lundi 5 octobre 2009

Citation du jour: "Quand nos yeux se touchent, fait-il jour ou fait-il nuit ?" (signer une question d'Aristote)

"Ne faut-il pas choisir entre regarder, voire échanger ou croiser des regards, et voir, tout simplement voir? et d'abord entre voir le voyant et voir le visible ? Car si nos yeux voient du voyant plutôt que du visible, s'ils croient voir un regard plutôt que des yeux, dans cette mesure du moins, dans cette mesure en tant que telle, ils ne voient rien, dès lors, rien qui se voie, rien de visible. Ils sombrent dans la nuit, loin de toute visibilité. Ils s'aveuglent pour voir un regard, ils évitent de voir la visibilité des yeux de l'autre pour ne s'adresser qu'à son regard, à sa vue seulement voyante, à sa vision (…).
Est-ce le jour, ici, à cet instant ? (…)
Faudrait-il faire la nuit, faire paraître la nuit pour se voir regarder l'autre ou pour se voir regardé par l'autre ? Pour voir l'autre nous voir, soit à la condition qu'alors nous ne voyions plus la visibilité, seulement la voyance des ses yeux ? Est-ce cela, la nuit, notre première nuit, le premier sens, le sens fort du mot "nuit" ?
Le premier qu'il nous faille avoir le goût d'entendre, avant de voir ou de toucher ?
—Répétons cette question. Mais déplaçons-la cependant en prenant acte de son déportement: "Est-ce le jour, alors, à cet instant ? Est-ce la nuit ?
Si l'on répond "la nuit", ne dirait-on pas que dans la constance de ce contact, dans l'interruption consentie qui les tient ensemble, les yeux se touchent alors en aveugles ?
Cependant, elle m'objectait, celle que je surnomme la question, ou je m'objectais, moi-même, à moi-même: "à moins qu'ils ne commencent ainsi à s'entendre, justement".
— Mais justement, quand je croise ton regard, je vois et ton regard et tes yeux (…), et tes yeux ne sont pas seulement voyants mais visibles. Or parce qu'ils sont visibles, je pourrais les toucher, justement, du doigt, des lèvres et même des yeux…"


Jacques Derrida, Le toucher, Jean-Luc Nancy, éditions Galilée, 2000, p.12-13. (Livre de philosophie, 354p). C'est à lire, pour aller à la rencontre de la pensée du "toucher" dans l'œuvre de Jean-Luc Nancy, vue, regardée, touchée par Derrida!

2 commentaires:

Anonyme a dit…

c'est beau

Anonyme a dit…

merci de faire découvrir Didier Squiban . La musique atteint l'être d'une façon si personnelle, si directe, si intime! Elle est un langage muet, puisque sans parole . On entend tellement mieux sans parole , peut-être comme on voit mieux de nuit.
est-ce Là , se toucher ?

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