"Dieu diffère de l'inconnu en ce qu'une émotion profonde, venant des profondeurs de l'enfance, se lie d'abord en nous à son évocation. L'inconnu laisse froid au contraire, ne se fait pas aimer avant qu'il ne renverse en nous toute chose comme un vent violent. De même les images bouleversantes et les moyens termes auxquels recourt l'émotion poétique nous touchent sans peine. Si la poésie introduit l'étrange, elle le fait par la voie du familier. Le poétique est du familier se dissolvant dans l'étrange et nous-mêmes avec lui. Il ne nous dépossède jamais de tout en tout, car les mots, les images dissoutes, sont chargés d'émotions déjà éprouvées, fixées à des objets qui les lient au connu.
L'appréhension divine ou poétique (…), nous pouvons encore, par elle, nous approprier ce qui nous dépasse, et, sans le saisir comme un bien propre, du moins le rattacher à nous, à ce qui déjà nous avait touché.
Nous ne sommes totalement mis à nu qu'en allant sans tricher à l'inconnu. C'est la part d'inconnu qui donne à l'expérience de Dieu— ou du poétique — leur grande autorité."
Georges Bataille, L'expérience intérieure, Gallimard, 1954, p. 17