« L’autre matin je me suis réveillée muette. Je ne m’en suis pas aperçue tout de suite parce que j’étais seule dans la chambre. Je me sentais heureuse de la journée à vivre. Emplie d’un sentiment de liberté et de légèreté. Je me suis étirée en bâillant, sans bruit, je me suis levée, je suis allée décrocher un vêtement dans la salle de bain et je me suis dirigée vers la cuisine où je t’entendais chanter. J’ai poussé la porte, je t’ai souri, tu m’as appelée par mon nom, et je t’ai répondu par le tien. C’est-à-dire que j’ai ouvert la bouche, j’ai formé avec mes lèvres les deux syllabes aimées, et aucun son n’est sorti. Tu as ri, d’abord, de me voir répéter ma mimique silencieuse, tu t’es avancé vers moi pour me prendre dans tes bras et tu t’es arrêté. Tu m’as demandé ce que j’avais, je n’ai pas pu te répondre. Finalement j’ai pris sur le buffet le papier où on inscrit les commissions et j’ai écrit : « Je ne peux plus parler. » Et je me suis mise à pleurer. »
Christiane Veschambre, Les Mots pauvres, Cheyne Eds, 1996 (réédité plusieurs fois depuis)On peut lire dans Cahiers de Gestalt-thérapie 2014/1 (n° 32) une interview de l'auteure à propos de ce livre.
C'est le "Journal d'une femme qui, parce qu'un matin elle se réveille muette, ose enfin, loin des complaisances de la parole, fouiller l'énigme de sa vie et affronter son enfance."
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