La porte est entrouverte, elle hésite un instant puis appuie sur la sonnette.
—Entre, lui crie une voix de l’intérieur
Accoudé sur son bureau, il donne à voir un visage contrarié.
— Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
Ses yeux se ferment. Cueilli par l’émotion, il y a comme un nœud dans sa gorge.
—Mais enfin, qu’est-ce que tu as ? Sans attendre la réponse, lentement, elle lui passe la main sur le front. Qu’est-ce qu’il est brûlant ! Tu es malade ?
Ses yeux s’ouvrent, humides. Il contemple le visage de la femme comme s’il la voyait pour la première fois.
—Je ne sais pas ce qui m’arrive, mais je ne suis pas malade, rassure-toi. J’ai juste mal…à l’écriture !
—?!…
— Je ne sais comment t’expliquer, c’est assez compliqué, même pour moi.
—Entendu, prends ton temps.
—Il s’agit de l’écriture…
—Oui, ça j’ai bien compris, mais c’est le mal qu’elle te fait que je ne saisis pas
—qu’elle me donne…
—Pardon ?
—Ecrire ne me fait pas mal, bien au contraire. Mais, je n’arrive pas à faire corps avec, il y a pourtant quelque chose à l’intérieur de moi, que je veux faire exister, c’est-à-dire mettre au dehors, l’offrir…, mais ça résiste et je cours après, comme un amoureux éconduit. En réalité, je fais du sur-place, je sature, rature, et recommence, encore et encore sans jamais pouvoir dire ce qui est. Impression désagréable de répéter toujours le même scénario.
—A t’entendre, c’est comme si tu cherchais une bonne idée et une façon élégante de l’exprimer, et tu te trouves soudain confronté à un autre impératif : ton outil, je veux dire le langage, lui, veut parler d’autre chose que de lui-même.
Il la regarde, ébloui par ce qu’elle vient de dire.
—Mais tu es un génie, ma parole ! Ainsi, pour pouvoir faire corps avec ce qui pousse à l’intérieur de moi, je dois renoncer à vouloir « dire » ou faire « beau », le langage doit, ici, en quelque sorte renoncer à lui-même, se faire oublier, faire le mort afin de laisser advenir ce qui est déjà là.
—Exactement, par ce renoncement consenti comme une ascèse tu pourras mieux exprimer, paradoxalement, ce que tu as à dire, c’est-à-dire donner à voir et à entendre autre chose qu’un simple jeu de langage. Mais, au fait, que cherches-tu à dire au point de t’émouvoir à ce point ?
Il est surpris par la question. Peut-être la redoutait-il ? Une chose est sûre, la spontanéité n’est pas son fort. Il réalise soudain ce que veut dire s’apparaître à l’occasion de l’autre.
—Ta question me ramène à ce que je cherche à fuir, mais je sens en même temps le soulagement que cela me procurerait à le dire. Car, c’est ce que je cherche désespérément à écrire, à t’écrire !
—Quoi donc ?
—Je t’aime !