Reprenons l'énoncé: "Dieu dit: Que la lumière soit. Et la lumière fut."
(…) Entre l'appel et la lumière, entre l'appel d'être et l'éclairement qu'il produit, il y a ce "et" qui, dans la Bible, fait tourner le temps, amène l'avenir au passé et le passé à l'avenir via la parole de la Présence. Cette réponse à l'appel de lumière ("et soit la lumière") est donc aussi un événement: l'effet-lumière de l'être…qui a lieu dans les deux sens du temps (soit et fut la lumière).
Soit la lumière est l'événement où il est dit que la lumière concerne l'être. Elle le concerne dans son devenir premier, minimal ; dans le geste où il sort de lui-même, c'est-à-dire où il vit. C'est le premier signe de l'être vivant ; le premier temps vivant de l'être.
Ces deux premiers mots de YHVH méritent qu'on s'y arrête.
"Soit" est l'être impératif, le pur appel d'être. L'événement est à deux temps: l'être se rend lumineux sur fond de chaos et de ténèbres ; l'être se rend à l'appel qui le rend lumineux, en retour. Une secousse d'être a eu lieu.
Est-ce autrefois ? dans la fois qui toujours est autre ? il y a des millions d'années ? ou dans un temps immémorial et créatif ?
L'essentiel de l'événement est qu'il soit "visible", éclairant et éclairé. Ici, l'événement est lui-même la lumière. La création — toute création — s'inaugure par l'événement où l'être se fait lumière.
Par ce dire — "soit la lumière" — l'être prend place dans une mémoire, pour s'y produire encore en d'autres temps, lors d'autres illuminations ; par exemple, devant un texte obscur qui soudain va s'éclairer ; ou une situation glauque qui est une sorte de texte indéchiffrable. Soudain: soit la lumière!
Mais le but n'est pas d'être dans la lumière, c'est de passer par elle ou de faire qu'elle se passe ; quitte à passer vers d'autres ombres. Là est le point créatif.
Pour chacun, la création c'est la rencontre de ce qu'il a fait en son "absence" quand il passait du côté de l'Autre, sur le chemin d'un certain retour à soi. Ici, puisque c'est d'être qu'il s'agit, il y va du retour à l'être."
Daniel Sibony
5 commentaires:
Premier réflexe: "Je ne comprends rien".
Deuxième réflexe: "Sibony est délirant".
Troisième réflexe: "Alkaly se contorsionne dangereusement en juxtaposant Artaud et les dangers de l'auto-digestion du dedans mystérieux à Sibony et ses pulsions de projeter en lumière l'être par une nécessité du retour à l'être".
Conclusion provisoire:"Tout est noir, ce sont peut-être les ténèbres du dedans qui obscurcissent la lumière du dehors pour moi"; Je n'y vois vraiment rien aujourd'hui". Je dois encore attendre la Lumière de demain, ou bien ces quelques pâles rayons de questions sont-ils déjà les prémices de la Lumière".
Il fait déjà moins sombre sur le chemin du "devenir-lumière de l'être".
Pourtant, je trouve que c'est très clair !!!!!! Cet éclairage rend ce verset lumineux !!!!!! Non, en fait, là, à 22h40, je sombre dans un profond cafard en me disant que décidément,pour moi, c'est le brouillard intellectuel !
Je rentre d'une réunion de quartier où l'on m'avait invité à parler du "Pardon" selon le "Notre Père"! Ce n'est pas la première fois que je planche sur le même sujet, à croire que j'en profite pour travailler mes propres blessures, non cicatrisées, des situations inachevées où le pardon est encore en attente, comme la lumière en attente du désir ou de l'appel de Dieu…
Car le pardon est un don, un don fait à l'autre.
Appelée hors du chaos initial, dont elle se sépare sous l'effet de la Parole, la lumière devient don à la Création. "Dieu dit: Que la lumière soit. Et la lumière fut".
Dieu dit à Caïn (je le traduis avec mes mots): "Pourquoi perds-tu la face ? Essaie de tenir. Tu as rencontré autre chose que ce que tu attendais, assume la surprise, sois à la hauteur…"
Hélas! ici, l'appel à la lumière de la raison bute sur le mur de la haine. Car l'homme qui souffre ne sait pas pardonner, parce que, bien souvent, il ne sait pas à qui pardonner…, et quand c'est à lui-même, c'est encore plus difficile. Caïn n'accepte pas la différence qui existe entre lui et son frère Abel; il est enragé de voir que Dieu ne répond pas à son attente. Il en veut sans doute à Dieu, mais c'est sur son frère qu'il projette toute sa haine. Il ne réalise pas que sa haine est un poison pour lui-même. A cet instant, il peut encore faire que le futur soit différent, que son crime n'ait pas lieu, et que l'histoire que nous lisons aujourd'hui au passé soit celle de deux frères différents mais proches!
A cet instant, il peut encore exprimer verbalement ce qu'il ressent, ce sentiment terrible d'être rejeté il a encore le temps de le crier; à cet instant où le "dire" a encore du sens, Caïn peut même envisager de se pardonner de ressentir de la haine envers son frère. C'est ce que Dieu essaie vainement de lui faire sentir.
A croire que la lumière obéit plus facilement à Dieu que le cœur humain! Dans la tête de Caïn, les temps se mélangent, il ne sait plus s'il est au présent, au futur ou au passé. Parce que la Parole de Dieu n'a pas été entendue, à cet instant, sa vie est un cauchemar.
Sortir de la haine, c'est vivre: "Soit la lumière est l'événement où il est dit que la lumière concerne l'être. Elle le concerne dans son devenir premier, minimal ; dans le geste où il sort de lui-même, c'est-à-dire où il vit. C'est le premier signe de l'être vivant ; le premier temps vivant de l'être."
Le Pardon rend vivant, mais pour cela il a besoin du temps pour se travailler de l'intérieur, le temps qu'il faudra, le temps nécessaire à l'apaisement, à la pacification. Et puis, n'en doutons pas, il restera toujours un "fond de chaos et de ténèbres" pour témoigner de là où l'on vient, c'est-à-dire du fin fond, de très loin.
Le Pardon illumine l'être. Peu importe comment, ni quand ça a lieu: "L'essentiel de l'événement est qu'il soit "visible", éclairant et éclairé".
Chaque fois que mon cœur sourit à la vie en dépit de ses obscurités, je réponds d'une certaine manière à l'appel de Dieu: "Que la lumière soit!".
Le pardon n'est pas une fin en soi, une sorte d'auto-satisfaction lumineuse, bien au contraire, pardonner c'est se remettre en marche dans le sens de la lumière, et le propre de la lumière c'est l'alternance "quitte à passer vers d'autres ombres. Là est le point créatif".
Arrivé à ce point, soudain je regarde à ma montre: minuit trente! Pris par le texte de Sibony, vos commentaires et ce que je venais de vivre à la réunion, je n'ai pas vu passer l'heure!
Je parie qu'en me relisant demain matin, je trouverai ce texte obscur. Et tant mieux! J'aurais échappé ainsi à la tentation "d'être dans la lumière".
Merci à vous deux.
(Ps: nous sommes mardi 10 avril. Je viens de relire ce texte pondu hier soir avant d'aller m'écrouler sur le lit, mort de fatigue. Malgré l'affirmation précédente, je n'ai pu résister à la tentation d'y apporter deux corrections, oh! très mineures! Que voulez-vous, on ne change pas un homme comme ça du jour au lendemain.
Par ailleurs, c'est l'avantage que j'ai sur vous: je peux reprendre et corriger un texte autant de fois que je le voudrais, ce n'est pas juste, je le sais. Mais que voulez-vous encore une fois, comme dirait l'autre, c'est la vie!
Rassurez-vous, cela m'arrive rarement, de toute façon à quoi ça rime de chercher à vous cacher mes imperfections ? Réponse: à rien! C'est peine perdue, puisqu'elles sont innombrables, et puis souvenez-vous des paroles de l'apôtre Jean, qui sait de quoi il parle: "La lumière brille dans les ténèbres…", toujours!
Alors à quoi bon faire comme si…?).
Au plaisir de vous lire encore et encore!
Merci pour ce partage si intense sur le pardon.
Comment dépasser l'impossibilité de pardonner quand c'est à Dieu lui-même qu'on en veut ? Comment arriver à se laisser toucher à nouveau par la Parole ? Dieu, lui, ne désespère pas pour nous, il s'accroche et ne renonce jamais. Mais si je lui en veux parce que la maladie, la mort, la souffrance m'accable (la mienne ou celle d'un proche), si je le rends responsable de ma situation, de ma finitude, jamais je ne pourrais dépasser cette rancœur et aller contempler la lumière, me remettre en marche ! Vous qui êtes en contact avec les souffrants à l'hôpital, comment parvenez-vous à débloquer ce genre de situation, comment aidez-vous la personne à comprendre qu'il n'y a ni punition, ni fatalité, mais l'espérance ? C'est par vous que Dieu peut ne pas renoncer, vous êtes sa voix, ses mains, son regard. Merci.
Oui Alkaly, la forme de pardon que tu approches semble être conforme à celle que nous enseigne Jésus, celle que je perçois plus simplement . Sans pardon, c'est le statu quo des ténèbres. Le pardon est la seule lumière qui éclaire le mystère de l'amour-vrai. Lorsque je parle d'amour-vrai, je l'oppose à l'amour du chocolat ou de ses enfants. L'amour facile c'est l'amour naturel, l'inclinaison sans aspiration, l'attirance sans inspiration; alors que l'amour-vrai est celui de la transcendance, celui qui ne peut pas se réaliser sans l'aide du Très-Haut par l'imitation du Très-Bas.Cet Amour auquel nous ne pouvons pas parvenir sans écouter le Christ, sans que sa douceur ne nous pénètre jour après jour. Cette douceur de l'Espérance qui permet de dépasser les cloisons de notre frustrante condition pour recevoir et donner un pardon qui rend capable d'aimer autrement. Ce pardon qui éclaire de sombres parties de notre coeur pour faire ombre à notre esprit de domination. Alors, cette lampe à la flamme oscillante peut conduire vers l'amour-vrai. Vers l'amour qui donne sans attendre, sans retour parceque cet amour est trop grand car il vient de si haut, de si loin parfois qu'il nous absorbe en une dimension qui nous efface. L'amour-dilution du soi pour et par les autres. Un amour de l'absence. Un amour où le désir est absent, où notre désir est affacé au titre de l'amour pur. L'amour pur est un amour sans désir, un amour de l'effacement de soi pour l'autre. Cette condition, ou plus justement cet état de grâce permet d'aimer jusqu'au détestable. Ce qui est naturellemnt détestable pour nos propres sens, nos propres codes, nos désirs, notre petite personne. Cet amour exige de l'attention, beaucoup d'attention. Faire attention à l'autre, c'est cela lui porter attention, l'aimer. Cet amour est rare parcequ'exigeant. Parfois, au chevet des souffrants, nous parvenons peut-être à aimer purement. Mais Marie-hélène demande comment parvenons-nous à visiter les malades, quelle folle impudence, quelle folle imprudence nous pousse vers la souffrance qui a déjà tout verrouillée en l'autre ? Marie-Hélène évoque le déblocage d'une situation. Pour mon humble part, je crois qu'il faut aussi avoir ou savoir emprunter la porte de la souffrance pour retrouver l'autre, pour rentrer chez le souffrant derrière le mur du dénuement.C'est dans le risque du dénuement. C'est nu, sans désir ni science que le contact vrai peut avoir lieu. Alors lorsque cette rencontre est possible parfois s'opère le miracle de l'amour-vrai. Sans désir, sans exigence, encore moins sans souci de quelque résultat mais simplement animé d'amour-vrai l'espérance peut se dire. Plutôt se vivre, oui l'espérance ne se dit pas, elle se vit et ses traductions en vie sont inombrables et toujours singulières. Cela exige d'être attentif à l'innatendu, sans trop non plus car son propre désir risque de se réveiller. Visiter avec la bête du désir endormie et avancer dans la chambre avec la frêle flamme de l'Evangile en son coeur qui peut briller d'un faible éclat qui transperce l'épais brouillard des souffrances. La lumière ne fait pas de bruit, elle réchauffe, elle est silence, elle éclaire sans désir. La lumière n'est pas toujours instantanée et lorsqu'elle vient de très loin, il lui faut un certain temps pour que l'autre l'aperçoive, pour qu'elle l'atteigne. Les astro-physiciens affirment que la lumière que nous percevons des étoiles est dèjà très ancienne, qu'elle a été émise il y a très logtemps. Lorsque le temps et la distance se rejoignent en un point de jonction, n'est-ce pas la Lumière de la Croix qui brille en amour pur?
Alors toujours, je quitte l'autre et sa chambre sans jamis rien connaitre de la distance de la Lumière entre Dieu et la personne visitée. Ce que je sais, ce que je ressens parfois, c'est simplement si j'ai pu me trouver en amour-vrai pour peut-être servir de réflecteur à la Lumière du très-Haut. En ce sens, je ne puis en aucune circonstance être de quelque manière, ni la voix, ni les mains, seulement peut-être un regard éclairé par la lumière de Dieu.
J'aime Charles de Foucauld parcequ'il dit " Voir en tout humain Jésus, et agir en conséquence: bonté, respect, amour, humilité, douceur, pour faire pour lui plus que pour moi". ( retraite à Beni-Abbès, juin 1902).
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