mercredi 4 mars 2015

Pascal Quignard

"Oïstrakh et Stern étaient amis. C'étaient de véritables amis. Cette amitié dura vingt ans sans qu'elle se démentît jamais. Seule la mort, qui n'accomplit rien, y mit un terme. La dernière fois qu'ils se virent, ce fut à Londres, en 1974. Oïstrakh n'avait que soixante-six ans alors mais il sembla à Stern qu'il avait l'air complètement épuisé. Il avait pris beaucoup de poids. (Il allait mourir trois mois plus tard.) Isaac Stern prit la main de son ami et lui dit:
— Tu es fatigué, David.
— Oui.
— Quitte ton pays. Viens te reposer.
— Je ne peux pas, Isaac. Ils ne laissent pas ma femme et mes enfants voyager avec moi.
— Alors travaille moins.
— Je ne peux pas. Si j'arrête de jouer, je pense. Si je me mettais à penser, je mourrais."

Mourir de penser, éditions Grasset, p.16

Aucun commentaire:

 Nous sommes au téléphone depuis une dizaine de minutes, je ne suis pas du tout à l'aise : —Attends s’il te plaît, lui dis-je, donne-moi...