L’inattendu
Abdou:
A quoi penses-tu ?
Pauline:
A ce qui m’arrive…
A:
Et … ?
P:
Et je pense à comment le penser ?
A:
Est-ce que je peux t’aider ?
P:
A penser ? Non, merci. Par contre…
A:
Oui ?
P:
Tu peux écouter…, c’est ça, j’ai besoin de ton écoute plus que tout autre chose.
A:
C’est difficile, tu sais.
P:
Et pourquoi donc ?
A:
Parce que pour écouter faut-il encore que tu parles, or je ne sais pas à quoi tu penses…
P:
Je te l’ai dit, à ce qui m’arrive.
A:
Qu’est-ce qu'il t’arrive ?
P:
La Pensée !
A:
Tu te fous de moi ou quoi ?
P:
Oui, la pensée…, Abdou! mais pas n’importe quelle pensée : la pensée de Dieu !Pour la première fois en effet Dieu trouve une place dans ma pensée…J'en suis tout étonnée, et même retournée!
A:
En voilà encore une idée! Alors là, tu…tu m’étonnes, vraiment!
P:
Alors c’est gagné pour toi aussi…
A:
Quoi donc ?
P:
Le fait que tu laisses une place, à l'intérieur de toi, à l’ étonnement…!
A:
C’est inattendu, tu sais…, c'est ta parole qui a rendu cela possible…
P:
Et c’est ton écoute qui a laissé advenir ce possible.
A:
Pourtant je n'ai fait que questionner…
P:
Questionner, pour moi, c'est une forme d'écoute… active,
c'est comme un soutien à ce qui se présente, par exemple l'idée de Dieu,
ici et maintenant, dans ma pensée…
A:
Bon d'accord, tout cela semble inattendu, mais après ? je veux dire que vas-tu faire à présent?
P:
A présent quoi ?
A:
A présent que tu as laissé entrer Dieu dans ta pensée, comme tu dis, il va bien falloir le penser,
ce Dieu, maintenant!
P:
C'est impossible!
A:
Ça y est, c'est reparti, comme à ton habitude tu brouilles les pistes pour gagner ou pour tuer du temps…
P:
Non, détrompe-toi, Abdou, certes Dieu (j'ai du mal encore à le nommer)
est bien présent dans ma pensée,
comme une "trace" dirait Lévinas, comme une descente sur ma lèvre,
mais delà à le penser ou le dire, voilà qui m'est impossible.
A:
Pourtant, "Tout ce qui peut être dit peut être dit clairement…
P:
"…et ce dont on ne peut parler on doit le taire", bien sûr je connais,
c'est de Wittgenstein dans Tractatus logico-philosophicus.
Il résume parfaitement l'expérience qui est la mienne depuis quelques minutes!
A:
Oui, mais, si Dieu est la limite de la pensée, tu peux au moins faire sentir
comment cela se passe pour toi, c'est comment l'expérience de Dieu pour toi ?
P:
C'est doux!
A:
Doux comme du miel ?
P:
Plus que ça…, c'est… comment dire, voilà…c'est, tout simplement.
A:
Mais encore ?
P:
Tu ne me croiras pas, mais je n'éprouve pas le besoin d'analyser, c'est-à-dire de fixer à demeure
"Dieu", disons plutôt l'expérience de cela que j'appelle Dieu,
c'est comme un objet qui deviendrait ainsi ma propriété! Alors que
je me sens tout simplement bien ainsi!
C’est peut-être cela qu’ils appellent la grâce ! En tout cas, c’est bon.
A:
A t'entendre et à te voir si apaisée, je n'ai plus rien à questionner, du moins jusqu'à la prochaine fois !