dimanche 18 mai 2008

Qui parle ?

Maurice Blanchot, ça vous dit quelque chose ?
Quelques titres: Thomas l'Obscur, Faux pas, l'Espace littéraire, Le Livre à venir, l'Entretien infini, l'Attente l'oubli, Celui qui ne m'accompagnait pas, l'Instant de ma mort, La part du feu…
Si le maniement du paradoxe ne vous fait pas peur, si la rigueur et l'exigence d'une pensée de la nudité du langage ne vous font pas reculer, si comme moi vous désirez aborder la chose littéraire autrement que par le biais de l'anecdotique, alors entrez dans l'espace littéraire de Blanchot. 
Au début, je n'y prêtais pas attention, le nom Blanchot apparaissait incidemment mais régulièrement dans mes lectures, au détour d'une phrase, d'un chapitre de Lévinas, Derrida, Nancy et d'autres…
Blanchot m'intriguait et m'attirait à la fois, sans que cependant je fasse le pas décisif vers celui que certains décrivent comme "l'écrivain de la solitude essentielle".
  "Il semble que nous apprenions quelque chose sur l'art, quand nous éprouvons ce que voudrait désigner le mot solitude", écrit Blanchot en ouverture de l'Espace littéraire.
C'est, finalement, Leslie Kaplan dans son excellent ouvrage "Les Outils" (pour penser) qui me donna brusquement envie d'aller voir du côté de celui qui a consacré l'ensemble de sa réflexion à des figures limites de la littérature: Sade, Hölderlin, Rimbaud, Lautréamont et surtout Malarmé, Rilke et Kafka.
Dès les premières phrases, c'est le choc intellectuel: dépaysement total! 
"Ici, et sur cette phrase qui lui était peut-être aussi destinée, il fut contraint de s'arrêter. C'est presque en l'écoutant parler qu'il avait rédigé ces notes. Il entendait encore sa voix en écrivant. Il les lui montra. Elle ne voulait pas lire. Elle ne lut que quelques passages et parce qu'il le lui demanda doucement.
"Qui parle ?" disait-elle. "Qui parle donc ?" 
Elle avait le sentiment d'une erreur qu'elle ne parvenait pas à situer." (L'Attente, l'oubli, Gallimard, 1962, p.7)
Dans ce récit comme dans tous les autres, Maurice Blanchot pose l'acte même de parler, d'écrire (ou de penser) comme une question : "Qui parle?".
Disparition du "sujet" dans le langage ?
"Quand nous parlons, nous nous rendons maîtres des choses avec une facilité qui nous satisfait. Je dis cette femme, et immédiatement je dispose d'elle (…). Pour que je puisse dire cette femme, il faut que, d'une manière ou d'une autre, je lui retire sa réalité d'os et de chair, la rende absente et l'anéantisse. Le mot me donne l'être, mais il me le donne privé d'être. Il est l'absence de cet être, son néant." (La part du feu, Gallimard, 1949)
Comment dépasser les limites du langage, faire sans cesse apparaître ce qui disparaît en le nommant?
 Le questionnement de Blanchot se soucie peu d'aboutir à une réponse, bien au contraire, il débouche souvent sur le paradoxe, sur l'aspect contradictoire de ce qui est en question, sur "l'inconnu comme objet de travail", pour reprendre la belle expression de Marie Depussé (voir réf. Magazine littéraire, ci-dessous, p.57).
Dans un émouvant hommage à l'auteur, disparu en 2003, Leslie Kaplan écrit: 
"J'ai toujours eu le sentiment d'être écoutée par les mots de Blanchot, accueillie, soutenue et poussée en avant. Elle poursuit: "Maurice Blanchot: sa façon précise, particulière, de parler du malheur. "Quelqu'un se met à écrire, déterminé par le désespoir…" Douceur absolue de ce "quelqu'un", douceur qui permet de parler de cette chose brutale: le désespoir. D'en parler et de la transformer en question. Une question qui pourrait être lancinante, torturante, et personne ne peut dire qu'elle ne l'est pas, mais en même temps elle vient d'ailleurs que de soi, d'un lieu large, général, enveloppant, et de cette façon, elle est à la fois exigeante et apaisante. Il me semble que ce qui dans les mots de Blanchot m'a aidée à poursuivre, à avancer, c'est que dans ses mots il ya toujours eu, j'ai toujours trouvé un point d'appui possible, ce qui veut dire: toujours l'aspect double, contradictoire, qui donne une dimension vivante (oui), une tension au désespoir lui-même, qui l'interroge, justement pas en le repoussant, mais en le maintenant, en le relançant, en le transformant en autre chose. "Quelqu'un se met à écrire, déterminé par le désespoir. Mais le désespoir ne peut rien déterminer." (Les Outils, édit. P.O.L, 2003, p.p.82-83)
Peut-être souhaiteriez-vous en savoir d'avantage sur Maurice Blanchot avant d'aborder son œuvre ? Je vous recommande le n°424 du Magazine littéraire (octobre 2003) qui lui est consacré: 4 rue du Texel 75014 Paris, tél. 0140474495.
Sur la toile, ma préférence va aux deux sites: 
http://remue.net/cont/blanchot (hommage collectif à Maurice Blanchot) 
et
 : http://www.mauriceblanchot.net (Maurice Blanchot et ses contemporains).
Bonne lecture!

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