Envie soudain de relire ce magnifique livre de Charles Juliet consacré à ce "grand vivant" qu'était, qu'est Cézanne. Magnifique à double titre, d'abord pour la beauté de l'écriture propre à Charles Juliet, et aussi parce que chaque page du livre est accompagné d'un tableau du peintre. L'auteur ne parle pas de Cézanne, il lui parle de manière directe, sous forme d'une lettre, courte, profonde, passionnée, exigeante…On sait de Cézanne cette fameuse réplique : "Je cherche en peignant…" Que cherchait-il ? On est amené à poser la même question à Charles Juliet, que cherche-t-il dans l'œuvre du maître ? Probablement la même chose : "Peindre ou écrire, ce n'est rien d'autre que partir à la découverte de soi, tout en convertissant en toile ou en poèmes ce que recèle la nuit intérieure", écrit-il.
L'auteur se souvient que Cézanne mentionne souvent l'importance de la sensation. Mais, questionne-t-il, quoi de plus fuyant, de plus insaisissable qu'une sensation ? Comment la retenir ? la déchiffrer ?
"En devenant attentif à ce qui naissait puis se développait en vous —sensations, perceptions, émotions diverses, états si complexes qu'ils ne peuvent être nommés…— il est certain que vous avez été contraint d'entreprendre un voyage en vous-même. Si vous le permettez, j'aimerais m'attarder quelque peu sur ces problèmes." Pourquoi s'attarde-t-il ici, me suis-je demandé ? Il me suffit de relire d'autres textes de Juliet pour être fixé, en effet ses écrits ne portent-ils en eux comme un long sillon toutes les perceptions, les sensations et émotions contenues dans l'expérience et dans la quête de soi ?
Ce qui intéresse Charles Juliet et qui lui fait marquer un temps d'arrêt c'est, que voit le regard de Cézanne lorsqu'il se porte sur un objet ? "Plusieurs facteurs —peur, désirs, avidité, projections diverses…— peuvent intervenir pour modifier l'image qu'il en reçoit. A celle-ci succède la sensation, laquelle naît à l'intime de l'être, là où fusionnent les constituants de notre personnalité. Mais une question surgit : cette image-sensation est-elle dans un rapport de justesse, de fidélité, d'exactitude relativement à l'objet qui l'a suscitée ? Ou se trouve-t-elle comme gauchie, déjetée, mensongère ? En ce cas, comment prendre conscience de cette sorte de non-concordance entre l'objet vu et la sensation qui lui est liée ?"
Les questions de Charles Juliet à Cézanne sont adressées aussi à lui-même, et par voie de ricochet au lecteur. Nous sommes conviés, en compagnie du peintre et de l'écrivain, à rejoindre cette voie étroite mais essentielle, celle qui mène vers les terres inexplorées de notre être profond et son rapport au monde dans sa complexité avenante ! Bonne lecture.
Charles Juliet, Un grand vivant, Paul Cézanne, Flohic Editions, 1997 (2 ème édition)