En demandant à Jésus “Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ?”, le jeune homme riche, comme on le nomme communément, étale paradoxalement ses certitudes.
En effet, dans sa bouche, la vie éternelle semble être une chose finie, définie, et donc établie.
Dans sa réponse, Jésus introduit du jeu, on dirait même du dérapage, du déséquilibre en tout cas: et si la vie éternelle était plutôt un processus relationnel ?
Or, dans cet entretien, manifestement, des étapes semblent avoir été sautées ; le jeune homme, sans doute trop pressé, ne prend pas le temps nécessaire d'entrer en contact avec Jésus… Pour lui, l'important c'est ce qu'il doit faire pour avoir la vie éternelle!
A supposer qu'il sache exactement de quoi il parle, qu'est-ce qui est vraiment demandé ? Qu'est-ce que la vie éternelle ? Quelle est cette chose qui est demandée ? Est-ce une chose ? Est-elle en dehors du monde, de ce monde, est-elle dans "la vie vivante"? selon la belle expression de Dostoïevski.
Bien malin, à part peut-être le jeune homme, qui pourrait y répondre avec certitude.
Béance!
Comme à son habitude, Jésus ne répond pas, ou plutôt il répond mais comme à côté, histoire de voir venir, pour voir donc, juste pour voir.
—Pourquoi m'appelles-tu bon ?
C'est comme s'il lui disait "es-tu conscient de ce que tu dis ? Est-ce que tu ressens réellement ce que tu exprimes ? Pourquoi tant de mots dans ta bouche ?"
La Loi, les commandements de Dieu, cet homme les connaît par cœur et les applique depuis tout jeune! C'est ce qu'il affirme lui-même. C'est un champion de Dieu, un croyant presque sans défaut. Il mériterait vraiment une médaille en or!
Mais avant de la lui décerner, Jésus lui propose un dernier challenge, qui ne devrait pas a priori lui poser de problème:
—Va, lui dit alors Jésus, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, puis viens et suis-moi.
Puisque rien ne décourage son interlocuteur dans son désir de faire et de bien faire, dans son désir de posséder la "chose" par et pour lui-même; puisqu'il persiste dans le faire, quand il s'agirait plutôt de lâcher prise et de faire confiance, alors Jésus s'aligne sur sa logique.
Jésus devine-t-il que le riche, cette fois-ci, n'ira pas jusqu'au bout, qu'il va être confronté, enfin, à ses propres limites, à son impuissance à pouvoir faire tout ?
—Va…
Malgré les apparences, le riche n'est pas renvoyé à sa richesse, mais à sa pauvreté intérieure. Il n'est pas renvoyé à ce qu'il peut faire mais à ce qu'il est. Il n'est pas non plus renvoyé à sa culpabilité de ne pouvoir se séparer de ses biens, mais à prendre conscience du fait qu'il n'est pas nécessaire de faire ceci ou cela pour être aimé de Dieu. Car c'est précisément de l'amour dont il est question dans cet entretien. Mais, d'abord, l'homme est renvoyé à sa solitude, où il lui sera peut-être donné de se rencontrer lui-même et aussi de découvrir, dans les traits de celui qui se tient devant lui, un signe, quelque chose comme une réponse à sa quête.
—Va…, puis viens et suis-moi
Oui, et ça étonne le lecteur: Jésus lui dit à un moment donné: Va…, puis viens et suis-moi!
Cette proposition de Jésus contient une promesse, celle du possible, celle du changement!
Nous sommes d'accord, ce que le jeune homme demande, aucun être humain ne le possède en propre, c'est pourtant ce que lui offre spontanément Jésus:
—Et Jésus le regarda et l'aima, est-il écrit.
Ce serait donc "ça" la vie éternelle ? se savoir regardé et aimé ?
Peu importe qu'il soit en règle ou non avec les commandements, avec ce qui est attendu de lui, l'homme est aimé, accueilli tel qu'il est par Dieu!
Résumé provisoire: si je comprends bien Marc, l'auteur de cet évangile, recevoir "la vie éternelle en partage" n'est qu'une image pour dire l'expérience spirituelle d'une rencontre avec Dieu, un Dieu fondamentalement bon et aimant, tel que le révèle le visage du Fils!
L'apôtre Paul, dans sa première lettre aux Corinthiens, au chapitre 13, ne terminait-il pas par ces mots:
—Maintenant donc, ces trois choses demeurent: la foi, l'espérance et l'amour. Mais la plus grande de toutes c'est l'amour.
Et pourquoi donc ?
Parce que, poursuit Paul, l'amour est éternel: "La foi, l'espérance disparaîtront quand nous serons semblables à Lui (Dieu). Mais l'amour jamais!"
1. L'Evangile selon Marc, chapitre 10, versets 17 à 27
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