Pour son second roman, la psychanalyste, philosophe et essayiste Anne Dufourmantelle, décédée l’été dernier, explore les arcanes du temps.
Les hauts plateaux de l’Altaï servent de point de départ au dernier d’Anne Dufourmantelle.
Le 21 juillet dernier, quelques minutes avant de descendre à la plage de Ramatuelle, Anne Dufourmantelle envoyait par mail, à son éditrice, la dernière version de son roman. La suite est connue. La mer était mauvaise. Des enfants se sont aventurés loin du bord. Pour les ramener sur le rivage, Anne Dufourmantelle a usé ses dernières forces, son cœur a lâché.
Dès lors, ce roman, devenu posthume, a revêtu l’aspect d’un message venu de l’au-delà, dans lequel les lecteurs qui l’ont aimée chercheront, légitimement, un sens. Ils ne seront pas déçus. L’histoire, comme une immense prémonition, est celle d’un message lancé à travers les siècles.
Une épopée mongole en 1321
En 1321, sur les hauts plateaux de l’Altaï (aujourd’hui en Russie), alors que l’empire mongol de Gengis Khan est attaqué de toutes parts, le roi Akhan, son arrière-petit-fils, monte une expédition pour traverser la Chine et partir à la conquête du Pacifique. Autour d’Akhan, des milliers d’hommes en armes, quelques courtisanes, une garde rapprochée : Nûr le chamane aveugle, qui multiplie les mises en garde comme un oiseau de mauvais augure, accompagné de sa petite-fille Aghyar, sauvage et guerrière, Guerroès, un jeune homme ombrageux.
Et surtout Adalberto, le géomètre vénitien que le roi charge de relater l’histoire. Non qu’Akhan ne soit pas attaché à la culture orale chamanique de son peuple, mais pour lui, il est « temps que l’occident admire la civilisation mongole ». Sous la dictée du roi, le témoin écrit en phags-pa (l’un des alphabets mongols) et traduit en latin. Peu à peu, il glisse dans la version latine ses réflexions personnelles. Après des batailles et des pertes considérables, le convoi parvient jusqu’à la mer. Mais où les héritiers de Gengis Khan débarqueront-ils ?
En 2020, un petit groupe d’érudits s’intéresse à un fragment de texte en phags-pa et en latin, comprend l’enjeu de sa découverte et tente de réunir, au prix de nombreux sacrifices, tous les fragments dispersés de par le monde. Entre ces deux époques, souffle le vent rouge « volatil et dense, collant à la peau, pénétrant le moindre espace, recouvrant l’opacité », ce vent qui ouvre les brèches du temps, signe « que le même événement, invisiblement, coexiste, sur plusieurs plans de l’espace et du temps ».
Une atmosphère étrange, comparable à « L’envers du feu »
Cette histoire a habité Anne Dufourmantelle pendant presque toute sa vie. Des premières bribes sur l’héritage de Gengis Khan, venues à la fin de l’adolescence, à la version finale, réflexion nourrie sur le temps et l’inconscient collectif des civilisations, plusieurs strates d’écriture se sont ajoutées, dont l’une, datant de plus de vingt-cinq ans, a été travaillée en Équateur, le pays qui a inspiré une partie du livre.
Les lecteurs de son premier roman retrouveront l’atmosphère étrange de L’Envers du feu, ces personnages improbables mêlant, de préférence la nuit, leurs solitudes et leurs angoisses, dans une élégante tentative pour échapper au désespoir. Lire ce livre-oxymore, Souviens-toi de ton avenir, c’est, de toute façon, ouvrir une brèche dans le temps, pour tenter de saisir quelques fragments de la pensée complexe de la philosophe et psychanalyste disparue.
Stéphanie Janicot
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire