mercredi 31 décembre 2008

dimanche 14 décembre 2008

La Tour de Babel

Préambule:
Nous sommes le 21 octobre 2008.

Il est bientôt minuit. Je viens de lire l'ordre du jour de la pastorale pour demain matin. J'avais oublié que c'est mon tour de conduire la méditation!
Panique à bord. 
"D'où me viendra le secours?", murmurai-je, en pensant à la phrase célèbre du psalmiste.
Le secours me vient, instantanément, de mon blog : en effet, j'ai tout de suite pensé à Babel, un texte écrit quelques semaines plus tôt en référence à une phrase de Baudelaire à propos de la "parole confuse".

Le 22 octobre 2008. Jour J, donc, comme on dit.

Je m'amène avec mon papier et je lis Genèse 11, 1-9. Puis je livre ce qui est censé être un commentaire. Peu d'échos. Quelques regards que j'interprète comme des signes d'acquiescement. Acquiescement à quoi, au juste ? 
Cependant, un ou deux jours après, je reçois un mail de M.H., qui m'oblige à relire Genèse 11 et à remanier mon texte.
Je vous le livre, toujours imparfait. Il n'annule pas le précédent, mais ce n'est pas tout à fait le même texte.

BABEL

Je cite : "La terre entière se servait de la même langue et des mêmes mots. Or en se déplaçant vers l'Orient, les hommes découvrirent une plaine dans le pays de Shinéar et y habitèrent".

Tout est dit. Une langue unique. La terre entière rassemblée comme un seul peuple. Tout est dit, en quelques mots. Tout est là. La suite ne fera que reprendre ce qui est inscrit en filigrane, déjà, dans ces premiers mots. 
D'abord nomades, sans domicile fixe, les hommes finissent par investir un lieu où ils s'installent. La crevasse qu'ils viennent de découvrir va devenir désormais leur lieu d'habitation. Ainsi, de commencement en commencement, au fil des siècles, l'homme n'en finira plus de reproduire cette scène primitive de la "colonisation" des espaces.
Installés, ils vont faire de ce lieu un antre. Ils ne partiront pour l'ailleurs que contraints. Toute immigration serait-elle contrainte?

"Les hommes découvrirent une plaine dans le pays de Shinéar et y habitèrent".  

Et à partir de cette crevasse, ils décident de bâtir une Tour "dont le sommet touche le ciel". 
La conquête de l'espace n'est plus un postulat, c'est un acte fondateur dont la date de naissance est antérieure à la construction même de la Tour . On peut lire dans ce sens l'uniformité de la langue et l'unité revendiquée comme un processus consensuel, nécessaire pour la mise en œuvre finale de ce projet qu'on dirait sorti des studios hollywoodiens: l'ascension et la maîtrise  du ciel…

A force de s'immobiliser dans un parler commun, la tête nous tourne, les muscles peu à peu se raidissent. Bientôt la paralysie de l'esprit de responsabilité et de la créativité. Il faut faire quelque chose et vite, sinon c'est l'atrophie, la mort certaine!
Alors, on cherche. Comme la terre semble limitée dans ses offres, on lève les yeux. Pourquoi pas ? Mais une Tour "dont le sommet touche le ciel", est-ce bien raisonnable ?
Qu'est-ce que c'est que ce phallus terrien qui s'érige ainsi dans le vide ? Symbole de la jouissance de soi ? La jouissance d'un peuple unifié et super-puissant ?

La conquête de la plaine comme fin de l'errance va de pair ici avec celle du ciel projeté comme l'apothéose de l'aventure humaine.
Ne me dites pas qu'ils ne la veulent pas vraiment cette Tour, surtout ne me dites pas que c'est pour passer le temps. Ils la désirent vraiment, pour une raison simple : c'est le seul moyen pour eux, pensent-ils, de rester ensemble toujours, en étant unis (peu importe comment) d'éternité en éternité!
L'auteur prend soin de préciser que tous parlaient la même langue. Parler la même langue c'est penser dans la même langue. Le texte semble suggérer qu'il n' y a pas encore de l'altérité dans cette histoire. Chacun pense comme les autres. La pensée unique, déjà ?

Comment rendre compte dès lors de la spécificité, de la singularité de chaque personne ? Comment reconnaître sa propre différence et l'assumer sans se faire éjecter par la tribu des bien-pensant ou des politiquement corrects ? Comment sortir de l'air du temps pour oser dire, écrire une parole autre, celle qui nomme, dénonce les injustices, les disparités dans un pays, par exemple dit des Droits de l'Homme, comme la France ? 
Une parole d'espérance enracinée —pour les chrétiens— dans l'Evangile et qui s'incarne au jour le jour dans le quotidien, est-ce impossible ?
Cela doit être possible, certains s'y emploient en tout cas, ici et là, avec détermination, par exemple récemment à Nîmes à propos des Centres de rétention! Acte symbolique fort à l'intention des pouvoirs publics mais aussi de tout un chacun.

Les nouveaux locataires de Shinéar, eux, ils n'ont qu'une idée en tête: bâtir cette Tour inimaginable pour sceller la pérennité de l'esprit humain sur la matière, mais pas seulement. Prouesse de la technique certes, mais pauvreté de l'esprit qui ne peut se réaliser que dans le "faire", en négligeant la respiration de la prière qui délimite et restaure la place de la créature devant Celui qui l'a faite, et qui dit quelque part " Celui qui te sauve (de toi-même), c'est moi".

"Faisons-nous un nom afin de ne pas être dispersés sur la surface de la terre".

Un nom! Quel nom ? Celui des hommes et des femmes marqués à vie par le manque originel ? Celui des assoiffés, des chercheurs de sens ? Celui des utopistes ? Celui d'un peuple envahi, à n'en peut plus pouvoir, par le désir de toute-puissance ?
Le nom reste indéfini à ce stade, et il le restera à jamais. Le nom est toujours donné par un autre.
Et c'est ici que l'inattendu se produit : l'entrée en scène de Celui que l'homme ne tient pas, apparemment, à voir s'associer à son œuvre, mais le connaissait-il vraiment ? Peu importe. Dieu "descend" (l'ironie de Dieu est irrésistible, alors que l'homme se fatigue à escalader le ciel, lui, tranquillement, descend sur terre!), s'invite et, voyant cela (l'œuvre de l'homme) décide de les disperser. Il y aurait beaucoup à dire ici, mais passons.

Dispersés, délogés de leur tour (ils s'imaginent y être déjà), ils vont être obligés de faire l'effort d'apprendre la langue de l'autre, réapprendre pour ainsi dire à parler, à se parler, enfin. 
La "confusion des langues", ici, peut être lue comme une dynamique pour se re-tourner vers l'autre, l'Autre
Mais, après l'épisode de Babel, la parole de l'homme, quoi qu'il fasse, restera à jamais une confuse parole, comme dirait Baudelaire, car symbole d'un deuil inachevé, celui de Babel.

Il reste la Parole. Celle de l'Autre, qui raisonne à nos oreilles étonnées (rêvons!) comme une bonne nouvelle : "Je suis le chemin et la vérité et la vie" (Jean 14,6).

lundi 1 décembre 2008

Christiane Veschambre, Les Mots pauvres

"L'autre matin je me suis réveillée muette. Je ne m'en suis pas aperçue tout de suite parce que j'étais seule dans la chambre. Je me sentais heureuse de la journée à vivre. Emplie d'un sentiment de liberté et de légèreté. Je me suis étirée en bâillant, sans bruit, je me suis levée, je suis allée décrocher un vêtement dans la salle de bains et je me suis dirigée vers la cuisine où je t'entendais chanter. J'ai poussé la porte, je t'ai souri, tu m'as appelée par mon nom, et je t'ai répondu par le tien. C'est-à-dire que j'ai ouvert la bouche, j'ai formé avec mes lèvres les deux syllabes aimées, et aucun son n'est sorti. Tu as ri, d'abord, de me voir répéter ma mimique silencieuse, tu t'es avancé vers moi pour me prendre dans tes bras et tu t'es arrêté. Tu m'as demandé ce que j'avais, je n'ai pas pu te répondre. Finalement j'ai pris sur le buffet le papier où on inscrit les commissions et j'ai écrit: "Je ne peux plus parler." Et je me suis mise à pleurer."

Christiane Veschambre, Les Mots pauvres, collection Grands fonds chez Cheyne éditeur, 1996.

Voici ce qu'on peut lire en quatrième de couverture:
"Se réveiller un matin MUETTE, et donc soudain exclue du cours familier des choses, et arrachée pour une grande part au commerce des autres, telle est l'expérience limite que vit la narratrice des Mots pauvres.
Or, loin de l'anéantir, l'événement la renvoie à une solitude essentielle, et comme primitive, au cours de laquelle elle renaît à elle-même, libérée des pièges de l'amour-propre et des masques où l'enfermait jusque-là le souci de paraître, s'ouvrant enfin à un rapport juste et confiant avec le monde. C'est pour elle une véritable initiation, dont elle témoigne au jour le jour dans une sorte de journal intime qu'éclaire la discrète présence de l'homme qu'elle aime, et à qui elle s'adresse en secret.
Dans ce livre tout intérieur, Christiane Veschambre évite la séduction d'une écriture savante et contournée, privilégiant les mots simples d'une confidence pudique."

Christiane Veschambre vit à Paris, où j'ai eu la chance de faire sa connaissance il y a quelques années de cela. Depuis elle nous a régulièrement honorés de sa présence en venant présenter ses livres au Cercle de lecture que j'animais à Villeneuve Saint Georges, dans le Val-de-Marne. Par ailleurs, privilège insigne, j'ai pu pendant un certain temps participer aux ateliers d'écriture qu'elle organisait et continue à animer chez elle. 
J'ai dit que Christiane vit à Paris, je dois ajouter tout de suite et dans la Combraille bourbonnaise dont parlent plusieurs de ses livres. Elle anime à travers la France des ateliers d'écriture auprès de différents publics, participe à des débats et lectures publiques. Co-fondatrice de la revue Land (1981-1984), et la revue de poésie Petite (1995-2005).

Publications récentes, outre les Mots pauvres:
La Griffe et les Rubans, éditions Le Préau des collines, 2002
Haut Jardin (photographies de Jacques Le Scanff), éditions Le Préau des collines, 2004
La Maison de terre, éditions Le Préau des collines, 2006
La Ville d'après suivi de A propos d'écrire, éditions Le Préau des collines, 2007
Robert et Joséphine, Cheyne éditeur, juin 2008. Le texte sera mis en scène à la Scène nationale d'Evreux, par Jacques Falguières.
Vous trouverez dans le numéro 6 de la revue Le Préau des collines un dossier consacré à son travail, en 2003.
Bonne lecture.


 Nous sommes au téléphone depuis une dizaine de minutes, je ne suis pas du tout à l'aise : —Attends s’il te plaît, lui dis-je, donne-moi...