"- La richesse de son parcours, tracé ici avec l’aide d’un « interviewer » dont on peut regretter peut-être qu’il soit l’un de ses admirateurs inconditionnels : cela ôte du naturel à l’entretien et ferait croire à un éloge un peu convenu si l’on ne connaissait l’un et l’autre, interviewer et interviewée. Point d’éloge de commande donc, mais une mise en abyme de l’écriture, la patte de Samuel Dock éclipsée – c’est la règle - par celle de Julia Kristeva, sans nul doute relectrice et co-auteur(e) de ces textes. Le genre toutefois reste mal défini : mémoires ? entrevues entre le journaliste de l’Huffington post et JK ? Somme d’une série d’entretiens hebdomadaires sur France Inter ? Cette dernière hypothèse expliquerait alors la redondance de l’éloge –non illégitime toutefois- dans un récit de vie nécessairement haché sur les ondes.
- Richesse néanmoins d’un tel parcours, dont l’un ou l’autre souligne le côté foisonnant (le nombre de publications), la volonté de poursuivre, l’intelligence et l’opiniâtreté constantes, l’aptitude à s’adapter.
- Une extraordinaire capacité d’adaptation en effet, sur laquelle nous nous sommes attardés : étrangère arrivant dans un milieu des plus fermés, elle a su se faire une place, sans déclencher d’hostilités, et rapidement se lier aux essayistes, penseurs ou professeurs les plus créatifs de l’époque, sans s’enferrer dans les querelles post-68 entre littérature et linguistique. Autrement dit, comme si elle avait su se préserver, en sa qualité d’étrangère, et prendre le meilleur de ce qui excitait la pensée et allait faire progresser les idées. Alliée aux meilleurs et aux plus « pointus » selon les querelles du moment (R.Barthes, Benveniste, Jakobson et Chomsky, Claude Durand, Françoise Héritier, Derrida…), engagée dans les courants du moment sans s’y perdre (féministe avec S.de Beauvoir, Claude Lanzmann, E. Badinter), elle passe d’une discipline à l’autre, arrive à relier littérature, linguistique, psychanalyse…
- Reconnue et intégrée dans ces cercles de pensée : la dimension humaine apparaît toutefois souvent, comme une idée fixe : le souci du fils handicapé. Problème de société toujours actuel, qu’elle prend à bras le corps, comme tout ce qu’elle fait.
- Une posture aujourd’hui internationale, et cependant elle continue à enseigner ou militer…Une femme convaincue qui a aimé la vie qu’elle a choisi après avoir accepté celle qui lui était donnée.
Ce livre d’entretiens a entre autres le mérite de démontrer qu’elle ne doit pas tout à son célèbre époux et qu’elle s’est construite elle-même. Sans doute aimerait-on l’entendre davantage, la lire elle et non son hagiographe, mais elle a tant publié que le choix est ouvert. Ses biographies ou « histoires de » (Thérèse d’Avila, Colette, Hannah Arendt…) proposent d’agréables moments d’écriture, très documentés.
Elle est probablement l’une (l’un) des rares écrivains contemporains à avoir pu ainsi toucher avec talent aux différents genres (littérature – fiction ou biographie, philosophie, psychanalyse) et à pouvoir les enseigner en spécialiste.
Réconfortant et admirable.
Le « voyage » enfin : une métaphore de sa vie ? Une mise à distance, pirouette pudique de sa part : sa vie ne serait que « voyage »…ne pas se fixer, toujours avancer…c’est le testament de modestie qu’elle livre p.93 [pour mon enterrement…il suffira d’écouter le Requiem de Mozart et de dire que je me suis voyagée…] ou titre un peu forcé pour casser le côté grandiloquent du genre des Mémoires ? L’audacieux néologisme de ce verbe si peu académique renvoie tant à ses origines qu’à sa posture devant la vie : J.K. aime le français mais n’oublie pas qu’il n’est pas sa langue maternelle et elle s’autorise surtout à être irrévérencieuse devant les usages…enrichissant ainsi la langue et la vie !"
Christiane Vaissade
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire