonheur (même relatif) de vivre avec quelqu'un qui dit m'aimer ?

Moi : …!

Elle : Allô ! que fais-tu ? je ne t'entends plus…

Moi : Je réfléchis !

Post-scruptum du narrateur/rêveur (?) : toute ressemblance avec des personnages existants et connus du lecteur ou lectrice des lignes ci-dessus, serait purement fortuite. Pour sa part, l'auteur présumé de ce laïus préfère méditer ces mots de Carmen Sylva (1843-1916) :

"Le bonheur ne se trouve pas toujours dans un ciel éternellement bleu, mais aussi dans les choses les plus simples de la vie."

Bonne soirée ou bonne journée, selon que vous vous couchez ou vous vous réveillez


dimanche 27 août 2023

Tranquilité

 "Une histoire nous est-elle encore destinée à l'avenir, chose tout autre que ce qui semble être tenu pour telle à présent : la morne traque interminable d'activités s'annulant elle-mêmes au fur et à mesure, auquel seul un bruyant tapage assure un semblant de consistance ?"

Martin Heidegger, Apports à la philosophie. De l'avenante. Gallimard, 2013, p.53

dimanche 2 juillet 2023

Citation du jour

 « Toute espèce de polémique compromet par avance la tenue de la pensée. Le rôle de contradicteur n’est pas le rôle de la pensée. Car la pensée ne pense que lorsqu’elle s’attache à ce qui parle pour une chose. Toute parole de défense n’a jamais ici que le sens d’une protection de cette chose. »

Martin Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ? Puf, 1999, p.87

jeudi 5 janvier 2023

Chercher

chercher

réaliser 

Qu’on n’y est pas 

persévérer 

s’égarer 

chuter 

chimères, doutes…

Retour en arrière 

toujours en chemin 

chercher

méditer 

l’âme ne trouve l’apaisement que quand le souffle se dilate et embrasse l’instantané de l’inattendu, l’insaisissable présence 

extase 

devant l’apparition de ce qui se montre à même lui-même tout en restant en retrait 

chercher chercher encore

chercher ce qui se dérobe et qui est déjà là 

À la fois loin et proche

Intime et étranger 

(Je) cherche (me)

samedi 17 décembre 2022

Livre du jour : Un enfant voit un film, par Aimé Agnel

Je remercie Christiane Veschambre qui me fait découvrir le dernier livre d'Aimé Agnel, que je salue ici au passage. En guise de présentation en attendant d'en faire une recension, voici ce qu'on peut lire sur la quatrième de couverture :

Il ne s’agit pas de récit de « souvenirs » de cinéma, mais de l’expérience vivante du film tel qu’il est reçu par l’enfant, dans un temps où le cinéma est encore un art jeune, un art « surgissant ». Il ne s’agit pas plus, dans ces textes, de « raconter » le film, mais de le décrire tel que le découvre l’enfant et ce qu’il fait vivre en lui : les émotions, si profondes que l’adulte revoyant le film les éprouve, étonnamment identiques, aux mêmes moments. Car l’adulte qui écrit ici ne surplombe pas l’enfant.

Parmi de nombreuses activités liées au cinéma, à la psychanalyse ou au son, Aimé Agnel fut entre autres professeur à l’IDHEC, chargé de cours à l’Université de Vincennes (Département Cinéma), monteur son de Le moindre geste de Fernand Deligny et Jean-Pierre Daniel et La Storia de Sergio Castilla, acteur dans L’Aquarium et la Nation de Jean-Marie Straub... Il a notamment publié L’Homme au tablier, le jeu des contraires dans les films de Ford et Hitchcock et l’ennui, une psychologie à l’œuvre.

Aimé Agnel, Un enfant voit un film, Editions de l'Œil, 2022


 


mercredi 14 décembre 2022

Citation du jour

 "Le contact réciproque entre deux chairs est comme le prolongement du lien instauré par les visages. En effet, je ne touche jamais un autre-objet: le frôlement de deux épidermes est déjà contact réciproque, je touche un autre qui est touché par le fait même que je le touche, comme je suis touché par lui au même instant. Cette réciprocité du contact ne se retrouve avec aucun objet du monde. Deux chairs ne deviennent chairs l'une pour l'autre que dans le contact réciproque, comme deux visages ne prennent visage qu'à se considérer mutuellement. Toucher autrui, c'est toujours nécessairement éprouver cette réciprocité, qui ne signifie jamais une "fusion" de ma chair avec la sienne, c'est vibrer à l'unisson de sa chair en prenant chair moi-même pour lui. Le contact a ainsi la faculté de nous mettre en prise immédiate avec l'existence même de l'autre, il est dialogue charnel entre deux existences."

Claude Romano, Le chant de la vie. Phénoménologie de Faulkner, Gallimard, 2005, p.244

vendredi 7 octobre 2022

Qu'appelle-t-on penser ?

"Désormais tout fait ombre, car c'est le jour. L'aube obscure est en effet sans ombre, et le jour éclatant couche la terre sous les ombres. C'est le commencement de notre histoire, histoire de la caverne du Soleil, boule d'énigme qui accapare la lumière. Mais ce n'est pas encore le moment de penser à nous ; c'est seulement le moment d'apprendre à penser la rive grecque.

Ce qui "manque" à la première pensée grecque, ou plus exactement l'Impensé de cette Pensée, est précisément qu'elle ignore cette obscurité qui ne s'allonge sur la terre qu'au fur et à mesure que dans le ciel se lève le soleil. Sans doute même faut-il dire autrement. "Ignore cette obscurité" ne saurait être absolu : il n'y aurait pas alors de pensée. Il est seulement vrai de dire que l'ébranlement même de la première pensée consiste à pressentir, et même à faire venir, à "appeler" ce lever du jour qui fait du monde une caverne."

Martin Heidegger, Qu'appelle-t-on penser ? Puf, 2ème édition Quadrige 1999, p.9

 Nous sommes au téléphone depuis une dizaine de minutes, je ne suis pas du tout à l'aise : —Attends s’il te plaît, lui dis-je, donne-moi...