lundi 27 juillet 2009

un fragment d'existence soustrait au temps

Ce devait être une séance comme une autre.
Il parlerait, associerait, superposerait des images…entre lesquelles s'intercalerait, involontairement, un rien de silence, que sa voix à elle, sa voix neutre et rassurante, viendrait interrompre en l'interrogeant par un "Et…!?" appuyé.
Il sursauterait alors, comme sorti brutalement d'un rêve mille fois visité, et parlerait encore, et associerait, se laissant porter par l'évocation des images plus ou moins insolites, des souvenirs plus ou moins agréables, des plus jouissifs aux plus repoussants…
Il s'écouterait se raconter sans jamais pouvoir rencontrer ce "je" qui prétend parler pour lui, en son nom propre.
Sa voix, à elle, à la fois douce et sans appel, lui indiquerait la fin de la séance, par un "Bien!", bien appuyé.
—"Déjà?", réussirait-il à marmonner en se levant.
Il paierait, lui serrerait la main et descendrait les escaliers comme un somnambule.
Ce jour-là, pourtant, rien ne se passa comme prévu.
Il venait de rompre une relation devenue trop compliquée, pour ne pas dire plus. Aussitôt étendu, il voulut parler, mais c'est le silence qui s'installa.
—"Et…!!?", demanda la voix.
Elle répétera. Insistera: "Pouvez-vous décrire ce que vous ressentez ?"
Il pleurait.
—"Je…Je…vois un bé…bé secoué par… des larmes, dans une solitude sans nom…."
—"Continuez, n'analysez pas, dites seulement ce que vous voyez".
—"Dehors, il peut. Dans la pièce brûle une petite lampe à pétrole… Je vois des ombres, dont celle d'une jeune femme, s'éloigner… La jeune femme s'arrache des bras minuscules qui cherchent désespérément à la retenir…"
— "Continuez…"
— "J'ai peur…Maman, ne m'abandonne pas! Reviens…reviens, s'il te plaît".
—"Continuez", encourageait la voix.
Mais il n'avait plus de voix.

A. Cissé



mercredi 1 juillet 2009

C'est à lire…

— "Curieux comme tant de gens dont nous respectons l'intelligence s'en servent…bêtement, tu ne trouves pas ?
— Ah! Tu ne vas pas te lancer dans une diatribe contre la sottise ?
— Mais non. Je te parle des gens informés, cultivés, et donc a priori pas sots, qui sont malgré cela victimes et propagateurs d'une pensée uniformisée.
— Pas facile de comprendre l'éternel phénomène du conformisme…
— Je ne dirais pas éternel: il s'agit d'aujourd'hui. Je veux comprendre comment un esprit sophistiqué et en apparence libre en vient souvent à patauger dans les poncifs et les idées toutes faites. Je crois qu'on peut identifier des mécanismes qui produisent de la bêtise dans l'intelligence. Certains sont bien connus, mais d'autres sont de pures nouveautés.
— Tu ne voudrais quand même pas dire que la bêtise s'améliore ?
—Et comment! Elle se renouvelle sans cesse. D'ailleurs, si elle était toujours semblable à elle-même, on finirait par s'en méfier, non ?"

Belinda Cannone La bêtise s'améliore, Stock, 2007

Belinda Caronne est romancière et essayiste. Elle a publié cinq romans dont L'Homme qui jeûne et plusieurs essais parmi lesquels L'Ecriture du désir (prix de l'essai de l'Académie française 2001) et Le sentiment d'imposture (grand prix de l'essai de la Société des gens de lettres 2005).

 Nous sommes au téléphone depuis une dizaine de minutes, je ne suis pas du tout à l'aise : —Attends s’il te plaît, lui dis-je, donne-moi...