samedi 6 juin 2009

C'est à lire…

"C'est pas comme un bijou mais ça se porte aussi, un secret. Du moins, lui, c'était marqué sur le front qu'il portait une histoire qu'il n'a jamais dite. Ou bien, s'il l'a dite, c'est à mi-teinte à travers des formules à lui, tout en mystères, quand pour seule vérité il a laissé, griffonné dans sa chambre, sur un post-it, un bout de phrase écrit au stylo à bille noir mais dont l'encre était complètement foutue. Il aura fallu qu'il appuie méchamment tant elle lui tenait à cœur, sa phrase. Sa mère a dit, Luc, il pouvait pas partir sans nous laisser de sa bouche la phrase qui s'y promenait.
Marthe a baissé les yeux pour raconter ça, cette histoire de phrase qu'il aurait eue dans la bouche. Et puis elle a passé ses doigts sur ses lèvres et il y avait de la salive aux coins, des taches blanches que les doigts ont enlevées juste avant qu'elle dise que tout ça c'était peut-être arrivé parce qu'à force d'être trop proches ils n'avaient rien pu voir de ce qui n'allait pas…"

Laurent Mauvignier, Loin d'eux, éditions de Minuit, 1999, p.9.

C'est son premier roman, il en a écrit plusieurs depuis, dont Apprendre à finir publié en 2000 et qui obtint le prix du Livre Inter.
A sa sortie, Loin d'eux fut salué par la critique comme un grand roman. Patrick Kéchichian, du Monde, résumait ainsi le livre:
"Barrière des générations. Difficultés concrètes de la vie. Mal-être des jeunes gens. Ces constats ne sont aptes à dire que leur impuissance. Personne, ni des parents ni des enfants, ne porte la responsabilité de ce silence qui s'est accumulé, de ce langage absent qui, peu à peu, s'est substitué à l'autre langage, celui dans lequel on peut se parler. Tous le subissent, ce silence, comme une fatalité, comme une protection aussi. Tous l'éprouvent, cette solitude à plusieurs que l'image de la famille amplifie, mais qu'elle ne compense jamais. Tous sont condamnés à ne rien partager de ce malaise, de cette douleur".
Oui, c'est à lire.
Bonne lecture donc, et n'hésitez pas à faire part de vos réactions sur le blog.

1 commentaire:

rr a dit…

Luc attendait quelque chose, de sa famille ou de la vie qui ne venait pas. Mais ils étaient pourtant tous là et disaient "rien de spécial, on est contents que tu sois là, j'ai nettoyé ta chambre" et ça leur suffisait à eux. A Luc, ça ne suffisait pas et alors il a parlé mais "J'ai dit, oui, je comprends, et dans ma voix il a vu que je ne comprenais pas. De ma voix, je suis sûr qu'il n'a pu entendre que ça, que je ne comprenais rien et que je laissais parler mon fils parce que c'était mon fils qui parlait. Il savait qu'il était seul vraiment et moi je l'ai vu aussi, à ce moment-là, comment il était seul vraiment, sans qu'on puisse dire c'est la solitude. … On se repasse ça de père en fils, comme si de génération en génération tout ce que les vieux n'avaient pas pu dire c'était les jeunes à leur tour qui le prenaient en eux".
Il fut très dense ce Cercle de lecture où nous avons évoqué la vie, l'amour, la mort ; aimer pour qui, pour quoi, comment, pourquoi, entendre, écouter, dire …
Car entre :
ce que je pense,
ce que je veux dire,
ce que je crois dire,
ce que je dis,
ce que vous voulez entendre,
ce que vous entendez,
ce que vous croyez comprendre,
ce que vous voulez comprendre,
et ce que vous comprenez,
il y a au moins neuf possibilités de ne pas s'entendre !

 Nous sommes au téléphone depuis une dizaine de minutes, je ne suis pas du tout à l'aise : —Attends s’il te plaît, lui dis-je, donne-moi...