vendredi 22 septembre 2017

Quand les mots résistent

Soudain, un profond silence!
Non pas au-dehors
Non pas en moi…
Comment dire ?

Les mots me fuient…
Pourtant je ne manque pas d'idées
Mais que valent les idées
Quand les mots résistent ?






mardi 12 septembre 2017

Duras. Ecrire

"C'est curieux un écrivain. C'est une contradiction et aussi un non-sens. Ecrire c'est aussi ne pas parler. C'est se taire. C'est hurler sans bruit (…)
Un livre c'est l'inconnu, c'est la nuit (…)
Je ne sais pas pourquoi, ces mots que je viens de dire me font pleurer.
Ecrire quand même malgré le désespoir. Non: avec le désespoir. Quel désespoir, je ne sais pas le nom de celui-là."
Tout le livre tourne autour de ce thème cher à Marguerite Duras, Ecrire! C'est aussi le titre. Plus qu'une passion, écrire c'est sa vie même, cette conviction s'est imposée très tôt à elle, vocation confirmée, si l'on peut dire, par Raymond Queneau avec cette phrase: "Ne faites rien d'autre dans la vie que ça, écrire." L'écriture ne l'a jamais quittée.

C'est donc avec Ecrire que le Cercle de lecture ouvre sa première rencontre pour la saison 2017-2018, ce vendredi 15 septembre à 20h, chez moi, à Clichy.
Echanges et discussion, comme d'habitude, dès l'apéro jusqu'au repas; chacun apporte un peu de quoi nourrir ce petit monde! En principe on n'y meurt pas de faim ni de soif…!

Sarah Kane

"Le temps passe et je n'ai pas le temps", dit un des personnages de Sarah Kane, dans la pièce "Manque"!

A priori, rien de plus banal, et pourtant…de la naissance à la mort il y a ce manque structurel, non pas de temps mais d'être, cette course perdue à l'avance et qui pousse en même temps, sans garantie aucune, à espérer la gagner… Et si "être" et "manque", c'était la même chose ?

En cas d'amour

Plus je la lis, plus je suis conquis!
"Socrate va trouver la Pythie, il fait ce long chemin tout à fait physique, difficile, fatigant, pour s'entendre dire : "Connais-toi toi-même." Et s'il fallait aller très loin pour pouvoir se risquer au plus près de soi ? Nous sommes des êtres fragmentés, un feuilletage qu'une unité fragile et toujours renouvelée voudrait résumer en disant "je". Mais ce je, comment saura-t-il qui le compose, ce qu'il aime, ce qu'il désire, s'il ne se risque pas hors de lui-même pour, enfin, après revenir à soi ? Le dépaysement est l'image de ce trajet peut-être essentiel qui voudrait qu'on se perde pour se trouver (…) Quand on part, on ne revient pas le même, et c'est ce dépaysement, parce qu'il fait écho à nos fragmentations intérieures, qui brutalise nos accoutumances, tant il est vrai que nous percevons le monde avec des préenregistrements continuellement tamisés par ce que nous pensons déjà, savons déjà, anticipons, devinons, pressentons, pour ne pas être attrapés trop brusquement par l'inouï. Ainsi va l'amour quand il est de foudre. Il offre tous les dépaysements possibles…"

Anne Dufourmantelle, En cas d'amour. Psychopathologie de la vie amoureuse, Rivages Poche, p.156.

Carlo M. Cipolla

Un petit livre (63 pages!)qui fait du bien:
"L'humanité est dans le pétrin. Ce n'est pas une nouveauté, cela dit. Aussi loin que l'on puisse remonter, l'humanité a toujours été dans le pétrin. Le fardeau des soucis et des misères que doivent porter les êtres humains, comme individus ou comme membres de sociétés organisées, est à la base la conséquence de la manière hautement improbable, j'oserais même dire stupide, dont la vie fut vécue dès l'apparition de l'humanité.
Depuis Darwin, nous savons que nous avons des origines en commun avec "les membres inférieurs" du royaume animale; les vers de terre comme les éléphants ont à supporter leur lot quotidien d'épreuves, d'ennuis et de tracas. Les hommes ont pourtant le privilège d'en supporter une dose supplémentaire (la stupidité), dont la source est un groupe d'individus appartenant à ladite race humaine. Ce groupe est beaucoup plus puissant que la Mafia, le complexe militaro-industriel (…); c'est un groupe dénué de statut, sans structure ni constitution, sans chef ni président, qui réussit pourtant à fonctionner parfaitement à l'unisson, de telle sorte que l'activité de chaque membre contribue à amplifier et à rendre plus forte et plus efficace celle de tous les autres. Les pages qui suivent sont consacrées à la nature, au caractère et au comportement des membres de ce groupe (…) Ces pages sont en fait le résultat d'un effort constructif visant à détecter, à connaître et peut-être à neutraliser l'une des plus puissantes forces obscures qui entravent le bien-être et le bonheur de l'humanité."
Carlo M. Cipolla (1922-2000), Les lois fondamentales de la stupidité humaine, PUF, 2012, p.13

Lire Anne Dufourmantelle

Une forme d'éclectisme que nous sommes nombreux, paraît-il, à pratiquer: lire plusieurs livres en même temps! Cela réserve parfois de belles surprises, surtout quand il s'agit du même auteur. Ainsi ces deux citations:
"L'homme qui prend place devant elle est comme mort. Le regard n'accroche rien, la peau est blême, les mains seules paraissent conserver un semblant de vie indépendante, elles vont et viennent dans l'air, se nouent et se dénouent, font un ballet de pleureuses tandis que le reste du corps est de pierre. On devrait davantage observer les minéraux, les cailloux, la lave pétrifiée, les fossiles, la roche — ils nous disent ce que nous sommes. C'est dans cette minéralité qu'on se retranche lorsque l'amour vous est retiré.
— Je n'ai plus de raison de vivre, dit-il, depuis qu'elle est partie." (1)
"La douceur est une énigme. Incluse dans un double mouvement d'accueil et de don, elle apparaît à la lisière des passages que naissance et mort signent. Parce qu'elle a ses degrés d'intensité, qu'elle est une force symbolique et qu'elle a pouvoir de transformation sur les choses et les êtres, elle est une puissance.
Une personne, une pierre, une pensée, un geste, une couleur…peuvent faire preuve de douceur (…) En écoutant ceux qui viennent me confier leur détresse, je l'ai entendue traverser chaque expérience vécue. En méditant son rapport au monde, il apparaît que son intelligence porte la vie, la sauve et l'accroît." (2)
Deux livres, deux sujets différents, d'un même auteur, et pourtant, en plus de la justesse de l'analyse, il y a ce clin d'œil, si j'ose dire, d'un texte à l'autre, je veux parler du rapprochement que fait délicatement l'auteur, des "choses et des êtres", de "la personne" et de "la pierre"; d'une part "quand l'amour (nous) est retiré, nous apparaissons comme une matière morte,, tout semble éteint en nous, et d'autre part quel que soit le vécu ou la souffrance, il y a en chaque être humain une part de douceur, tout comme chaque chose, même une pierre peut "faire preuve de douceur"!
1) Anne Dufourmantelle, En cas d'amour. Psychopathologie de la vie amoureuse, Payot-Rivages, 2012, p.51
2) Anne Dufourmantelle, Puissance de la douceur, Payot Rivages, 2013, p.11

 Nous sommes au téléphone depuis une dizaine de minutes, je ne suis pas du tout à l'aise : —Attends s’il te plaît, lui dis-je, donne-moi...