dimanche 9 août 2020

Mort du philosophe Bernard Stiegler. Réactions

Sa mort jeudi 6 août à l'âge de 68 ans a pris tout le monde de court, à l'exception de ses proches, et n'a pas fini de susciter des réactions un peu partout en France et à l'étranger. "C’est une mort que rien ne laissait présager aussi subite, tant il avait l’esprit jeune, avide de modernité, ivre de ses enthousiasmes. Atteint d’un mal qui l’avait beaucoup fait souffrir il y a quelques mois et dont il pressentait un retour inéluctable, il s’est donné la mort, non en dépressif, mais en philosophe, dit son ami Paul Jorion." (Mark Hunyadi, Le Temps)

Défenseur d'un Internet neutre, Bernard Stiegler était connu pour son travail sur les mutations sociales portées par le développement technologique, notamment l'étude des réseaux sociaux et des médias. Il a travaillé notamment sur le cas de Facebook qu'il qualifie d'exemple du "capitalisme pulsionnel". Pour lui, les interactions sur la plateforme sont "des appels à libérer son énergie libidinale au profit des réactions spontanées et affectives (…). En échange de quoi nous offrons les données concernant nos goûts et dégoûts, afin de recevoir la publicité et les contenus les mieux ciblés, ceux les plus proches de nos désirs…" (Revue des médias, Ina)

Au lieu d'écrire un énième article sur celui qu'on qualifie de "technicien de la pensée et penseur de la technique" ou encore "penseur de la démocratisation numérique", nous avons choisi plutôt de donner à lire ici quelques réactions significatives qui aident, peut-être, à mieux cerner le personnage et sa pensée (sur ce dernier point le lecteur se reportera directement à ses ouvrages et aux nombreuses recensions qui leur sont consacrées) : 

Ainsi, le Collège international de philosophie qui annonçait sur Twitter et Facebook sa disparition soudaine : "Un contemporain hors du commun, qui a cherché à inventer une nouvelle langue et de nouvelles subversions."

Michel Deguy : "Ses livres (…) étaient d'une intelligence et d'un savoir extraordinaire. C'était un profond lettré, un poéticien et un mécanicien, il avait un rapport continu avec la poésie"

Mathieu Potte-Bonneville : "Il travaillait à l'intersection de différents domaines, autour de la figure de l'hybridité, dans une sorte de vigilance inventive, traçant des ponts entre l'esthétique, la technologie et la politique. Il renouvelait le lexique et les notions pour penser une situation, ce qui a pu le rendre difficile à lire par moments. Il inventait son vocabulaire en marchant."

Mathieu Triclot : "Sa manière de lier un travail conceptuel hautement spéculatif et des entreprises de transformation technologique ici et maintenant me semble une de grandes singularités de son engagement. C'est un modèle de philosophie des techniques : capable à la fois d'une critique radicale des techniques contemporaines et de donner des clés de lecture pour l'action. Un peu tout ce qu'on peut attendre de la philosophie."

Jean-Luc Nancy : "Il était un pionnier de la réflexion contemporaine sur la place de la technique dans notre société, sur la technique comme partie active et constituante de notre civilisation." (Sonya Faure et Simon Blin, Libé— 7 août 2020)

Mark Hunyadi: "Personnage volubile, attentif, amical et irascible, il s’était ces vingt dernières années consacré à la réflexion sur l’emprise des technologies numériques sur nos vies et la société, après s’être imposé sur la scène intellectuelle française, dès le milieu des années 1980, puis avec sa thèse avec Jacques Derrida en 1993, comme un penseur majeur de la technique. 

La mort a figé sa vie en roman. Sans bac, tenancier d’un bar à jazz à Toulouse, il a les finances difficiles. Qu’à cela ne tienne, il va régler cela lui-même en décidant d’aller braquer une banque. Ça marche, et il y prend goût. C’est le quatrième braquage à main armée qui lui sera fatal, et lui vaudra 5 ans de prison. C’est là que, grâce à un professeur de philosophie (Gérard Granel) qui l’avait pris en amitié dans son bar, il découvre les grands auteurs, qu’il dévore avec passion.

Dès sa sortie de prison, il ira à la rencontre de Jacques Derrida; il se fait remarquer, et sa carrière s’enclenche alors, insolite, hétérodoxe, multiforme mais pas incohérente: professeur de technologie à Compiègne, directeur adjoint de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) de 1996 à 1999, fondateur de l’association Ars Industrialis depuis 2005, professeur en Chine, directeur d’un centre de recherche au Centre Pompidou depuis 2006, il voulait dans tous ces domaines combattre la bêtise culturelle que le marché imposait à tous."

Sa fille, Barbara Stiegler, est une philosophe reconnue, enseignant la philosophie politique à l’université Bordeaux-Montaigne.

Bibliographie sélective de Bernard Stiegler ( on trouvera sur la Toile de nombreux Entretiens accordés par Bernard Stiegler, ainsi que des recensions) :

La Technique et le Temps (trois tomes, dont La Faute d'Epiméthée), Galilée, 1994-1996-2001

Passer à l'acte, Galilée, 2003

Des pieds et des mains. Petite conférence sur l'homme et son désir de grandir, Bayard, 2006

Qu’appelle-t-on panser ?,  :

1. L’Immense Régression, 2018

2. La Leçon de Greta Thunberg, 2020


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