mardi 15 avril 2008

L'histoire de Naaman (2 Rois 5)

D'emblée, je dois vous avouer une chose : j'ai du mal, j'ai toujours eu du mal à commenter la Bible, car chaque fois que j'essaie j'entends comme une petite voix me murmurer: "Comprends-tu ce que tu lis ?"
Et ce que je lis ici c'est entre autres "Va! lave-toi sept fois dans le Jourdain".
Bon, a priori c'est clair, c'est un ordre, mais c'est une parole qui ne me parle pas. Du moins tant que je la lis avec le projet de la commenter. Tant que je la lis en professionnel!
Et néanmoins, comme je ne veux pas perdre la face, je réponds à la voix anonyme: "Oui, je crois que je comprends un peu".
Je peux donc lire ou entendre sans comprendre et néanmoins commenter. Et néanmoins plonger dans l'eau profonde et trouble de la Parole, avec l'illusion d'en rapporter la quintessence, le sens, celui qu'il faut entendre!
Et c'est ici que, personnellement, je commence à bafouiller. Car la petite voix persiste: "Lis-tu seulement ce que tu comprends ou comprends-tu ce que tu lis quand tu lis": "va, lave-toi sept fois"? 
Bafouiller c'est pédaler dans sa salive, c'est barboter dans une espèce de voix boueuse, où mes mots flottent à demi, comme submergés par le doute, comme l'officier Naaman partagé entre le doute et l'espoir au moment de plonger dans l'eau du Jourdain.
Bafouiller c'est aussi un manque d'hygiène: je n'ai pas à l'instant de mots secs, propres à nommer mon expérience, non pas celle du professionnel, mais de simple lecteur concerné par ce qu'il lit. Que sait Naaman, à cet instant, de son expérience ? A l'instant où, ayant lâché prise  il consent à plonger sept fois dans l'eau?
Oubliant ce que je sais ou crois savoir, je m'interroge: Qui parle dans le texte ? A qui s'adresse-t-il ?
Et c'est souvent là où je me réveille, en sursaut. En effet c'est une manie chez moi, je sursaute chaque fois que je suis irrité, et je suis irrité chaque fois que je suis touché. Et cela me réveille, c'est-à-dire me sort du confort de ma neutralité. La parole "Va! lave-toi sept fois dans le Jourdain" me réveille littéralement. Non pas à cause du chiffre sept, chiffre parfait paraît-il, mais à cause de l'adresse.
Qu'est-ce qu'une parole en effet, sinon qu'elle est adressée ? Sinon quand elle me parle ? Et quand la Bible m'adresse la parole à travers un personnage comme celui de Naaman, je ne sais pas pourquoi, elle me renvoie toujours à ma propre expérience de croyant parlant, non pas tout seul, mais avec un autre Naaman, c'est-à-dire un homme en souffrance en quête d'un vis-à-vis, comme P.A.
J'ai rencontré P.A. dans un hôpital psychiatrique. La trentaine, grand, beau. Il ne dit "rien". Il a l'air de tourner en rond. Je suis là depuis un quart d'heure environ. Un surveillant s'approche de lui et lui dit (en me désignant) que je suis aumônier. La petite fille n'avait-elle pas indiqué à Naaman le lieu où il pouvait espérer trouver guérison ?
Alors P.A. est venu vers moi. Je lui ai demandé s'il préférait qu'on aille à l'extérieur? Il a dit "non, on reste ici". On s'est assis à l'écart dans la grande salle (une télé allumée en permanence au fond de la salle).
Comment ça va ?
—Pas fort!
—Que voulez-vous dire ?
—Pas fort, a-t-il répété.
—Voulez-vous qu'on en parle…? (il me fait oui de la tête) Qu'est-ce qui ne va pas ?
—Tout!
—C'est beaucoup "tout".
—Oui, tout.
—Avez-vous besoin de quelque chose là maintenant ?
—Oui, de paix!
—Quand vous dites "paix" vous pensez à quelque chose de précis? (il me regarde comme surpris par ma question). Où la situerez-vous la paix ? Ici, là (je désigne ma tête puis le coeur)?
—Les deux, me répond-il. Et il ajoute d'une voix étrange que je ne reconnais soudain plus: "Que les persécutions s'arrêtent".
—…!? Silence. On se regarde longuement. Vous savez qu'est-ce qui vous persécute ? Est-ce quelqu'un ?
—Oui, quelqu'un me persécute.
—Et vous voulez que "ça" s'arrête…
—Oui. (suit un long silence)
Ses yeux sont fixes et semblent viser un ailleurs dont je n'ai pas accès. Je me rends compte que je ne m'étais pas présenté. Lui non plus. Nous sommes deux inconnus qui se parlent. Je le lui dis en souriant. Histoire de le ramener dans le présent de notre singulière rencontre. Il se présente en ajoutant son nom de famille et le service médical où il est interné. Je comprends qu'il souhaiterait qu'on se revoit. Il me dit à un moment donné: 
—Dieu est amour, n'est-ce pas ?
—Oui, est-ce que vous le ressentez ?
Visiblement, il ne s'attendait pas à la question. On se regarde longuement, en silence! Il y a comme un semblant de complicité entre nous. Je sens que notre conversation touche à sa fin. On se reverra encore les semaines suivantes. Puis un jour, je me présente comme d'habitude au service:
Est-ce que je peux voir P.A. ?
—P.A. est sorti en début de semaine, il va beaucoup mieux!
J'étais à la fois surpris et content pour lui. Mais je ressentis aussitôt une petite déception, j'aurais voulu lui dire au revoir. Mais de quel droit, au fond ? P.A. poursuit son chemin, nos routes se sont croisées simplement.
Comme celles de Naaman et du prophète Elisée. N'en déplaise à Naaman, qui veut faire un cadeau à Elisée, mais une telle rencontre a-t-elle un autre prix que celui de la grâce ?
P.A. a-t-il réussi, comme Naaman pour sa lèpre, à se débarrasser de l'esprit persécuteur qui menaçait son intégrité ? Continuera-t-il à sentir au fond de lui l'amour brûlant et apaisant de Dieu ?
Et moi, lecteur, commentateur, bafouilleur hésitant devant la Parole de Dieu, suis-je sûr que mon souvenir déclenché par elle est un souvenir en tout point fidèle à ce qui est "arrivé" ?
Que mon souvenir ait été investi d'autres significations en le mélangeant avec l'histoire de Naaman, n'en fait pas pour autant un souvenir-écran. Dans ce qui est arrivé, entre P.A. et moi, s'est inséré peut-être autre chose qui nous échappe et qui ne nous appartient pas.

dimanche 13 avril 2008

Encore un rêve!

Décidément! 
Allez-y comprendre quelque chose.
"Je me promène. Il fait nuit. Je ne sais pas où je vais. Au coin d'une rue, alors que j'allais rebrousser chemin, mon attention fut soudain attirée par trois individus bizarrement vêtus que je n'avais pas remarqués. C'étaient Moïse, Elie et Jésus, ils riaient et mangeaient en même temps des fruits déversés la veille sur le trottoir par des agriculteurs en colère. Ils mangeaient et riaient aux éclats, en écoutant Louis Armstrong!
Peu à peu, je vis, venant de je ne sais où, une foule de gens de blanc vêtus envahir la place. Et, comme dans un film de science-fiction, de toutes parts, des arbres géants sortirent du sol, tandis que leurs branches s'entremêlaient au son des rythmes venus des terres lointaines. 
Et la foule, comme un seul homme, chantait en canon le refrain bien connu: 
"ô! Eternel-Dieu, quel bonheur d'être ici réunis, quelle joie de chanter tes louanges ensemble, sans discrimination de race, de religion ou d'appartenance politique!… ô! Eternel—Amour!".
A cette louange unanime, le ciel s'ouvrit et laissa passer des filets d'eau, alors des fleuves aux couleurs arc-en-ciel se mirent à couler et arrosèrent le jardin tout autour duquel nous nous trouvons à présent.
L'un de ces fleuves s'appelait l'Euphrate…
Je reçus, à cet instant précis, une goyave bien mûre dans la bouche, et je vis debout à côté de moi Eve qui souriait! Brusquement, je fus envahi d'un vague sentiment de honte, comme si je nous voyais nus tous les deux pour la première fois…
Aussitôt, je me réveillai en sursaut, suçant mon pouce et avec le mot "liberté" dans la tête!".
Voilà mon rêve.
Peut-être quelqu'un saura t-il l'interpréter?


Citation du jour

"Seule la pensée méditante mérite d'être appelée pensée. La pensée calculante ne pense pas, elle ne laisse pas être".
Martin Heidegger 

jeudi 3 avril 2008

Sarah !

Voici donc mon rêve. S'il vous paraît étrange ou inquiétant, relisez Genèse 18, 1-15.

"J'aperçois, assis sous leur tente, un peu à l'écart d'un groupe de trois hommes , Abraham et Sarah. Il fait chaud.
Une fillette passe en courant, elle crie à la cantonade: "Ils attendent, ils attendent…!".
J'ai compris qu'elle parlait du patriarche et de sa compagne. Mais pourquoi attendent-ils donc, me demandais-je? Comme si elle lisait dans mes pensées, la petite fille, revenue de je ne sais où ni comment, me murmura à l'oreille droite (pourquoi droite?) :"Ils sont très vieux, et ils sont toujours seuls, sans enfant…Non, ce n'est pas tout à fait exact, se reprit-elle, Abraham s'est bien débrouillé avec leur servante Hagar, sur le conseil de Sarah, paraît-il, pour avoir un enfant: il s'appellera non pas Isaac mais Ismaël", conclut la petite fille, qui disparut aussitôt.
Je rêve, ma parole, me suis-je dis: pour rester fidèles à la promesse de Dieu, ces deux-là n'ont toujours pas d'héritier! 
Sarah n'a pas arrêté de rire depuis mon arrivée. Etonné et curieux à la fois, je décide de l'aborder. Mais plus j'essaie de parler plus elle rit. Et plus elle rit, plus son rire me met en joie et plus les mots me viennent comme soufflés par son rire. Et c'est sur ce fond de rire contagieux  que m'est venu spontanément ce qui suit (bizarre, je ne vois plus Abraham dans mon rêve!):
"Sarah, ô Sarah! commençais-je.
Que tu es belle!
Et dire que tu as quatre-vingt dix ans révolus! Comment as-tu fait? conserver une telle beauté à un âge si avancé! Cependant, ce qui me captive le plus chez toi, c'est ton rire…! En effet, au lieu de ton silence habituel (qu'est-ce que j'en sais?), tes mots retenus, étouffés, ton obéissance sans condition…( je projette sur elle), tu as choisi de rompre net tout cela par ce rire qui fera tant réfléchir des générations entières… Un rire entendu: comme si tu disais, "il est quand même buté ce Dieu qui annonce sans sourciller: "Sarah aura un fils!".
Or, selon les sages, physiologiquement, tu n'es plus à l'âge de porter un enfant.
Et tu as ri…
Et ce rire parvient jusqu'à Dieu; et toi, comme un enfant surpris, tu nies sans conviction.
— Tu as bel et bien ri. Ah! ce rire, Sarah!, ton éclat de rire…! C'est peut-être la première fois, après Abraham, qu'un être humain se mesure ainsi à Dieu, en refusant l'illusion.
Peut-être qu'au "catéchisme" (où je vais chercher tout "ça"?) tu as été bourrée dedans, gavée de paroles pieuses. Au lieu d'une "éducation", c'est-à-dire une manière de faire germer, sortir, enfanter à une vie nouvelle, on t'a fait avaler une "instruction" religieuse, sans que tu aies eu le temps ou le pouvoir de la mâcher, de la mastiquer, bref de faire le tri. Au lieu de l'apprentissage de la confiance qui va à la rencontre de la Parole, on t'a asséné des vérités toutes faites (Sarah rit de plus bel).
Mais ce rire, Sarah! ah! ce rire spontané a levé l'obstacle de la fausse humilité et t'a rapprochée de Dieu. Paradoxalement, il rend crédible la promesse d'un nouveau-né.
Et ça ne s'invente pas le nom que vous lui réservez à ce petit "Isaac", ce qui signifie selon les traductions: "Que Dieu rie, sourie, soit bienveillant".
Ton rire est ainsi prémices d'une joie partagée. Et bientôt (comment je sais "ça"?) tu vas jubiler, Sarah! Car cet enfant préfigure l'humanité telle que Dieu la rêve, une humanité habitée par l'Esprit de Dieu, portée par le souci de l'autre, par le devoir de nourrir et d'abriter.
Oui, bientôt Sarah!  Car cet enfant annonce déjà un autre: Jésus! (Yeshoua) qui signifie "Dieu sauve".
Un Dieu qui s'incarne dans le rire pour sauver du désespoir et de la résignation.
A cet instant de mon rêve, je me mets moi aussi à rire."
Mince alors, mon propre rire m'a réveillé…
— Sara, où es-tu ?
Rien n'est perdu: tu m'as transmis ton rire, pour que je le partage!
Rions donc, amis, amoureux de la vie, vous qui consacrez du temps et peut-être votre vie entière à dire l'indicible, à rallumer la vie, à donner du pain à ceux qui ont faim, de l'eau à ceux qui meurent de soif, vous qui visitez les prisonniers, les malades, les désœuvrés, vous qui rassemblez ce qui est désuni, qui osez mettre à part un peu de temps pour penser hors des sentiers battus, qui réfléchissez à des questions dont vous n'êtes pas sûrs, comme Sarah, qu'elles soient réalisables.
Rions donc, amis, comme Sarah, parce qu'une "bonne nouvelle" est d'abord une nouvelle incroyable: c'est trop beau pour être vrai!
Et pourtant: "Y a-t-il une chose trop prodigieuse pour le Seigneur ? Au temps du renouveau, dit l'Eternel, Sara aura un fils".
A propos de Jésus, l'évangéliste Jean écrit: "A ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Ceux-là ne sont pas nés du sang ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu".
N'est-ce pas prodigieux ?
A bientôt, dans une semaine.
En attendant, riez, surtout de vous-mêmes! Ça fait tellement du bien!
Et laissez m'en une trace sur le blog.


mercredi 2 avril 2008

J'ai rêvé de Sarah!

Je vais être absent du blog pendant une semaine, rien de grave : je pars dans un endroit merveilleux, propice au recueillement et au silence! Mais j'y vais pour bosser, ou plutôt faire bosser les autres. 
Vous suivez ? Non ? Ce n'est pas grave.
Mais rien que d'y penser je me rends compte à quel point ce lieu de rendez-vous (je parle du blog) d'un genre singulier m'est devenu familier, attachant…! 
Si bien que je me surprends à penser au blog comme s'il s'agissait de mon enfant (c'est grave, docteur?) : que va-t-il devenir en mon absence ?Serez-vous là pour lui tenir compagnie, lui parler poésie, philosophie…, lui confier des mots d'amour, d'espérance…, et peut-être de protestation aussi ou de révolte? 
Bref, c'est dur de partir sans lui, mais il le faut. 
Et puis, une semaine qu'est-ce que c'est au regard de l'éternité?
Je sais, c'est prétentieux. 
Quoi que…
En fait, voilà, j'oubliais, je ne voulais pas m'arrêter là aujourd'hui, j'étais venu pour confier au blog, et aussi à vous par la même occasion, un soi-disant "rêve", vous voyez, histoire de lui laisser quelque chose à méditer pendant mon absence.
Ici je suis un peu injuste en qualifiant de "soi-disant" ce qui relève effectivement de l'imaginaire, que j'ai conçu comme dans un rêve, quoique éveillé, et dans un mouvement intérieur non maîtrisé, sans retenu, disons.
Seulement, voilà,  il vous faut attendre encore demain. Ce soir, c'est trop tard, il va être bientôt minuit et je sens mes paupières me trahir.
Promis, demain matin avant de partir je vous raconte mon rêve sur Sarah. Vous voyez au moins qui sait, Sarah ? Voyons, l'épouse du "père des croyants", comme on l'appelle: Abraham!
Mais oui, la chère vieille Sarah qu'Abraham appelait "ma princesse". En voilà un autre prétentieux. Non, Sarah, c'est la princesse, un point c'est tout, elle est ton épouse d'accord, mais tu ne la possèdes pas, admets-le père Abraham. C'est pour cela d'ailleurs qu'un pauvre hère comme moi peut en rêver sans culpabiliser.
A demain donc!

 Nous sommes au téléphone depuis une dizaine de minutes, je ne suis pas du tout à l'aise : —Attends s’il te plaît, lui dis-je, donne-moi...