- Regarde comme c’est beau, tu trouves aussi ?
- Bof… !
- Comment ça bof ? Moi, je dis que c’est beau, même très beau. Tu ne vas pas me dire le contraire…
- Tu peux penser ce que tu veux, mais ce n’est pas parce que tu décrètes une chose que cela entraîne l’adhésion des autres.
- Tu sais quoi ?
- Non…
- As-tu une idée de quoi nous parlons là, au-delà du vase qui vient de m’être livré ?
- Je ne vois pas de quoi d’autre il est question ici…
- Je te parle de ta difficulté à aimer ce que j’aime.
- Et nous y revoilà ! Toujours à tout ramener à toi. Tu sais bien que je ne conteste pas le fait que tu aimes ce vase, sinon pourquoi l’aurais-tu commandé ? J’ajouterais même que tu peux l’apprécier autant que tu veux, c’est ta liberté et ton droit. Par contre, j’aimerais que tu m’accordes la même liberté d’avoir une autre opinion que la tienne.
- En fait, ce que tu es en train de me dire c’est qu’on n’a pas le même goût, au moins c’est clair.
- A propos de cet objet, ici et maintenant, oui. Et cela me fait plutôt plaisir que tu l’admettes…
- Je l’admets, je l’admets…, tout dépend…, en fait je dirais que ce que toi, tu vois, ce n’est pas exactement ce qui m’apparaît à moi.
- Je m’attendais à ce que tu me sortes un tel argument, et je peux d’autant plus le retourner, en te disant que ce que nous voyons tous les deux n’est en fait qu’un construit, à partir du point de vue de chacun.
- Je ne suis pas tout à fait d’accord, le vase posé là devant nous est bien réel, nous ne l’inventons pas, rassure-moi.
- En effet, sa présence est bien réelle, mais ce qui apparaît, ce qui se donne à voir, vient de lui-même. Du moins si nous nous plaçons dans une perspective phénoménologique.
- Dans ce cas, le vase pourrait contredire ce que notre regard projette sur lui…
- Exactement, nous n’avons pas fini de le découvrir, c’est-à-dire de le laisser se dévoiler à partir de lui-même.
- Tu veux dire que nous sommes dans l’impossibilité de prévoir…
- Oui, en effet, la difficulté de voir, d’une manière générale, c’est qu’on n’accepte pas d’être précédé par la visibilité de ce qu’on croit tenir à l’œil.
- Alors, es-tu d’accord que l’on laisse reposer le vase pour aujourd’hui et revenir le revoir un autre moment ?
- Excellente idée.
NB : ce dialogue imaginaire est inspiré du livre du philosophe Jean-Luc Marion intitulé Ce que nous voyons et ce qui apparaît, éditions Ina, 2015, que j’ai déjà eu l’occasion de citer ici-même et sur fb.
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