"La Liberté, ce n'est pas de pouvoir ce que l'on veut, mais de vouloir ce que l'on peut"
Jean-Paul Sartre
mercredi 26 octobre 2011
jeudi 6 octobre 2011
Maurice Blanchot: La question la plus profonde
"Nous nous interrogeons sur notre temps.
Cette interrogation ne s'exerce pas à des moments privilégiés, elle se poursuit sans relâche, elle fait elle-même partie du temps, elle le harcèle à la manière harcelante qui est propre au temps. C'est à peine une interrogation, c'est une espèce de fuite (…).
D'où vient ce souci de questionner, et cette grande dignité accordée à la question ?
Questionner, c'est chercher, et chercher, c'est chercher radicalement, aller au fond, sonder, travailler le fond et, finalement, arracher. Cet arrachement qui détient la racine est le travail de la question. Travail du temps. Le temps se cherche et s'éprouve dans la dignité de la question. Le temps est le tournant du temps. Au tournant du temps répond le pouvoir de se retourner en question, en parole qui avant de parler questionne par le tour d'écriture.
C'est donc d'une certaine manière le temps— le mouvement du temps et l'époque historique — qui questionne ? Le temps, mais le temps comme question, cela même qui par le temps et à un certain moment du temps dégage les questions comme un tout et l'histoire comme ce tout des questions.
Freud dit à peu près que toutes les questions posées à tort et à travers par les enfants leur servent de relais pour celle qu'ils ne posent pas et qui est la question de l'origine. De même, nous nous interrogeons sur tout, afin de maintenir en mouvement la passion de la question, mais toutes sont dirigées vers une seule, la question centrale ou la question de tout (…).
Le tournant du temps est ce mouvement par où se dégage, d'une manière qui la fait affleurer, la question de tout. Affleurant, venant à la surface, elle s'arrache au fond et, ainsi, devenue superficielle, cache à nouveau en la préservant la question la plus profonde.
Nous ne savons pas si les questions forment un tout, mais nous savons qu'elles ne semblent questionner qu'en questionnant dans la direction de ce tout dont le sens n'est pas donné, fût-ce comme question. Questionner, c'est alors s'avancer ou reculer vers l'horizon de toute question. Questionner, c'est donc se mettre dans l'impossibilité de questionner par questions partielles (…).
La question est mouvement (…). Dans la simple structure grammaticale de l'interrogation, nous sentons déjà cette ouverture de la parole interrogeante ; il y a demande d'autre chose ; incomplète, la parole qui questionne affirme qu'elle n'est qu'une partie. La question serait donc, contrairement à ce que nous venons de dire, essentiellement partielle, elle serait le lieu où la parole se donne toujours comme inachevée. Que signifierait alors la question de tout, sinon l'affirmation que dans le tout est encore latente la particularité de tout ?
La question, si elle est parole inachevée, prend appui sur l'inachèvement. Elle n'est pas incomplète en tant que question ; elle est, au contraire, la parole que le fait de se déclarer incomplète accomplit. La question replace dans le vide l'affirmation pleine, elle l'enrichit de ce vide préalable. Par la question, nous nous donnons la chose et nous nous donnons le vide qui nous permet de ne pas l'avoir encore ou de l'avoir comme désir. La question est le désir de la pensée."
Maurice Blanchot, L'Entretien infini, Gallimard, 1969, pp. 12-14
Cette interrogation ne s'exerce pas à des moments privilégiés, elle se poursuit sans relâche, elle fait elle-même partie du temps, elle le harcèle à la manière harcelante qui est propre au temps. C'est à peine une interrogation, c'est une espèce de fuite (…).
D'où vient ce souci de questionner, et cette grande dignité accordée à la question ?
Questionner, c'est chercher, et chercher, c'est chercher radicalement, aller au fond, sonder, travailler le fond et, finalement, arracher. Cet arrachement qui détient la racine est le travail de la question. Travail du temps. Le temps se cherche et s'éprouve dans la dignité de la question. Le temps est le tournant du temps. Au tournant du temps répond le pouvoir de se retourner en question, en parole qui avant de parler questionne par le tour d'écriture.
C'est donc d'une certaine manière le temps— le mouvement du temps et l'époque historique — qui questionne ? Le temps, mais le temps comme question, cela même qui par le temps et à un certain moment du temps dégage les questions comme un tout et l'histoire comme ce tout des questions.
Freud dit à peu près que toutes les questions posées à tort et à travers par les enfants leur servent de relais pour celle qu'ils ne posent pas et qui est la question de l'origine. De même, nous nous interrogeons sur tout, afin de maintenir en mouvement la passion de la question, mais toutes sont dirigées vers une seule, la question centrale ou la question de tout (…).
Le tournant du temps est ce mouvement par où se dégage, d'une manière qui la fait affleurer, la question de tout. Affleurant, venant à la surface, elle s'arrache au fond et, ainsi, devenue superficielle, cache à nouveau en la préservant la question la plus profonde.
Nous ne savons pas si les questions forment un tout, mais nous savons qu'elles ne semblent questionner qu'en questionnant dans la direction de ce tout dont le sens n'est pas donné, fût-ce comme question. Questionner, c'est alors s'avancer ou reculer vers l'horizon de toute question. Questionner, c'est donc se mettre dans l'impossibilité de questionner par questions partielles (…).
La question est mouvement (…). Dans la simple structure grammaticale de l'interrogation, nous sentons déjà cette ouverture de la parole interrogeante ; il y a demande d'autre chose ; incomplète, la parole qui questionne affirme qu'elle n'est qu'une partie. La question serait donc, contrairement à ce que nous venons de dire, essentiellement partielle, elle serait le lieu où la parole se donne toujours comme inachevée. Que signifierait alors la question de tout, sinon l'affirmation que dans le tout est encore latente la particularité de tout ?
La question, si elle est parole inachevée, prend appui sur l'inachèvement. Elle n'est pas incomplète en tant que question ; elle est, au contraire, la parole que le fait de se déclarer incomplète accomplit. La question replace dans le vide l'affirmation pleine, elle l'enrichit de ce vide préalable. Par la question, nous nous donnons la chose et nous nous donnons le vide qui nous permet de ne pas l'avoir encore ou de l'avoir comme désir. La question est le désir de la pensée."
Maurice Blanchot, L'Entretien infini, Gallimard, 1969, pp. 12-14
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