samedi 6 novembre 2010

L'omnipotence "pare-honte": le livre de Job

"Le livre de Job confronte à une problématique qui pose la question de la honte par son absence même. Job traverse une situation extrême, ou une situation limite, et le texte peut être lu comme le compte rendu du travail psychique auquel le personnage est contraint pour survivre en particulier sous l'angle du lien à l'objet interne et de la fonction de l'idéal.
A aucun moment, Job n'est touché par la honte ou par la culpabilité, malgré toutes les tentatives exercées par ses amis. Sa femme va jusqu'à lui conseiller de se suicider en maudissant Dieu. La honte est absente de l'univers psychique de Job et s'il la mentionne en passant, c'est pour dire combien il ne se sent ni honteux ni coupable car il n'a rien fait de répréhensible. Evoquer la classique dénégation n'a ici aucun sens car Job est "réellement" innocent dans la mesure où il est l'objet d'un pari entre Dieu et le satan (1) qui se fait fort de démontrer son hypocrisie. L'enjeu est ailleurs.
L'absence de honte est donc énigmatique car tout, dans cette situation, est source de honte. Job est abandonné de tous, expulsé à la périphérie de la ville sur un tas de détritus, la peau rongée par un ulcère. Il a tout perdu, ses biens, sa réputation et sa famille. Comble de l'abandon, Dieu le prête de façon assez "sadique" aux turpitudes du satan. Comment Job parvient-il à traverser une situation honteuse sans éprouver de honte ? Qu'est-ce qui change en lui ? Peut-il survivre à un tel désordre traumatique sans être fou, et de quelle manière ?
Tel nous paraît être l'enjeu du Livre de Job: il échappe à la honte par un délire grandiose. La fin du texte, nous allons le voir, confirme cette hypothèse: Dieu sauve Job de la honte en restaurant le lien et l'histoire".


Albert Ciccone et Alain Ferrant, Honte, Culpabilité et Traumatisme, éditions Dunod, 2008, p.142
(1) Les auteurs écrivent "le satan" sans majuscule en précisant dans la note: "Dans l'empire perse, le "satan" était un conseiller chargé de mesurer et d'éprouver la sincérité et la fidélité des puissants autour du roi. Nous devons cette précision à Pierre-Yves Brandt, professeur de psychologie de religion à l'université de Lausanne."

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