samedi 10 janvier 2009

Le moment présent…

"Dans Journal d'un bébé un bébé imaginaire de 9 mois joue dans une flaque de soleil sur le plancher. Cela constitue pour lui un riche monde sensoriel multimodal. Il tente de lécher le soleil par terre. Sa mère l'interrompt brutalement et lui dit : 
—"C'est juste du soleil, chéri. Ça se regarde, c'est tout. Ce n'est rien que de la lumière par terre. Ce soleil ne se mange pas. C'est sale."
Si l'enfant imaginaire avait pu comprendre ses paroles, il se serait dit une chose du genre :
—"Chacun de ses mots est un coup amorti qui fait voler mon espace en morceaux."

"Juste du soleil" —mais c'était ma flaque, ma flaque à moi!
"Ça se regarde, c'est tout." Mais je l'ai entendu. Je l'ai senti aussi!
"Rien que de la lumière par terre." Comment cela ?
"C'est sale." Mais j'étais dedans.

Lorsque la mère se tait, tout est en morceaux. Le monde originel s'est désintégré.
On gagne et on perd quelque chose en mettant des mots sur l'expérience. On y perd en plénitude, vérité ressentie, richesse et honnêteté."

Daniel N. Stern, Le moment présent en psychothérapie. Un monde dans un grain de sable, p.173. Odile Jacob, 2003

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Pour une fois, on n'aurait pas pu avoir un récit avec un père même imaginaire ?

Alkaly Cissé a dit…

Bonne question, en effet, Marie-Hélène. Merci de l'avoir posée. Ah! la fameuse réplique de Georges Marchais au journaliste, moyen habile de se défiler devant une question embarrassante.
Blague à part, moi aussi j'aurais aimé lire un récit mettant en interaction un père et un bébé imaginaires!
Malheureusement ou heureusement, à ce stade du développement de l'infans (même imaginaire), ce temps des commencements, comme dirait Pontalis, il semble que le père s'exclut de lui-même, se "perd" en quelque sorte dans la mère, à qui il s'en remet implicitement…Mais je ne saurais m'aventurer plus loin dans cette direction, ce n'est qu'une hypothèse, ou une fuite.

Plus sérieusement, la citation de Daniel Stern pose la question de l'expérience subjective du nourrisson: comment les bébés se vivent-ils et comment perçoivent-ils les autres ? quelle sorte de monde ou de mondes interpersonnels (flaque de soleil, la mère, pourquoi pas alors le père aussi? tu as raison) le bébé crée-t-il ? Nous sommes ici dans l'implicite, au stade de l'expérience non verbalisée, que l'auteur décrit comme un moment de plénitude, jusqu'au moment où le langage fait exploser en morceaux méconnaissables l'expérience en cours…
Personnellement, je trouve que c'est une piste de réflexion intéressante. Mais c'est un père qui le dit.

lionel a dit…

" Tu te prends pour un poisson de lumière aujourd'hui, tu es beau petit barbouilleur. Le soleil sur ta peau blanche, ton petit corps aux membres courts, tu ressembles à un bébé béluga des mers du pôle. Tu nages de bonheur dans ton océan de lumière. Quelle joie de te trouver ainsi malgré cette semaine dificile, toi tu restes un découvreur, mon petit explorateur de l'infime et des sens, chercheur de douceur. Oui, tiens, voilà un beau métier pour toi, plus tard tu sera un chercheur dans un grand laboratoire de douceur expérimentale. C'est un métier d'avenir avec des débouchés assurés pour très longtemps. Dans ce monde que tu t'exerces à découvrir, tu auras besoin de beaucoup de patience pour faire évoluer la recherche sur la douceur. Mais tu sais déjà t'y prendre, avec méthode, quel talent ! Tu expérimentes, tu classifies,tu goûtes, tu testes, tu renouvelles pour te prouver et partager. Je crois que tu es déjà maître de la démarche expérimentale propre à tout scientifique qui se respecte. Ah! tu me souris mon petit cétacé, oui, je t'aime, tu ne comprends pas tout ce que ton papa trop sérieux te raconte mais tu sens fort que je t'aime mon petit poisson d'or. Je suis sûr que tu auras toujours du travail comme tous les chercheurs de douceur. Mais tu es vraiment doué mon chéri, tu lèches le soleil maintenant, tu as de la chance, moi-même je ne sais plus quel goût il a. Il te plaît ce soleil mon trésor; alors tu pourrais être aussi chercheur de lumière ou découvreur de soleil.
Il se fait tard mon enfant, c'est une autre lumière qui va prendre le relais du soleil à cette heure, elle est plus douce, plus légère, et froide. Celle là tu l'exploreras plus tard car ta mère arrive et elle va nous gronder si tu n'es pas encore douché, on a trop pris de temps dans la flaque de soleil. Vite, vite allons au bain nous purifier de nos instincts primaires, allons civiliser nos corps, laver nos esprits pour les rendre présentables au monde. Mais tout n'est pas fini ma petite sirène, car cette nuit, tu pourras librement poursuivre par le songe, reprendre ton bain de volupté dans la douce flaque d'or.

Le silence et le choix des mots,le timbre des sons , sont autant de caresses de l'esprit. Eduquer ou instruire, accompagner ou conduire, imposer ou rendre libre. Induire ou projeter... Bon courage à tous les parens pour la complexe et fabuleuse aventure de la parentalité.
"Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme".Et tout reste possible;
Je ne suis pas père mais quel plaisir de partager sur ce sujet.

Alkaly Cissé a dit…

Quel père admirable j'imagine, Lionel, tu aurais pu faire ou ferais!
Rien à ajouter, le beau se passe de commentaire.
Merci d'avoir exhaussé en quelque sorte le vœu de Marie-Hélène, mieux que je n'aurais su le faire…
En effet le travail de l'imaginaire requiert du souffle, hors des tortillements cognitifs, ce qui implique ici une attention soutenue à ce que vit l'enfant, à ses expériences subjectives…dans un univers si singulier que l'adulte, pour y être admis, doit se faire "petit". Ce que tu réussis admirablement bien.
Chut…! Une voix me murmure à l'oreille de m'arrêter, de peur de réveiller tout le monde et d'agiter inopinément "le bain de volupté dans la douce flaque d'or".

 Nous sommes au téléphone depuis une dizaine de minutes, je ne suis pas du tout à l'aise : —Attends s’il te plaît, lui dis-je, donne-moi...