Blanchot encore, toujours…, résolument!
"Il poursuivait, en nageant, une sorte de rêverie dans laquelle il se confondait avec la mer. L'ivresse de sortir de soi, de glisser dans le vide, de se disperser dans la pensée de l'eau, lui faisait oublier tout malaise. Et même, lorsque cette mer idéale qu'il devenait toujours plus intimement fut devenue à son tour la vraie mer où il était comme noyé, il ne fut pas aussi ému qu'il aurait dû l'être: il y avait sans doute quelque chose d'insupportable à nager ainsi à l'aventure avec un corps qui lui servait uniquement à penser qu'il nageait, mais il éprouvait aussi un soulagement, comme s'il eût enfin découvert la clé de la situation et que tout se fût borné pour lui à continuer avec une absence d'organisme dans une absence de mer son voyage interminable.
L'illusion ne dura pas.
Il lui fallut rouler d'un bord sur l'autre, comme un bateau à la dérive, dans l'eau qui lui donnait un corps pour nager. Quelle issue ? Lutter pour ne pas être emporté par la vague qui était son bras ? Etre submergé ? Se noyer amèrement en soi ? C'eût été certes le moment de s'arrêter, mais un espoir lui restait, il nagea encore comme si au sein de son intimité restaurée il eût découvert une possibilité nouvelle.
Il nageait, monstre privé de nageoires. Sous le microscope géant, il se faisait amas entreprenant de cils et de vibrations. La tentation prit un caractère tout à fait insolite, lorsque de la goutte d'eau il chercha à se glisser dans une région vague et pourtant infiniment précise, quelque chose comme un lieu sacré, à lui-même si bien approprié qu'il lui suffisait d'être là, pour être ; c'était comme un creux imaginaire où il s'enfonçait parce qu'avant qu'il y fût, son empreinte y était déjà marquée.
Il fit donc un dernier effort pour s'engager totalement. Ce fut facile, il ne rencontrait aucun obstacle, il se rejoignait, il se confondait avec soi en s'installant dans ce lieu où nul autre ne pouvait pénétrer.
Finalement il dut revenir…"
Maurice Blanchot, Thomas l'obscur, Gallimard, 1950, pp.11-12
mercredi 26 décembre 2012
jeudi 20 décembre 2012
lundi 10 décembre 2012
Poésie. C'est à lire
Patrick Colin nous invite, au gré des saisons et des paysages, à une promenade singulière où il s'agit, simplement, d' être là, juste là.
Extrait:
12 novembre 2007 Toulouse
Ouvert à je ne sais quoi
à l' advenue inimaginable
Je vois
une coulée de peinture verte
sur le jaune du radiateur.
De cette vision découpée
je ne tire aucune conclusion
aucune idée,
juste ce trait vert
me fait signe.
Patrick Colin, d'un chemin qui n'en serait pas un…, The bookEdition, collection arabesque, 2012
Extrait:
12 novembre 2007 Toulouse
Ouvert à je ne sais quoi
à l' advenue inimaginable
Je vois
une coulée de peinture verte
sur le jaune du radiateur.
De cette vision découpée
je ne tire aucune conclusion
aucune idée,
juste ce trait vert
me fait signe.
Patrick Colin, d'un chemin qui n'en serait pas un…, The bookEdition, collection arabesque, 2012
Apprendre à philosopher avec Heidegger
"Heidegger est un philosophe réputé difficile, tant par le thème de son oeuvre, qui est la question de l’être, que par son langage et son style même.
Sans doute ne peut-on pas dissocier le thème et le style de la langue, celle-ci étant déjà ce à travers quoi il se dit.
Les dix notions essentielles de la philosophie heideggérienne développées ici se veulent une invitation et une clé de lecture à l’oeuvre de ce grand philosophe, sans doute le plus grand du XXe siècle.
Le lecteur trouvera donc ici quelques appuis lui permettant d’entrer et de cheminer dans cette pensée poétique et rigoureuse, et peut-être d’avoir le plaisir de s'y perdre pour mieux s'y trouver."
Edith Blanquet, Apprendre à penser avec Heidegger, éditions Ellipses, 2012
samedi 24 novembre 2012
mercredi 24 octobre 2012
Robert et Joséphine, de Christiane Veschambre
Actualité
Christiane Veschambre sera à Champigny sur Marne le vendredi 26 octobre à 19h30, dans le cadre des rencontres du Cercle de Lecture, que j'anime au 13 rue Jean Jaurès. L'écrivain lira des extraits de son livre Robert et Joséphine (1), et dialoguera avec le public. La soirée se prolongera par une collation.
(1) Editions Cheyne, 2008.
jeudi 11 octobre 2012
Toni Morrison
"A qui est cette maison?
A qui est la nuit qui écarte la lumière
A l'intérieur ?
Dites, qui possède cette maison ?
Elle n'est pas à moi.
J'en ai rêvé une autre, plus douce, plus lumineuse,
Qui donnait sur des lacs traversés de bateaux peints,
Sur des champs vastes comme des bras ouverts
Pour m'accueillir.
Cette maison est étrange.
Ses ombres mentent.
Dites, expliquez-moi, pourquoi sa serrure
Correspond-elle à ma clef ?"
mercredi 10 octobre 2012
C'est à lire
Clément Rosset
L'Invisible
Les éditions de Minuit, 2012
96 p.
Réflexions sur la faculté humaine de voir ce qui est invisible, d’entendre ce qui est inaudible, et de réaliser cet exploit, apparemment contradictoire, qui consiste à ne penser à rien.
L'Invisible
Les éditions de Minuit, 2012
96 p.
Réflexions sur la faculté humaine de voir ce qui est invisible, d’entendre ce qui est inaudible, et de réaliser cet exploit, apparemment contradictoire, qui consiste à ne penser à rien.
Salon de la Revue
ESPACE DES BLANCS MANTEAUX
13 ET 14 OCTOBRE
ENTRÉE LIBRE
adresse
48 rue Vieille du Temple 75004 PARIS
Métro Rambuteau ou Hôtel de Ville
http://www.entrevues.org/
13 ET 14 OCTOBRE
ENTRÉE LIBRE
adresse
48 rue Vieille du Temple 75004 PARIS
Métro Rambuteau ou Hôtel de Ville
http://www.entrevues.org/
mardi 11 septembre 2012
Clément Rosset
"Rien de plus fragile que la faculté humaine d'admettre la réalité, d'accepter sans réserves l'impérieuse prérogative du réel. Cette faculté se trouve si souvent prise en défaut qu'il semble raisonnable d'imaginer qu'elle n'implique pas la reconnaissance d'un droit imprescriptible - celui du réel à être perçu - mais figure plutôt une sorte de tolérance, conditionnelle et provisoire. Le réel n'est généralement admis que sous certaines conditions et seulement jusqu'à un certain point : s'il abuse et se montre déplaisant, la tolérance est suspendue. Un arrêt de perception met alors la conscience à l'abri de tout spectacle indésirable."
Clément Rosset, Le Réel et son double
mercredi 29 août 2012
LE OUI DE PAUL RICŒUR
"Entouré de ses livres et de ses souvenirs, Paul Ricœur veille. Toute sa vie, il a parcouru le monde pour questionner les penseurs de son temps. Mais son double, sous les traits d’une chouette, vient se poser sur son épaule, et l’invite au plus grand des voyages : approuver sa propre naissance, trouver le chemin délicat entre dire trop oui et dire trop non, pour consentir à soi-même et au monde, comprendre l'orientation vers le oui des choses mêmes. Un petit livre pour les enfants et les anciens, un parcours de méditations à raconter."
Le Oui de Paul Ricoeur
Auteur : Olivier Abel
Illustratrice : Eunhwa Lee
Editeur : Les petits Platons
ISBN : 9 782361 650087
lundi 16 juillet 2012
Cioran
"Crier, vers qui ? tel fut le seul et unique problème de toute ma vie"
Cioran, Cahiers 1957-1972, Gallimard, p. 18
Cioran, Cahiers 1957-1972, Gallimard, p. 18
vendredi 13 juillet 2012
Méditation
L'idée était là, déjà, depuis un certain temps: réintroduire du "spirituel" dans le blog, plus précisément entreprendre de commenter, de façon ponctuelle, tel ou tel passage de la Bible, sans autre justification ni visée autre que celle de chercher, questionner, croire, penser ce que je crois.
Il restait à trouver un prétexte, quelque chose qui arrive, affleure, met en mouvement vers l'écriture… Un mot, une allusion, un événement, une question, par exemple: "cela fait longtemps que vous habitez ici ?"
Habiter… demeurer…
J'associe vite, très vite. Trop vite?
Trop tard, je suis déjà dans l'évangile selon Jean.
« Maître, où demeures-tu ? » (1)
Ils ne connaissent pas Jésus, c'est la première fois qu'ils le rencontrent. Et il se passe déjà quelque chose entre eux et l'homme de Nazareth. Ils ne savent pas quoi, mais leur question le laisse deviner:
« Maître, où demeures-tu ? »
Veulent-ils simplement savoir, par prudence, avant de le suivre, où habite Jésus ? Leur demande signifierait-elle autre chose? par exemple, qu'ils n'ont pas l'intention d'en rester là, maintenant que Jean-Baptiste leur a présenté Jésus? Et si c'était la rencontre de leur vie ?
—"Maitre, où habites-tu ?"
La question a son importance, et si on l'élargit, —et je le fais tout de suite, tant pis pour le raccourci — elle devient : le mystère de Dieu, "caché" en Jésus le Christ, peut-il être approché ? pouvons-nous y être accueillis, nous aussi, et à quelle condition ?
La réponse de Jésus ne lève pas tout de suite le voile! elle reste en effet énigmatique :
—« Venez et voyez », leur dit-il.
Comme souvent chez Jean, le lecteur saisit sans difficulté certains aspects des paroles et des gestes de Jésus, mais il reste quand même sur sa faim, comme si quelque chose de plus important résistait à sa compréhension. Comme si le texte, pour devenir parole vivante, attendait un retournement à l'intérieur même du lecteur.
En demandant à Jésus "où demeures-tu ?", André et l'autre compagnon (il n'est pas nommé) ne nous invitent-ils pas précisément à faire comme eux, c'est-à-dire à nous mettre aussi en route afin, si possible, de naître à nous-mêmes dans cette demeure imprenable où Jésus nous convie? (N'exhortera-t-il pas les disciples plus tard à demeurer en lui, comme lui-même demeure en eux?)
—"Venez et voyez!".
A présent, c'est-à-dire à la lumière de ce qui précède, nous pouvons accueillir cette parole comme une invitation à faire l'expérience de la pré-sence effective de celui qu'on ne peut pas se re-présenter. Dit autrement: pour espérer faire l'expérience vivante et vivifiante du divin, il faut renoncer à capturer le divin, mieux, il faut partir… hors de sa propre demeure, hors de toute certitude, et répondre à l'appel : venez et voyez!
Voir quoi au juste? l'invisible ?
—Venez et voyez!
"Voir", ce n'est pas avoir la démonstration de ce qu'on espère, c'est tout simplement se décentrer de soi, faire l'épreuve du détour par l'altérité, par le regard qui me fait devenir moi-même.
Cependant, pour rejoindre Jésus, il faut au préalable clarifier pour soi-même la question par laquelle l'homme de Nazareth accueille les deux disciples: —"Que cherchez-vous.", leur demande-t-il.
Question importante, car on la retrouvera encore à deux reprises dans les évangiles:
— à l'arrestation de Jésus au mont des oliviers.
— et au matin de Pâques, quand Marie-Madeleine cherche Jésus dans le jardin.
Donc la même question est posée, au début et à la fin de l'Evangile, comme pour encadrer tout l'Evangile. Comme si la Bonne Nouvelle —Dieu en nous et parmi nous— commençait et se terminait par la même question:
—Que cherchez-vous ?
Cette question nous renvoie à nous-mêmes: certes nous cherchons, mais que, qui cherchons-nous?
Il s'agit de passer d'une recherche sans objet, une recherche floue, à une confession de foi fermement affirmée: "mon Seigneur et mon Dieu!", comme le fera plus tard Thomas-Didyme, le jumeau, appelé Thomas "l'incrédule".
Autant dire que cette belle confession est par essence, comme toute confession de foi, de l'ordre du provisoire, elle n'enferme pas dans une certitude close sur elle-même, elle ne peut pas se soustraire à l'épreuve du doute, elle comportera toujours dans sa clarté même le "clair-obscur-humain".
En commençant cet entrefilet, j'avais en tête la question de cette dame qui m'interrogeait pour savoir depuis combien de temps j'habitais chez moi; et sa question m'a conduit à me souvenir d'une autre question:
—Maître, où demeures-tu ?
Pour moi cela signifiait:
—Seigneur, je n'arrive pas à me tenir-au-dehors-de-moi, je me sens perdu à l'intérieur, emmuré, je voudrais en sortir mais je ne sais pas comment m'y prendre.
Et si l'homme ne pouvait se trouver (comme possibilité d'être) qu'en s'abandonnant à ce qui le transcende ?
—Venez et voyez!
Je vous souhaite à toutes et à tous un bel été!
(1) Lire Jean, chapitre 1, versets 35 à 42
lundi 9 juillet 2012
Citation du jour
"Il est temps que l'on sache!
Il est temps que la pierre consente à fleurir,
Qu'à l'errance batte un cœur.
Il est temps qu'il soit temps.
Il est temps."
Paul CELAN
Il est temps que la pierre consente à fleurir,
Qu'à l'errance batte un cœur.
Il est temps qu'il soit temps.
Il est temps."
Paul CELAN
dimanche 24 juin 2012
Poètes au Potager
Comme chaque année, les éditions Contre-allées publient
un inédit des quatre poètes invités au festival pOètes au pOtager,
dont la huitième édition aura lieu à Montluçon les 29 & 30 juin 2012 :
Ludovic Degroote, Albane Gellé, Etienne Paulin,
Christiane Veschambre.
Pour plus de renseignements concernant le festival
et les dernières actualités, voir :
http://poetesaupotager.over-blog.com
Contre-allées
Revue et éditions
Amandine Marembert & Romain Fustier
16 rue Mizault
03100 Montluçon
http://contreallees.blogspot.com
lundi 7 mai 2012
Citation du jour
"Aux choses il suffit d'être. Mais lorsque je me considère moi-même ou que je considère un autre vivant, alors plus essentielle que le fait d'être m'est…ma vie."
V.von Weizsäcker
V.von Weizsäcker
mercredi 11 avril 2012
Citation du jour
« L’appel de la conscience ne rend compte d’aucun événement, il appelle sans élever la voix. L’appel parle sur le mode étrange du silence. L’appel n’appelle pas celui qu’il interpelle au sein du on-dit public mais l’en retire par son appel en le ramenant dans le silence gardé du pouvoir être existant. »
Martin Heidegger
dimanche 1 avril 2012
Van Gogh
En relisant l'un de mes carnets je tombe sur cette note datée du jeudi 12 novembre 2009:
—"C.H.U. Voilà un quart d'heure que j'attends. Les infirmières sont toujours dans la ch.40. Elles m'ont dit en entrant: "Dans 5 minutes, c'est bon". J'attends toujours.
Pour saisir ce qui se passe, je sors mon petit carnet que je garde toujours à portée de la main…
Ecouté, tout à l'heure en voiture, une émission de France Culture sur Van Gogh dont on vient d'éditer la Correspondance complète. Les intervenants sont formels: V.G n'était pas fou, il avait une maladie dégénérative; c'est la société qui l'a suicidé!
Ça donne envie de lire ces lettres!"
Mes notes s'interrompent ici… Qui occupait la chambre n° 40 ? Je ne m'en souviens plus. Par contre, je vais me procurer enfin la Correspondance de Van Gogh!
jeudi 8 mars 2012
Lire et re-lire Valère Novarina
"Voici que les hommes s'échangent maintenant les mots comme des idoles invisibles, ne s'en forgeant plus qu'une monnaie: nous finirons un jour muets à force de communiquer; nous deviendrons enfin égaux aux animaux, car les animaux n'ont jamais parlé mais toujours communiqué très-très bien. Il n' y a que le mystère de parler qui nous séparait d'eux. A la fin, nous deviendrons des animaux: dressés par les images, hébétés par l'échange de tout, redevenus des mangeurs du monde et une matière pour la mort. La fin de l'histoire est sans parole.
A l'image mécanique et instrumentale du langage que nous propose le grand système marchand qui vient étendre son filet sur notre Occident désorienté, à la religion des choses, à l'hypnose de l'objet, à l'idolâtrie, à ce temps qui semble s'être condamné lui-même à n'être plus que le temps circulaire d'une vente à perpétuité, à ce temps où le matérialisme dialectique, effondré, livre passage au matérialisme absolu—j'oppose notre descente en langage muet dans la nuit de la matière de notre corps par les mots et l'expérience singulière que fait chaque parlant, chaque parleur d'ici, d'un voyage dans la parole; j'oppose le savoir que nous avons, qu'il y a tout au fond de nous, non quelque chose dont nous serions propriétaire (notre parcelle individuelle, notre identité, la prison du moi), mais une ouverture intérieure, un passage parlé.
Chaque terrien d'ici le sait bien, qu'il n'est pas fait que de terre. Et il le sait, c'est parce qu'il parle. Nous le savons tous très bien, tout au fond, que l'intérieur est le lieu non du mien, non du moi, mais d'un passage, d'une brèche par où nous saisit un souffle étranger. A l'intérieur de nous, au plus profond de nous, est une voie grande ouverte: nous sommes pour ainsi dire troués, à jour, à ciel ouvert (…). Nous le savons tous très bien, tout au fond, que la parole existe en nous, hors de tout échange, hors des choses, et même hors de nous.
Qu'est-ce que les mots nous disent à l'intérieur où ils résonnent ? Qu'ils ne sont ni des instruments qui se troquent, ni des outils qu'on prend et qui se jettent, mais qu'ils ont leur mot à dire. Ils en savent sur le langage beaucoup plus que nous. Ils savent qu'ils sont échangés entre les hommes non comme des formules et des slogans mais comme des offrandes et des danses mystérieuses. Ils en savent plus que nous; ils ont résonné bien avant nous; ils s'appelaient les uns les autres bien avant que nous ne soyons là."
Valère Novarina, Devant la parole, éditions P.O.L, 2010, pp. 13-15
A l'image mécanique et instrumentale du langage que nous propose le grand système marchand qui vient étendre son filet sur notre Occident désorienté, à la religion des choses, à l'hypnose de l'objet, à l'idolâtrie, à ce temps qui semble s'être condamné lui-même à n'être plus que le temps circulaire d'une vente à perpétuité, à ce temps où le matérialisme dialectique, effondré, livre passage au matérialisme absolu—j'oppose notre descente en langage muet dans la nuit de la matière de notre corps par les mots et l'expérience singulière que fait chaque parlant, chaque parleur d'ici, d'un voyage dans la parole; j'oppose le savoir que nous avons, qu'il y a tout au fond de nous, non quelque chose dont nous serions propriétaire (notre parcelle individuelle, notre identité, la prison du moi), mais une ouverture intérieure, un passage parlé.
Chaque terrien d'ici le sait bien, qu'il n'est pas fait que de terre. Et il le sait, c'est parce qu'il parle. Nous le savons tous très bien, tout au fond, que l'intérieur est le lieu non du mien, non du moi, mais d'un passage, d'une brèche par où nous saisit un souffle étranger. A l'intérieur de nous, au plus profond de nous, est une voie grande ouverte: nous sommes pour ainsi dire troués, à jour, à ciel ouvert (…). Nous le savons tous très bien, tout au fond, que la parole existe en nous, hors de tout échange, hors des choses, et même hors de nous.
Qu'est-ce que les mots nous disent à l'intérieur où ils résonnent ? Qu'ils ne sont ni des instruments qui se troquent, ni des outils qu'on prend et qui se jettent, mais qu'ils ont leur mot à dire. Ils en savent sur le langage beaucoup plus que nous. Ils savent qu'ils sont échangés entre les hommes non comme des formules et des slogans mais comme des offrandes et des danses mystérieuses. Ils en savent plus que nous; ils ont résonné bien avant nous; ils s'appelaient les uns les autres bien avant que nous ne soyons là."
Valère Novarina, Devant la parole, éditions P.O.L, 2010, pp. 13-15
lundi 20 février 2012
A méditer: la situation du "est"
"Lorsque nous disons (…): "Le temps est beau", nous visons par "temps" un réel et un étant ; par "beau", la disposition réelle de cet étant ; et par le "est" (…), la façon dont cet étant, le temps, est étant de telle et telle façon, et par conséquent l'être de cet étant qui s'appelle, en l'occurrence, "temps"(…).
Le temps se détermine par la chaleur du soleil, la réflexion de ses rayons sur la terre, variable selon la nature du terrain, le vent (courant atmosphérique), la répartition de l'humidité, la charge d'électricité dans l'atmosphère, et ainsi de suite. Nous pouvons observer directement le temps et les conditions atmosphériques ; des appareils appropriés nous permettent de constater tout cela. Nous pouvons ainsi établir si le temps est bon, ou mauvais, ou encore "douteux". Le bon, le mauvais, le douteux rapportés au temps, cela se voit, cela se sent ; nous pouvons être directement au contact du temps, de l'état du temps.
Mais où se cache le "est"?
Qu'est-ce à dire que le temps "est" et qu'il "est" beau ? En quoi cela consiste-t-il ? Le beau temps — nous pouvons toujours nous en réjouir; mais quant au "est" ? Qu'en faire ? Nous pouvons bien relever sur l'hygromètre le degré d'humidité de l'air; mais aucun instrument ne nous permet d'établir ni de saisir le "est", ni ce que nous visons par ce "est". Mettons les points sur les i: il y a des hygromètres, des anémomètres, des baromètres qui indiquent comment "est" le temps, mais il n' y a pas de "est"-mètre, il n' y a pas d'instrument qui mesure ni puisse saisir le "est" lui-même. Et pourtant nous disons: le temps — à savoir lui-même— est tel ou tel. (…) Visant cela, à savoir l'être, nous ne prenons garde néanmoins, et tout au long, qu'à l'étant envisagé.
Dans le cas cité, c'est la situation météorologique, le temps qui nous "intéressent"; non le "est". Combien de fois par jour n'utilisons-nous pas, dans bien d'autres contextes, ce mot inapparent "est"! Mais comment pourrions-nous nous acquitter de nos besognes quotidiennes si chaque fois, ou ne serait-ce qu'une fois, nous pensions expressément au "est; si nous étions enclins à nous y arrêter, au lieu de nous laisser entraîner sur-le-champ et exclusivement dans l'étant auquel il faut vaquer, où il y va de nos desseins, de notre travail, de nos plaisirs, de nos espoirs et de nos craintes ?
Ce qui est, l'étant lui-même, nous en avons connaissance, et que l'étant soit, nous en faisons l'expérience. Mais le "est" — où diable trouverons-nous le "est", et surtout, où chercher quelque chose de tel ?"
Martin Heidegger, Concepts fondamentaux". Collection Bibliothèque de Philosophie, Gallimard, 1985, pp.44-45
Le temps se détermine par la chaleur du soleil, la réflexion de ses rayons sur la terre, variable selon la nature du terrain, le vent (courant atmosphérique), la répartition de l'humidité, la charge d'électricité dans l'atmosphère, et ainsi de suite. Nous pouvons observer directement le temps et les conditions atmosphériques ; des appareils appropriés nous permettent de constater tout cela. Nous pouvons ainsi établir si le temps est bon, ou mauvais, ou encore "douteux". Le bon, le mauvais, le douteux rapportés au temps, cela se voit, cela se sent ; nous pouvons être directement au contact du temps, de l'état du temps.
Mais où se cache le "est"?
Qu'est-ce à dire que le temps "est" et qu'il "est" beau ? En quoi cela consiste-t-il ? Le beau temps — nous pouvons toujours nous en réjouir; mais quant au "est" ? Qu'en faire ? Nous pouvons bien relever sur l'hygromètre le degré d'humidité de l'air; mais aucun instrument ne nous permet d'établir ni de saisir le "est", ni ce que nous visons par ce "est". Mettons les points sur les i: il y a des hygromètres, des anémomètres, des baromètres qui indiquent comment "est" le temps, mais il n' y a pas de "est"-mètre, il n' y a pas d'instrument qui mesure ni puisse saisir le "est" lui-même. Et pourtant nous disons: le temps — à savoir lui-même— est tel ou tel. (…) Visant cela, à savoir l'être, nous ne prenons garde néanmoins, et tout au long, qu'à l'étant envisagé.
Dans le cas cité, c'est la situation météorologique, le temps qui nous "intéressent"; non le "est". Combien de fois par jour n'utilisons-nous pas, dans bien d'autres contextes, ce mot inapparent "est"! Mais comment pourrions-nous nous acquitter de nos besognes quotidiennes si chaque fois, ou ne serait-ce qu'une fois, nous pensions expressément au "est; si nous étions enclins à nous y arrêter, au lieu de nous laisser entraîner sur-le-champ et exclusivement dans l'étant auquel il faut vaquer, où il y va de nos desseins, de notre travail, de nos plaisirs, de nos espoirs et de nos craintes ?
Ce qui est, l'étant lui-même, nous en avons connaissance, et que l'étant soit, nous en faisons l'expérience. Mais le "est" — où diable trouverons-nous le "est", et surtout, où chercher quelque chose de tel ?"
Martin Heidegger, Concepts fondamentaux". Collection Bibliothèque de Philosophie, Gallimard, 1985, pp.44-45
mardi 31 janvier 2012
C'est à lire
"Un temps je déposais des phrases qui me passaient par la tête ou que j'avais lues, prélevées. Je constituais des dépôts pour voir ce que cela donnait, faire de petits rapprochements, une chose avec une autre. Et pourquoi telle chose plutôt que telle autre ? J'avais plaisir à les glisser ensemble. Activité proche d'un carnet de croquis ou de projets: comme si j'attendais que quelque chose apparaisse. Voici des morceaux de ces carnets."
Jean-Pierre Ostende, Relations et silhouettes. Carnets 1992-1995, Editions Le Bleu du ciel, 1983
Jean-Pierre Ostende, Relations et silhouettes. Carnets 1992-1995, Editions Le Bleu du ciel, 1983
lundi 23 janvier 2012
Citation du jour
"Chercher encore des mots
Qui disent quelque chose
Là où l'on cherche les gens
Qui ne disent plus rien
Et trouver encore des mots
Qui savent dire quelque chose
Là où l'on trouve des gens
Qui ne peuvent plus rien dire."
Erich Fried
Qui disent quelque chose
Là où l'on cherche les gens
Qui ne disent plus rien
Et trouver encore des mots
Qui savent dire quelque chose
Là où l'on trouve des gens
Qui ne peuvent plus rien dire."
Erich Fried
mercredi 4 janvier 2012
EVENEMENT
Le 14 janvier 2011
à 18h
à la
Librairie Ciné Reflet
14, rue Monsieur le Prince 75006 Paris - Métro Odéon
Aimé Agnel
s'entretiendra avec
Thierry de Lestrade
à propos de son livre
Hitchcock et l'ennui
une psychologie à l'oeuvre
récemment paru aux éditions Ellipses
Vous y serez les bienvenus!
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