lundi 28 novembre 2011

Mon jour de repos!

Je n'ai pas fait grand-chose de la journée…
A part deux ou trois petites choses…

Chez Renault minute, pour une affaire de pare-chocs,
je suis reparti en moins de dix minutes…
C'était peu de chose, m'a dit le mécanicien.
Vous n'avez rien à payer.
Je suis reparti tout joyeux!

De retour à la maison, j'ai ouvert Ainsi parlait Zarathoustra:
"Je vous le dis: il faut avoir en soi-même quelques chaos pour engendrer une étoile qui danse."
Puis j'ai pris Œil ouvert et cœur battant: 
"Notre présence au monde peut nous paraître banale ou miraculeuse, selon la sensibilité de chacun. Mais tous, nous admettons qu'il y a là un mystère. Nous n'étions pas là, et un beau jour, nous nous découvrons là, pour un laps de temps. Une fois plongés dans ce monde tel qu'il s'offre à nous, deux phénomènes, entre autres, nous frappent particulièrement, deux phénomènes extrêmes qui constituent pour ainsi dire des mystères dans le mystère, celui du mal et celui de la beauté."
Je me suis dit, ces deux-là, Friedrich Nietzsche et François Cheng, ils disent quelque chose…
Mais j'avais l'esprit ailleurs.
Il faut quand même que je le rédige cet article sur Croyances et Valeurs…

Je suis allé dans le jardin, quelques pigeons s'y étaient donné rendez-vous,
je me suis senti, un instant, comme l'un d'eux.
J'étais bien, on étaient bien!
C'était mon jour de repos…
Puis, je me suis mis à observer ces prochains radicalement différents de moi,
alors j'ai cessé de me sentir bien, j'étais devenu observateur, et non plus une présence!
Déçu, j'ai essayé de m'étirer, les oiseaux ont peut-être cru que j'applaudissais,
leurs battements d'ailes dans l'air m'ont ému jusqu'aux larmes!
Je suis rentré et j'ai écrit deux ou trois phrases, mon article prenait forme…
Ma journée s'est bien passée, pourtant je n'ai pas fait grand chose,
C'était mon jour de repos!

mardi 22 novembre 2011

Lire, relire Charles Juliet

"Ces êtres qui, par peur, besoin de sécurité, trahissent la vie, se réfugient dans le mensonge ou l'illusion, ces êtres sont toujours perdants. Car le plus souvent, la vie se venge, et un jour, il se révèle qu'ils ont été détruits par cela même qui devait assurer leur protection."


Charles Juliet, Traversée de nuit, Journal II, 1965-1968, Editions P.O.L, 1997, pp. 35-36

lundi 21 novembre 2011

Le sens du monde se situe hors du monde, selon Wittgenstein

"Le sens du monde doit se trouver en dehors du monde. Dans le monde toutes choses sont comme elles sont et se produisent comme elles se produisent: il n'y a pas en lui de valeur —et s'il y en avait une, elle n'aurait pas de valeur.
S'il existe une valeur qui ait de la valeur, il faut qu'elle soit hors de tout événement et de tout être-tel. Car tout événement et être-tel ne sont qu'accidentels.
Ce qui les rend non-accidentels ne peut se trouver dans le monde, car autrement cela aussi serait accidentel.
Il faut que cela réside hors du monde."


Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, Gallimard, 1961, p.103

mercredi 16 novembre 2011

Il est urgent de lire Michel Henry

"Le principe de toute critique radicale, de toute critique phénoménologique est le suivant: c'est l'exigence de faire voir la réalité dont on parle, si l'on prétend justement que c'est une réalité, c'est la nécessaire exhibition de ce qui doit faire le thème du discours ou de la recherche. Faire voir (…) ce dont on parle, c'est le faire entrer dans ce milieu de visibilité, dans cet horizon de lumière (…) que Heidegger appelle le monde. Mais le monde, précisément, est un milieu d'extériorité radicale. C'est l'extériorité qui rend visible, qui est la visibilité même (…).
Considérons par exemple le mur de cet amphithéâtre, ce mur dont nous disons qu'il est. Quel est l'être de ce mur ? Pour le sens commun, il n' y a pas de différence entre le mur et l'être du mur. Mais pour nous qui sommes philosophes, l'être du mur, ce n'est pas le mur, c'est bien plutôt sa négation. C'est le mur, mais dans son extériorité radicale par rapport à soi. D'ailleurs regardons ce mur. N'est-il pas extérieur à lui-même, ne se tient-il pas dans une sorte d'extériorité sans laquelle il ne se donnerait pas à nous ? Car notre regard qui atteint le mur n'est pas un comportement ontique, un processus psychique. Ce regard n'est rien d'autre que l'extériorité du mur par rapport à soi. Ainsi en est-il non seulement du mur mais des éléments qui le composent, des briques et finalement des atomes. Chacun de ces éléments n'est qu'en tant qu'il est nié, en tant qu'il est immergé dans ce milieu de néant qui lui permet de se manifester. Et ce n'est pas vrai seulement pour le mur, pour les choses matérielles mais pour tout ce qui est.
 Il y a une sorte d'extériorité radicale qui transit toute chose et qui, la mettant proprement à l'extérieur d'elle-même, lui donne, dans cette extériorité par rapport à soi, la possibilité d'être en se manifestant. Moi-même, je n'échappe pas à cette loi. Je ne suis que pour autant que je me manifeste et je ne me manifeste que pour autant que je suis, moi aussi, traversé par cette extériorité universelle. Je suis un autre.
Que devient alors cette prétendue dimension d'intériorité dont nous parlons ? Comment donc l'intérieur pourrait-il être ? Il ne pourrait le faire qu'en entrant lui-même dans la lumière de l'être, c'est-à-dire en s'extériorisant, en s'objectivant (…).
Ces présuppositions ontologiques si puissantes et si universelles, qui ont été portées à la clarté du concept par la philosophie moderne et qui rejoignent d'ailleurs celles de Kant, qu'elles développent, nous voulons les mettre en question, non pas sur un plan général, mais à propos d'un exemple particulier, et cet exemple sera celui du corps, de mon corps.
Il peut paraître paradoxal, pour légitimer ce concept d'une intériorité radicale et, par là même, le concept d'âme, de faire appel au corps. Ce paradoxe s'atténue dès que se fait jour l'idée d'un corps subjectif. Lorsque le corps, en effet, est interprété, non plus comme d'une façon naïve et unilatérale comme un objet, mais aussi comme un sujet, et peut-être comme le sujet véritable, comme la source de notre connaissance sensible,  et lorsque cette connaissance sensible, à son tour, au lieu d'être traitée comme un mode inférieur de la connaissance, est saisie comme le sol et le fondement de toute connaissance possible, alors l'analyse du corps ainsi compris dans sa subjectivité originelle peut sembler nous conduire à cette intériorité que nous cherchons."

Michel Henry, De la phénoménologie, Tome I, Phénoménologie de la vie, PUF, 2003, pp. 23-25

vendredi 11 novembre 2011

C'est à (re)lire

"Rêve. "Ne m'oublie pas."
Ce sont les mots que j'adresse à une femme qui s'en va. Je m'aperçois, à peine les ai-je prononcés, que ce sont justement les mots qu'il ne fallait pas dire. Ils sont porteurs d'une plainte, ils me mettent dans la position du quémandeur d'amour. C'était cela que la femme en question (non identifiée dans le rêve) ne supporterait pas et qui la ferait fuir.
"Ne m'oublie pas", mon appel est un reproche, il est trop insistant, il aura l'effet contraire de celui que je souhaite, elle ne va pas tarder à m'oublier, à faire en sorte que je n'aie jamais existé à ses yeux.
De ce rêve je sors meurtri, annihilé.
Etre reconnu est au cœur de la demande d'amour. Etre reconnu dans son existence singulière. Cela commence avec le regard, celui d'une mère sans doute. Je me vois dans ce regard qui se porte sur moi: j'existe. Désarroi si ce regard me fuit, se porte ailleurs, est indifférent, hostile ou si je m'aperçois que je me suis leurré en croyant qu'il m'était destiné. Plan inoubliable d'une scène de La Ruée vers l'or : Charlot croit que la jeune femme dont il est amoureux se dirige vers lui, elle sourit, il est aux anges mais non, c'est un gros homme qui est derrière lui qu'elle va rejoindre.
Quand dans la rue les piétons me heurtent sans même s'en apercevoir ou ferment brusquement la porte du magasin où je m'apprêtais à entrer, je me retiens de m'écrier: "Mais enfin je suis là, j'existe." Ils ne m'ont pas vu, à moins qu'ils n'aient feint de ne pas me voir. Ce n'est pas qu'ils m'aient évité comme on cherche à éviter un fâcheux, non, je suis hors de leur champ de vision.
J'ai sur ma table le roman de Sylvie Germain qui s'appelle justement Hors champ. J'y trouve, accentué à l'extrême, ce que j'éprouve a minima dans ce que je viens d'évoquer avec ces passants qui, niant ma présence physique, m'annulent.
Aurélien, le héros du roman de Sylvie, traverse une à une les étapes de la non-reconnaissance : par les passants qu'il croise, les collègues, les amis, les proches, son chien, la femme aimée, impatiemment attendue et soudain indifférente et, pour finir, sa mère — "Non, pas toi maman, pas toi".
Si, toi aussi. La boucle est bouclée.
Peu à peu Aurélien devient l'homme invisible, impalpable, transparent, sans corps et sans ombre. Partout autour de lui on s'active, on parle, on joue, on se dispute, on aime, on mange, on boit.
C'est la vie, quoi!
"Ne m'oubliez pas", crient dans le désert tous ceux que nous ne voyons pas et qui en viennent comme Aurélien à s'effacer eux-mêmes. Ces anonymes, nous les désignons par un nom collectif: S.D.F., exclus, épaves, asociaux. Peut-être jadis ont-ils été des humains. Eux non plus ne se souviennent pas de ce temps-là"


J.-B. Pontalis, En marge des nuits, Gallimard, 2010, pp. 30-32

 Nous sommes au téléphone depuis une dizaine de minutes, je ne suis pas du tout à l'aise : —Attends s’il te plaît, lui dis-je, donne-moi...