lundi 31 août 2020

Lire Leslie Kaplan

 Il m'arrive quelquefois, comme ce soir, d'être soudainement pris par l'envie d'aller cueillir une pensée chez tel ou tel auteur. Ce soir, alors que mon esprit n'était occupé à rien et que je restais là, planté devant mon ordinateur, s'est imposé à moi comme une évidence un nom, Leslie Kaplan ! Et un titre, Les outils (pour penser) ! Livre découvert en 2003, après avoir été très touché par la lecture de L'excès l'usine, dont Marguerite Duras dira (dans un entretien avec Kaplan, entretien repris dans Les outils) : "Je crois qu'on n'a jamais parlé de l'usine comme vous le faites. Elle est complètement autre chose, elle est comme à l'origine d'un autre temps. On la reconnaît. C'est très impressionnant. Comme une donnée commune. Même à tous ceux qui n'ont jamais abordé ça."

J'avais déjà lu aussi Le psychanalyste, qui m'avait beaucoup enthousiasmé, un roman à la fois grave et joyeux, intelligent. Le livre s'ouvre par une conférence sur Kafka, puis tout s'emballe, rythmé par quelques séances de psychanalyse. Un vrai tour de maître. Que j'ai relu et relu, et proposé finalement à notre Cercle de lecture, qui l'a dévoré, carrément !

Donc, dis-je, ce soir, mû soudain par je ne sais quel appel venu de je ne sais d'où, je me murmure à moi-même ce nom que je n'avais plus prononcé depuis un certain temps (je me souviens de l'avoir cité ici-même, dans le blog au moment de ma découverte d'un autre auteur qui ne m'a plus quitté depuis, Maurice Blanchot !) : Leslie Kaplan. Donc ce soir, je partage avec vous le fruit de ma cueillette, —oh ce n'est pas un grand panier tout plein, —rien d'exubérant ici mais j'aime, car c'est doux et bon. C'est tout à la fin d'un magnifique poème bilingue (Oui, Leslie Kaplan est française née à New York!) "Translating is sexy" :

"Mais le ciel, ses stries. Rien ne nous protège de sa beauté. Tout vouloir. Le ciel, le vin, les livres, l'amour. Et la pensée. Si on n'a pas la pensée, on n'a rien. Rien de sa vie. Rien. Mais la pensée, on ne l'a pas. On la pense."

Leslie Kaplan, Les Outils, P.O.L 2003, p.113

samedi 29 août 2020

Chadwick Boseman

« Quand les gens me demandent ce que je fais, je ne dis pas vraiment que je suis acteur, car les acteurs attendent souvent que quelqu'un leur donne des rôles. »

Depuis sa mort vendredi 28 août, on cite surtout cette phrase prononcée par l'acteur dans "Captain America: Civil War", et qui en effet résonne fort aujourd'hui : “Dans ma culture, la mort ne signifie pas la fin. C’est plutôt un point de départ."

Phrase qui me ramène loin en arrière, au temps de ma scolarité dans mon petit village, Benty, en République de Guinée. J'imagine que tous les écoliers africains de l'époque connaissaient par cœur ce magnifique poème du poète sénégalais Birago Diop : Les Souffles

Je le reprends ici en hommage, d'abord à l'homme humble et courageux que fut Chadwick Boseman, et à son immense talent qui nous a tant bouleversés, notamment dans « Black Panther » :

Ecoute plus souvent 

Les Choses que les Etres 

La Voix du Feu s’entend, 

Entends la Voix de l’Eau. 

Ecoute dans le Vent Le Buisson en sanglots : 

C’est le Souffle des ancêtres.


Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :

Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire

Et dans l’ombre qui s’épaissit.

Les Morts ne sont pas sous la Terre :

Ils sont dans l’Arbre qui frémit,

Ils sont dans le Bois qui gémit,

Ils sont dans l’Eau qui coule,

Ils sont dans l’Eau qui dort,

Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule :

Les Morts ne sont pas morts.


Ecoute plus souvent

Les Choses que les Etres

La Voix du Feu s’entend,

Entends la Voix de l’Eau.

Ecoute dans le Vent

Le Buisson en sanglots :

C’est le Souffle des Ancêtres morts,

Qui ne sont pas partis

Qui ne sont pas sous la Terre

Qui ne sont pas morts.


  Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :

Ils sont dans le Sein de la Femme,

Ils sont dans l’Enfant qui vagit

Et dans le Tison qui s’enflamme.

Les Morts ne sont pas sous la Terre :

Ils sont dans le Feu qui s’éteint,

Ils sont dans les Herbes qui pleurent,

Ils sont dans le Rocher qui geint,

Ils sont dans la Forêt, ils sont dans la Demeure,

Les Morts ne sont pas morts.


  Ecoute plus souvent

Les Choses que les Etres

La Voix du Feu s’entend,

Entends la Voix de l’Eau.

Ecoute dans le Vent

Le Buisson en sanglots,

C’est le Souffle des Ancêtres.


  Il redit chaque jour le Pacte,

Le grand Pacte qui lie,

Qui lie à la Loi notre Sort,

Aux Actes des Souffles plus forts

Le Sort de nos Morts qui ne sont pas morts,

Le lourd Pacte qui nous lie à la Vie.

La lourde Loi qui nous lie aux Actes

Des Souffles qui se meurent

Dans le lit et sur les rives du Fleuve,

Des Souffles qui se meuvent

Dans le Rocher qui geint et dans l’Herbe qui pleure.

Des Souffles qui demeurent

Dans l’Ombre qui s’éclaire et s’épaissit,

Dans l’Arbre qui frémit, dans le Bois qui gémit

Et dans l’Eau qui coule et dans l’Eau qui dort,

Des Souffles plus forts qui ont pris

Le Souffle des Morts qui ne sont pas morts,

Des Morts qui ne sont pas partis,

Des Morts qui ne sont plus sous la Terre.


Ecoute plus souvent

Les Choses que les Etres

La Voix du Feu s’entend,

Entends la Voix de l’Eau.

Ecoute dans le Vent

Le Buisson en sanglots,

C’est le Souffle des Ancêtres.


jeudi 27 août 2020

L'affaire Jacob Blake

Bis repetita placent ! Les choses répétées plaisent-elles toujours ? L'aphorisme, on le sait, peut avoir plusieurs significations, on peut l'employer dans un sens ironique pour se moquer par exemple d'une personne qui aime à se répéter ou à répéter les mêmes erreurs. 

Bis repetita peu-il être appliqué au comportement inqualifiable de la police américaine vis-à-vis des Noirs en général ? Il ne s'agit pas ici d'une erreur. Il s'agit, disons les choses comme elles sont, de crimes  commis à répétition au nom d'une Loi, une loi sensée protéger les citoyens, tout citoyen qui qu'il soit.

Criblé de sept balles dans le dos à bout portant, en l'espace de quelques secondes ! Quelques secondes suffisent là-bas, quand on est Noir et qu'on vient d'essayer de séparer deux femmes qui se disputaient, pour être traité d'emblée comme un sous-homme, nécessairement suspect et donc coupable, coupable d'exister dans un pays de rêve et de liberté !

Rêve américain ! liberté…assortie de pouvoir surdimensionné, seulement pour une catégorie d'hommes et de femmes, qui ont, eux, le droit de violer le droit de protéger autrui ! Où suis-je ? Je suis en rage, mes amis ! Je ne suis pas le seul, fort heureusement. mais pour quel impact ?

La vague de colère et de protestation anti-raciste à travers les Etats-Unis et le monde, en mai dernier suite à la mort de George Floyd étouffé par un autre policier blanc, n'a donc pas suffit ?

Cette chronique, humble dans sa formulation et sa portée, ne peut avoir d'impact concret que si elle est lue,   relayée et reliée à d'autres formes de protestations légitimes et pacifiques, comme celles des Milwaukee Bucks qui ont boycotté leur match de NBA mercredi 26 août, suivis par d’autres équipes de base-ball, de football et le tournoi de tennis de Cincinnati… Comme celles de ces voix connues ou inconnues qui s'élèvent en ce moment même un peu partout, pour réclamer justice, équité et prise de responsabilité au plus haut niveau de l'administration américaine. 

Merci à vous d'apporter aussi votre souffle humaniste à ce corps commun en mouvement, pour la cause duquel ont milité (parfois au péril de leur propre vie), des figures emblématiques comme M.-Luther King, Mandela (contre l'Apartheid), Amelia Boynton et bien d'autres encore…!

« J’en ai par-dessus la tête d’en avoir par-dessus la tête ! », clamait Fannie Lou Hamer en 1964.

Voilà une belle énergie à partager.

Ai-je besoin de le préciser, ce billet n'est nullement une protestation anti-Blanc, ce serait un non sens complet et totalement contradictoire avec sa visée principale, à savoir l'éveil des consciences pour une humanité plus juste, toujours à construire où les différences enrichissent la connaissance mutuelle des uns et des autres et encourage le partage des biens spirituels et matériels.

Philip Roth dans le texte

 "Disons, pour commencer à répondre, qu'au fond la personne à laquelle j'ai voulu me rendre visible n'est autre que moi-même. Après cinquante ans, on cherche un moyen de se rendre visible à soi-même. Le moment doit venir, et il est venu pour moi il y a quelques mois, où je me suis trouvé subitement dans un état de désarroi total, à ne plus rien comprendre de ce qui m'était encore évident la veille : pourquoi je fais telle chose, habite à tel endroit, et partage ma vie avec telle personne. La table où j'écris me faisait l'effet d'une zone étrangère, inquiétante ; autrefois, dans des situations analogues, où les anciennes stratégies étaient devenues inopérantes — que ce soit dans la gestion pratique du quotidien ou dans les problèmes propres à l'écriture —, j'étais parvenu à me renouveler de haute lutte, mais cette fois tout me portait à croire que je n'avais plus la capacité de me réinventer. Loin de pouvoir me refaire, je me sentais me défaire.

C'est d'une dépression nerveuse que je parle. Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans le détail et je me contenterai de dire qu'au printemps 1987, à l'apogée de dix ans de créativité, une intervention chirurgicale censément mineure s'est changée en épreuve physique prolongée, qui m'a conduit à une dépression profonde, laquelle m'a amené au bord de l'effondrement psychique et émotionnel. C'est dans la période de méditation qui a suivi cet effondrement et avec la clarté d'esprit caractéristique de la rémission que j'ai commencé, bien involontairement, à me concentrer durant presque toutes mes minutes de veille sur des univers que j'avais tenus à distance pendant des décennies ; je voulais me rappeler d'où j'étais parti, comment tout avait commencé. Quand on égare un objet, on se dit : "Bon, je vais refaire mon parcours à l'envers, je suis rentré, j'ai retiré mon manteau, je suis allé à la cuisine, etc." Pour retrouver ce que j'avais perdu, il me fallait revenir à l'instant des origines. je n'en ai découvert aucun de précis, mais plutôt une série, un véritable historique d'origines multiples, et c'est ce que j'ai écrit ici en m'efforçant de me réapproprier la vie. Je ne l'avais jamais cartographiée, ma vie ; j'y trouvais plutôt, je l'ai dit, un matériau de base. Cette fois, pour retomber sur ma vie d'avant, pour recouvrer ma vitalité, pour me transformer en moi-même, j'ai entrepris de rendre l'expérience sous sa forme brute."

Philip Roth, Les faits. Autobiographie d'un romancier (nouvelle traduction), Gallimard, 2020, p. 16-18

lundi 24 août 2020

vendredi 21 août 2020

jeudi 20 août 2020

La phrase du jour

 Chaque matin au réveil, comme un rituel, je lis quelques pages de mon livre de chevet du moment. Ce temps à part apaise d'emblée mon rapport au monde. Aujourd'hui, je suis avec cette phrase lue dans Carnet de notes (1) de Pierre Bergounioux : "La mort délaisse qui s'en désintéresse", phrase dont je conteste d'abord le bien fondé même après relecture. De fait, la suite lui donne raison : "Un Boxer (2) continue de lire dans la longue file des condamnés qui avance, pas à pas, vers le lieu du supplice. Lorsque son tour vient, on l'épargne." Je souris, le doute disparaît. 

Je poursuis ma lecture : "Michelet évoque un fait comparable, sous la Terreur. Un noble marche en lisant, lui aussi, à l'échafaud. Avant de se coucher sous le couperet, il glisse un signet à la page lue et referme le volume." 

Lui aussi sera épargné! 

Alors, mes amis, au-dessus de tout et par-dessus tout, avant tout autre activité de la journée, dans le calme et le silence, visons à l'essentiel: la Lecture! Bonne journée.☺️


(1) Pierre Bergounioux, Carnets de notes 1980-1990, Verdier, 2006, p. 24

(2) Utilisé avec une majuscule (Boxer) pour mettre en avant le fait qu’on donne un caractère générique au mot.

mercredi 19 août 2020

samedi 15 août 2020

Ce n'est pas un cauchemar

 Ce n’est pas un cauchemar 

ça j’en suis certain 

-est-ce alors un rêve ?

je me vois errant sur un chemin qui ne mène nulle part

j’ai soif très soif

je ne sais de quoi...

je me désaltère en buvant du temps 

que je n’ai pas

ah ! qui me donnera à boire 

le temps de me réveiller 

jusqu’à plus soif ?

Ô finitude 

peut-être un peu d’amour

suffira-t-il à supporter l’esseulement 

face à l’écoulement du temps ?

et toi espace qui s’amenuise au fur et à mesure 

que s’approche l’heure du grand réveil

garderas-tu mémoire de mon passage ?



mercredi 12 août 2020

Citation du jour

 "Nous avons besoin de nous "individuer" car nous ne sommes, à la naissance, qu'une promesse. Et nous avons besoin de tenir nos promesses en existant devant les autres. La reconnaissance des autres nous donne le sentiment d'exister."

Bernard Stiegler, in Télérama 27/04/2016

dimanche 9 août 2020

Mort du philosophe Bernard Stiegler. Réactions

Sa mort jeudi 6 août à l'âge de 68 ans a pris tout le monde de court, à l'exception de ses proches, et n'a pas fini de susciter des réactions un peu partout en France et à l'étranger. "C’est une mort que rien ne laissait présager aussi subite, tant il avait l’esprit jeune, avide de modernité, ivre de ses enthousiasmes. Atteint d’un mal qui l’avait beaucoup fait souffrir il y a quelques mois et dont il pressentait un retour inéluctable, il s’est donné la mort, non en dépressif, mais en philosophe, dit son ami Paul Jorion." (Mark Hunyadi, Le Temps)

Défenseur d'un Internet neutre, Bernard Stiegler était connu pour son travail sur les mutations sociales portées par le développement technologique, notamment l'étude des réseaux sociaux et des médias. Il a travaillé notamment sur le cas de Facebook qu'il qualifie d'exemple du "capitalisme pulsionnel". Pour lui, les interactions sur la plateforme sont "des appels à libérer son énergie libidinale au profit des réactions spontanées et affectives (…). En échange de quoi nous offrons les données concernant nos goûts et dégoûts, afin de recevoir la publicité et les contenus les mieux ciblés, ceux les plus proches de nos désirs…" (Revue des médias, Ina)

Au lieu d'écrire un énième article sur celui qu'on qualifie de "technicien de la pensée et penseur de la technique" ou encore "penseur de la démocratisation numérique", nous avons choisi plutôt de donner à lire ici quelques réactions significatives qui aident, peut-être, à mieux cerner le personnage et sa pensée (sur ce dernier point le lecteur se reportera directement à ses ouvrages et aux nombreuses recensions qui leur sont consacrées) : 

Ainsi, le Collège international de philosophie qui annonçait sur Twitter et Facebook sa disparition soudaine : "Un contemporain hors du commun, qui a cherché à inventer une nouvelle langue et de nouvelles subversions."

Michel Deguy : "Ses livres (…) étaient d'une intelligence et d'un savoir extraordinaire. C'était un profond lettré, un poéticien et un mécanicien, il avait un rapport continu avec la poésie"

Mathieu Potte-Bonneville : "Il travaillait à l'intersection de différents domaines, autour de la figure de l'hybridité, dans une sorte de vigilance inventive, traçant des ponts entre l'esthétique, la technologie et la politique. Il renouvelait le lexique et les notions pour penser une situation, ce qui a pu le rendre difficile à lire par moments. Il inventait son vocabulaire en marchant."

Mathieu Triclot : "Sa manière de lier un travail conceptuel hautement spéculatif et des entreprises de transformation technologique ici et maintenant me semble une de grandes singularités de son engagement. C'est un modèle de philosophie des techniques : capable à la fois d'une critique radicale des techniques contemporaines et de donner des clés de lecture pour l'action. Un peu tout ce qu'on peut attendre de la philosophie."

Jean-Luc Nancy : "Il était un pionnier de la réflexion contemporaine sur la place de la technique dans notre société, sur la technique comme partie active et constituante de notre civilisation." (Sonya Faure et Simon Blin, Libé— 7 août 2020)

Mark Hunyadi: "Personnage volubile, attentif, amical et irascible, il s’était ces vingt dernières années consacré à la réflexion sur l’emprise des technologies numériques sur nos vies et la société, après s’être imposé sur la scène intellectuelle française, dès le milieu des années 1980, puis avec sa thèse avec Jacques Derrida en 1993, comme un penseur majeur de la technique. 

La mort a figé sa vie en roman. Sans bac, tenancier d’un bar à jazz à Toulouse, il a les finances difficiles. Qu’à cela ne tienne, il va régler cela lui-même en décidant d’aller braquer une banque. Ça marche, et il y prend goût. C’est le quatrième braquage à main armée qui lui sera fatal, et lui vaudra 5 ans de prison. C’est là que, grâce à un professeur de philosophie (Gérard Granel) qui l’avait pris en amitié dans son bar, il découvre les grands auteurs, qu’il dévore avec passion.

Dès sa sortie de prison, il ira à la rencontre de Jacques Derrida; il se fait remarquer, et sa carrière s’enclenche alors, insolite, hétérodoxe, multiforme mais pas incohérente: professeur de technologie à Compiègne, directeur adjoint de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) de 1996 à 1999, fondateur de l’association Ars Industrialis depuis 2005, professeur en Chine, directeur d’un centre de recherche au Centre Pompidou depuis 2006, il voulait dans tous ces domaines combattre la bêtise culturelle que le marché imposait à tous."

Sa fille, Barbara Stiegler, est une philosophe reconnue, enseignant la philosophie politique à l’université Bordeaux-Montaigne.

Bibliographie sélective de Bernard Stiegler ( on trouvera sur la Toile de nombreux Entretiens accordés par Bernard Stiegler, ainsi que des recensions) :

La Technique et le Temps (trois tomes, dont La Faute d'Epiméthée), Galilée, 1994-1996-2001

Passer à l'acte, Galilée, 2003

Des pieds et des mains. Petite conférence sur l'homme et son désir de grandir, Bayard, 2006

Qu’appelle-t-on panser ?,  :

1. L’Immense Régression, 2018

2. La Leçon de Greta Thunberg, 2020


Citation du jour

 "Un jour que Yao-shan Wei-yen était assis tranquillement les jambes croisées, un moine vient et lui dit : 

—A quoi pensez-vous dans cette immobilité ?

Yao-shan : —Je pense à ce qui est au-delà de la pensée.

Le moine : —Comment faites-vous pour penser à ce qui est au-delà de la pensée ?

Yao-shan : En ne pensant pas."


D.T. Suzuki, Le non-mental selon la pensée Zen, Le courrier du Livre, 1970, p. 137

vendredi 7 août 2020

Ces mots de Michelle Obama qui me touchent profondément

"Je me réveille en pleine nuit parce que quelque chose me préoccupe, ou parce que je ressens un poids.

j'essaie de faire du sport, mais il y a eu des périodes pendant cette quarantaine où je n'avais juste pas le moral (…) Je passe par ces hauts et ces bas émotionnels que tout le monde ressent, pendant lesquels on ne se reconnaît pas. Ce n'est pas une époque pendant laquelle on s'épanouit, spirituellement. Je sais que je passe par une forme de dépression légère. Pas seulement à cause de la quarantaine, mais aussi à cause des luttes raciales. Et voir cette administration, voir son hypocrisie, jour après jour, c'est démoralisant."

Elle poursuit et explique dans The Michelle Obama Podcast, diffusé sur Spotify, qu'il était "épuisant de se réveiller et de voir encore une nouvelle histoire sur un homme noir ou une personne noire étant déshumanisé(e), blessé(e), tué(e) ou faussement accusé(e) de quelque chose. Et cela fait peser un fardeau que je n'ai pas ressenti depuis un moment dans ma vie."

Faisant référence aux tensions qui agitent le pays depuis plusieurs mois, et les manifestations antiracistes sans précédent à travers les Etats-Unis, suite à la mort, fin mai, de George Floyd, décédé étouffé sous le genou d'un policier blanc, Michelle Obama ajoute : "Nous sommes à un moment unique de notre histoire. Nous traversons quelque chose que personne de notre vivant n'a vécu." 

Pourquoi suis-je si touché par ces mots, c'est que sans être moi-même afro-américain, qu'il s'agisse de la pandémie (toujours en cours presque partout dans le monde) ou de la tragédie raciale aux USA dont on n'entrevoit pas la fin, je vis au fond de moi les mêmes sentiments, les mêmes émotions qu'expriment ici, avec gravité et simplicité cette femme remarquable d'humanité et de dignité.

Bravo et merci Madame

Source Huffpost, édition française, en date du 06/08/2020

mardi 4 août 2020

Le temps sensible

"L'humanité ne commence vraiment que quand le déchirement et la souffrance prennent un visage. Ce visage est celui du temps (…) Le temps, en effet, n'est pas seulement ni d'abord l'intervalle abstrait qui mesure les changements sensibles — lumière, ombres, mouvements — mais, plus originairement, le rythme irréductible et incessant des bouleversements intimes qui affectent et modifient notre présence au monde. Un deuil a son temps propre, une rencontre, une décision ont le leur. Ce temps s'inscrit dans notre chair, dans une mémoire corporelle antérieure au souvenir. Le temps vivant ne se manifeste donc pour nous dans toute sa concrétude qu'au travers de failles et de points critiques où notre existence bascule, où son sens se fait jour de manière renouvelée (…) L'expérience du temps naît, acquiert sa consistance et sa structuration de la traversée d'expériences, c'est-à-dire de la rencontre même du réel. C'est le réel qui met le temps en branle…
Or le réel est justement ce qui, au moment même où il nous atteint, nous échappe aussi pour l'essentiel : ce n'est que rétrospectivement, pour celui qu'il a transformé, qu'il acquiert son sens véritable. L'événement n'apparaît comme tel qu'après coup, baigné dans cette lumière rétrospective qui appartient à son mode même de manifestation. C'est pourquoi le temps réel et vivant, celui de notre histoire, n'existe que par ce poids de réalité qui lui confère sa force agissante, et qui en fait pour nous, à jamais, un temps perdu, un temps que nous nous essoufflons à rejoindre, un temps que nous perdons notre temps à vouloir rattraper."

Claude Romano

 Nous sommes au téléphone depuis une dizaine de minutes, je ne suis pas du tout à l'aise : —Attends s’il te plaît, lui dis-je, donne-moi...