lundi 20 février 2012

A méditer: la situation du "est"

"Lorsque nous disons (…): "Le temps est beau", nous visons par "temps" un réel et un étant ; par "beau", la disposition réelle de cet étant ; et par le "est" (…), la façon dont cet étant, le temps, est étant de telle et telle façon, et par conséquent l'être de cet étant qui s'appelle, en l'occurrence, "temps"(…).
Le temps se détermine par la chaleur du soleil, la réflexion de ses rayons sur la terre, variable selon la nature du terrain, le vent (courant atmosphérique), la répartition de l'humidité, la charge d'électricité dans l'atmosphère, et ainsi de suite. Nous pouvons observer directement le temps et les conditions atmosphériques ; des appareils appropriés nous permettent de constater tout cela. Nous pouvons ainsi établir si le temps est bon, ou mauvais, ou encore "douteux". Le bon, le mauvais, le douteux rapportés au temps, cela se voit, cela se sent ; nous pouvons être directement au contact du temps, de l'état du temps.
Mais où se cache le "est"?
Qu'est-ce à dire que le temps "est" et qu'il "est" beau ? En quoi cela consiste-t-il ? Le beau temps — nous pouvons toujours nous en réjouir; mais quant au "est" ? Qu'en faire ? Nous pouvons bien relever sur l'hygromètre le degré d'humidité de l'air; mais aucun instrument ne nous permet d'établir ni de saisir le "est", ni ce que nous visons par ce "est". Mettons les points sur les i: il y a des hygromètres, des anémomètres, des baromètres qui indiquent comment "est" le temps, mais il n' y a pas de "est"-mètre, il n' y a pas d'instrument qui mesure ni puisse saisir le "est" lui-même. Et pourtant nous disons: le temps — à savoir lui-même— est tel ou tel. (…) Visant cela, à savoir l'être, nous ne prenons garde néanmoins, et tout au long, qu'à l'étant envisagé.
Dans le cas cité, c'est la situation météorologique, le temps qui nous "intéressent"; non le "est". Combien de fois par jour n'utilisons-nous pas, dans bien d'autres contextes, ce mot inapparent "est"! Mais comment pourrions-nous nous acquitter de nos besognes quotidiennes si chaque fois, ou ne serait-ce qu'une fois, nous pensions expressément au "est; si nous étions enclins à nous y arrêter, au lieu de nous laisser entraîner sur-le-champ et exclusivement dans l'étant auquel il faut vaquer, où il y va de nos desseins, de notre travail, de nos plaisirs, de nos espoirs et de nos craintes ? 
Ce qui est, l'étant lui-même, nous en avons connaissance, et que l'étant soit, nous en faisons l'expérience. Mais le "est" — où diable trouverons-nous le "est", et surtout, où chercher quelque chose de tel ?"


Martin Heidegger, Concepts fondamentaux". Collection Bibliothèque de Philosophie, Gallimard, 1985, pp.44-45

 Nous sommes au téléphone depuis une dizaine de minutes, je ne suis pas du tout à l'aise : —Attends s’il te plaît, lui dis-je, donne-moi...