lundi 1 décembre 2008

Christiane Veschambre, Les Mots pauvres

"L'autre matin je me suis réveillée muette. Je ne m'en suis pas aperçue tout de suite parce que j'étais seule dans la chambre. Je me sentais heureuse de la journée à vivre. Emplie d'un sentiment de liberté et de légèreté. Je me suis étirée en bâillant, sans bruit, je me suis levée, je suis allée décrocher un vêtement dans la salle de bains et je me suis dirigée vers la cuisine où je t'entendais chanter. J'ai poussé la porte, je t'ai souri, tu m'as appelée par mon nom, et je t'ai répondu par le tien. C'est-à-dire que j'ai ouvert la bouche, j'ai formé avec mes lèvres les deux syllabes aimées, et aucun son n'est sorti. Tu as ri, d'abord, de me voir répéter ma mimique silencieuse, tu t'es avancé vers moi pour me prendre dans tes bras et tu t'es arrêté. Tu m'as demandé ce que j'avais, je n'ai pas pu te répondre. Finalement j'ai pris sur le buffet le papier où on inscrit les commissions et j'ai écrit: "Je ne peux plus parler." Et je me suis mise à pleurer."

Christiane Veschambre, Les Mots pauvres, collection Grands fonds chez Cheyne éditeur, 1996.

Voici ce qu'on peut lire en quatrième de couverture:
"Se réveiller un matin MUETTE, et donc soudain exclue du cours familier des choses, et arrachée pour une grande part au commerce des autres, telle est l'expérience limite que vit la narratrice des Mots pauvres.
Or, loin de l'anéantir, l'événement la renvoie à une solitude essentielle, et comme primitive, au cours de laquelle elle renaît à elle-même, libérée des pièges de l'amour-propre et des masques où l'enfermait jusque-là le souci de paraître, s'ouvrant enfin à un rapport juste et confiant avec le monde. C'est pour elle une véritable initiation, dont elle témoigne au jour le jour dans une sorte de journal intime qu'éclaire la discrète présence de l'homme qu'elle aime, et à qui elle s'adresse en secret.
Dans ce livre tout intérieur, Christiane Veschambre évite la séduction d'une écriture savante et contournée, privilégiant les mots simples d'une confidence pudique."

Christiane Veschambre vit à Paris, où j'ai eu la chance de faire sa connaissance il y a quelques années de cela. Depuis elle nous a régulièrement honorés de sa présence en venant présenter ses livres au Cercle de lecture que j'animais à Villeneuve Saint Georges, dans le Val-de-Marne. Par ailleurs, privilège insigne, j'ai pu pendant un certain temps participer aux ateliers d'écriture qu'elle organisait et continue à animer chez elle. 
J'ai dit que Christiane vit à Paris, je dois ajouter tout de suite et dans la Combraille bourbonnaise dont parlent plusieurs de ses livres. Elle anime à travers la France des ateliers d'écriture auprès de différents publics, participe à des débats et lectures publiques. Co-fondatrice de la revue Land (1981-1984), et la revue de poésie Petite (1995-2005).

Publications récentes, outre les Mots pauvres:
La Griffe et les Rubans, éditions Le Préau des collines, 2002
Haut Jardin (photographies de Jacques Le Scanff), éditions Le Préau des collines, 2004
La Maison de terre, éditions Le Préau des collines, 2006
La Ville d'après suivi de A propos d'écrire, éditions Le Préau des collines, 2007
Robert et Joséphine, Cheyne éditeur, juin 2008. Le texte sera mis en scène à la Scène nationale d'Evreux, par Jacques Falguières.
Vous trouverez dans le numéro 6 de la revue Le Préau des collines un dossier consacré à son travail, en 2003.
Bonne lecture.


5 commentaires:

Anonyme a dit…

L'autre matin, je t'ai trouvé muet, silencieux et souriant. Beaucoup glosaient, certains gloussaient même au pied de la chaire d'où jallissaient les mots qui tentaient de convaincre de l'amour du Christ. Avec audace et talent, le pasteur élevé au dessus du nombre disait en mots ce que tu disais si fort, muet. Tu irradiais au pied de la chaire, tu diffusais l'amour au pied des chairs. De ma place je vois l'argent de ta coiffe qui éclairait le noir de ta robe, immaculant ton rabat. Muet, tu disais l'amour. La liturgie t'avait imposée quelques sons, mais tu étais muet. Tu n'étais pas privé de mots, tu ne retenais pas les mots, tu étais simplement libéré des mots. Les sons sortaient, choquaient, s'entrechoquaient à travers l'espace et le temple et toi tu étais muet, mais tu brillais.
La frêle flamme qui perçait le noir de tes yeux venait des profondeurs de ton chemin, au delà des mots, du fonds de ton être. Ton silence brillait, ton calme étincelait en lumière l'amour que tu portes en silence. Les peroraisons se sont poursuivies au-delà du perron je suppose, mais j'avais quitté le lieu et tu brillais encore, j'en suis sûr.
Muet, tu as su dire, muet tu as parlé si fort, muet tu as sussuré l'essentiel qui se dit en silence.
Merci mon ami.

Anonyme a dit…

Bonjour,nous bloggeurs nous ne sommes pas muets... à tel point que j'ai aujourd'hui un texte un peu volumineux à vous envoyer: puis-je vous l'envoyer par mail? l'adresse est-elle toujours celle que vous indiquiez sur ce blog, alkaly.c@orange.fr ?
Heureuse soirée à vous,
amicalement
Dominique

Alkaly Cissé a dit…

Merci Lionel, je vais longtemps me repasser tes mots. Tu as été autant touché que moi par les Mots de Christiane Veschambre, on le ressent à travers ton écriture empreinte de poésie, de douceur et de présence.

Pour ce qui est de la demande de l' Anonyme/Dominique, je ne peux malheureusement y consentir. Je préfère en effet que nos échanges restent dans le cadre strict du blog. C'est l'esprit même de cet espace: le partage! Oui, partager mes lectures avec vous mais aussi lire les vôtres, échanger entre nous…Tel est l'esprit du blog. C'est plus intéressant et plus drôle aussi, je trouve.
Voilà, au plaisir de vous lire tous!

Anonyme a dit…

Moi, je voudrais simplement vous dire que, si dans Les Mots Pauvres Christiane Veschambre ne peut plus parler, j'ai eu le bonheur de la rencontrer autour de son livre Haut jardin et là c'est nous qui sommes restés muets. Elle, elle nous a fait lecture de son livre et elle parlait plus qu'avec les mots qu'elle lisait, elle vivait son livre, et nous nous l'écoutions, tentant de l'entendre et de nous approprier ce texte qui nous parlait maintenant d'elle, plus que des Buttes Chaumont ou des Vosges. Le livre prenait alors, au cours de cette lecture, une tout autre dimension malgré ce "chemin creux" où l'essentiel reste en filigrane. A sa lecture, on comprend que c'est une véritable autobiographie qu'elle nous livre tout en pudeur.
N'oublions pas les photos qui accompagnent remarquablement le texte ; le tout dans un format qui en fait un"beau livre".
Merci Christiane.

hippocampe a dit…

L'Hippocampe est touché par le lien et vous remercie. Touché par cet article aussi, bien sûr. Nous recevrons Christiane Veschambre mardi 7 juin (2011) à la Médiathèque Marguerite Duras dans le 20 ° arrondissement de Paris. Les mots seront justes. Pourrez-vous venir ...?

 Nous sommes au téléphone depuis une dizaine de minutes, je ne suis pas du tout à l'aise : —Attends s’il te plaît, lui dis-je, donne-moi...