dimanche 22 décembre 2019

Lire, relire Winnicott

"Je suis consterné quand je pense aux changements profonds que j'ai empêchés ou retardés chez des patients appartenant à une certaine catégorie nosographique par mon besoin personnel d'interpréter.
Quand nous nous montrons capables d'attendre, le patient parvient alors à comprendre de manière créative, avec un plaisir intense. Et moi, maintenant, je prends du plaisir à ce plaisir plus que je n'en prenais à m'être montré intelligent. Je pense que j'interprète surtout pour faire connaître au patient les limites de ma compréhension.
Le principe est le suivant: c'est le patient, et le patient seul qui détient les réponses. Nous pouvons ou non le rendre capable de cerner ce qui est connu ou d'en devenir conscient en l'acceptant."

D.W. Winnicott, Jeu et réalité, Gallimard, 1975, p.163

vendredi 13 décembre 2019

"tu parais

ton regard s'empare du mien
m'enveloppe de silence de tendresse

ta voix garde l'empreinte
de ce qui t'a meurtrie
et pourquoi naguère n'ai-je pas été là
pour empêcher que survienne
l'épreuve qui t'a laissé cette fêlure

tu parais

mes cinq sens sont à l'affût
se tendent avidement vers ta bouche
tes seins tes flancs
vers tes mains prometteuses
c'est toi qui donnes sens et saveur
à ma vie
et pourtant tu es ma blessure
c'est toi qui me fais grandir"

Charles Juliet, Gratitude, P.O.L 2017, p. 191-192

mardi 15 octobre 2019

Deviens celui que tu es

On connaît de Nietzsche la maxime "Deviens celui que tu es", et pourtant nul mieux que lui n'a fustigé tout ce qui est stable, toute vérité figée, car chez lui tout passe, sauf le devenir lui-même, c'est-à-dire la vie, la vie comme puissance de la volonté (non du pouvoir): "Il n'y a point de volonté: il y a des projets de volonté qui constamment augmentent ou perdent leur puissance" (Fragments posthumes).

Un soir dans le métro

Un soir, dans le métro.
Debout, à ma droite une jeune femme que j'entends répéter : "Dis-le, tu me détestes, n'est-ce pas?". Elle le dit avec un petit sourire taquin en regardant quelqu'un à ma gauche. Curieux, je tourne légèrement la tête vers mon voisin qui, lui, bras croisé, regarde droit devant lui l'air résigné. "Tu me détestes, dis-le", renchérit-elle tout en tapotant sur son portable et jetant un coup d'œil rieur à son ami, lequel semble figé le regard perdu dans le vague. Est-il en colère ? jaloux ? A quoi pense-il ?
Peu à peu, peut-être lassé du monologue de la jeune femme et de l'inertie de l'homme, je détourne mon attention sur une jeune fille debout au milieu du wagon, elle lit. Je me penche légèrement en avant pour déchiffrer le titre du livre, et voilà une agréable surprise, qui me met en joie, elle est en train de lire "Ainsi parlait Zarathoustra"!
—Tiens, voilà une belle idée, me dis-je! Nietzsche! En rentrant, ça te dirait de faire un petit jeu: ouvrir au hasard "Ainsi parlait Zarathoustra" et lire à haute voix les premières phrases qui s'offriront à toi ?
Aussitôt chez moi, je me dirige vers la bibliothèque et, le livre dans les mains, j'ouvre au hasard et lis ceci:
"Or Zarathoustra considérait le peuple, et s'étonnait. Lors il parla de la sorte:
L'homme est une corde, entre bête et surhomme tendue,— une corde sur un abîme.
Dangereux de passer, dangereux d'être en chemin, dangereux de se retourner, dangereux de trembler et de rester sur place!
Ce qui chez l'homme est grand, c'est d'être un pont, et de n'être pas un but : ce que chez l'homme on peut aimer, c'est qu'il est un passage et un déclin."

Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Gallimard, 1971, p. 24

dimanche 8 septembre 2019

Amélie Nothomb Soif

Nous publions ici, avec son aimable autorisation, l'article du théologien protestant Antoine Nouis à propos du dernier livre d'Amélie Nothomb, un grand merci à lui.

Dans les romans de la rentrée littéraire, celui qui est en tête des ventes est Soif d’Amélie Nothomb. C’est un livre qui raconte les dernières heures de la vie de Jésus.

Ce classement ne m’étonne pas, non parce que le livre serait renversant, mais parce qu’Amélie Nothomb est une auteure à succès qui a ajouté à son public habituel les lecteurs piqués par la curiosité de ce qu’elle dit sur Jésus.

J’ai eu l’occasion de l’interviewer cet été pour la double page que j’ai écrite dans Réforme. Elle m’a raconté que le personnage de Jésus la fascinait depuis sa toute petite enfance. Elle n’a pas voulu faire un coup éditorial, mais explorer une mort qui reste pour elle une énigme : « Je ne connais qu’une méthode pour comprendre quelque chose qui me dépasse, c’est d’écrire un roman à son sujet. »

Autant je me méfie des essayistes qui prétendent dévoiler sur Jésus des vérités qu’on a voulu nous cacher, autant j’apprécie les romanciers, même lorsqu’ils se permettent des libertés avec ce qu’on sait du Jésus historique, car leur lecture ne triche pas avec ce qu’elle est : une interprétation. Un roman sur Jésus est comme un midrash, c’est une histoire qui propose une interprétation sur un événement.

Pour prendre un exemple, Amélie Nothomb pose l’hypothèse d’une relation intime entre Jésus et Marie-Madeleine. Sur la sexualité de Jésus, le Nouveau Testament ne dit rien, ce qui laisse entendre que cette question n’est pas importante pour nous transmettre le message de l’Évangile. Amélie Nothomb a fait le choix de l’évoquer pour souligner l’incarnation de Jésus qui n’est pas un pur esprit : il a totalement vécu notre humanité. Pourquoi pas ?

La plus belle trouvaille du livre est son titre qui évoque la foi comme soif. Je n’avais jamais remarqué que le mot soif est un anagramme de fois au pluriel. Jésus a crié sa soif sur la croix. Le but de la foi n’est pas d’étancher notre soif, mais de la garder vivante : avoir soif de sens – soif de relations vraies – soif de paroles – soif de justice.

Bonhoeffer a dit qu’une juste prédication évangélique devrait ressembler à un verre d’eau fraîche que l’on offre à un assoiffé en lui disant : « Veux-tu ? ». Et le Psaume dit : « O Dieu, tu es mon Dieu ; je te cherche, j’ai soif de toi, je soupire après toi, dans une terre desséchée et épuisée, faute d’eau. » (Ps 63.2)

Ce titre me fait penser à l’apologue suivant.

Un jeune homme veut connaître Dieu. On lui conseille de s’adresser à un ermite qui vit seul dans la forêt. Le jeune homme va à la rencontre du sage, et lui fait part de son désir. Le vieillard lui propose de l’accompagner. Ils marchent en silence jusqu’au bord d’un lac. Le vieillard s’agenouille sur la berge, et le jeune homme en fait autant. Le vieillard se penche pour se regarder dans l’eau, et le jeune homme en fait autant. Soudainement, avec une force surprenante, l’ermite prend la tête du jeune homme et la plonge dans l’eau. Il attend. Le jeune homme se débat, mais l’ermite ne bouge pas. Des bulles commencent à remonter à la surface, mais l’ermite attend encore. Au bout d’un long moment, il retire la tête de l’eau. Alors que le jeune homme hoquette en essayant de retrouver son souffle, le vieillard dit : « Le jour où tu chercheras Dieu avec autant de force et de désir que l’air qui te manquait lorsque tu étais sous l’eau… tu le trouveras. »

https://leblogdantoinenouis.fr/theologie/soif/

lundi 12 août 2019

samedi 10 août 2019

Nous sommes incertains du philosopher

"La philosophie est le contraire de tout apaisement et de toute assurance. Elle est le tourbillon dans lequel l'homme est entrainé vertigineusement (…) C'est précisément parce qu'elle est quelque chose d'ultime et d'extrême que la vérité d'une telle compréhension a pour constant et périlleux voisinage l'incertitude la plus haute. Nul être connaissant plus que celui qui philosophe ne se tient à chaque instant, nécessairement et avec une telle dureté, au bord de l'erreur. Celui qui n'a pas encore compris cela n'a encore jamais pressenti ce que philosopher veut dire. Ce quelque chose d'ultime et d'extrême est ce qu'il y a de plus périlleux et de moins sûr. Et cela s'accentue à présent par le fait que cette chose ultime et extrême doit être, de façon proprement évidente, ce qu'il y a de plus certain pour tout le monde; apparence sous laquelle la philosophie entre donc également en scène. Dans l'ivresse de l'idée de philosophie comme savoir absolu, on perd habituellement mémoire de ce périlleux voisinage du philosopher. Peut-être s'en souvient-on après coup, dans un déboire, sans que ce rappel devienne décisif pour agir. C'est aussi pourquoi s'éveille rarement l'attitude fondamentale véritable qui serait de taille à se mesurer avec cette ambiguïté la plus interne de la vérité philosophique. Nous ne connaissons absolument pas encore cela — cette élémentaire disposition pour le caractère périlleux de la philosophie. Parce qu'il n'est pas connu et est moins bien encore effectif, il y a rarement ou même jamais un dialogue philosophant parmi ceux qui s'occupent de philosophie mais ne philosophent pas. Aussi longtemps que manquera cette élémentaire disposition pour le péril interne à la philosophie, un débat philosophant n'aura jamais lieu, même si, dans des revues, quantité d'articles sont décochés les uns contre les autres. Ces articles veulent tous se démontrer réciproquement des vérités, et ils oublient ainsi la seule tâche véritable, celle qui est la plus lourde: faire entrer son propre Dasein et celui des autres dans une problématicité fructueuse."

M. Heidegger, Les concepts fondamentaux de la métaphysique. Monde-finitude-solitude, Gallimard, 1992, p. 42

mercredi 3 juillet 2019

Naître pour mourir ou vivre jusqu'à la mort ? Quelques pistes de réflexion à partir du livre de Françoise Dastur, La mort. Essai sur la finitude, Puf, 2007

Cet exposé, donné dans le cadre du séminaire du Fonds Ricœur 2016-2017, s’inscrit dans la suite logique de mes recherches sur la Phénoménologie du deuil et de la perte, notamment dans l'œuvre de Paul Ricœur.

Préliminaire :
Dans La Mémoire, L’Histoire, L’Oubli, alors qu’il engage un débat de fond avec Heidegger à propos de sa phénoménologie de l’être-mortel ou l’être-pour-la mort— auquel Ricœur, on le sait, opposera son fameux « Demeurer vivant jusqu’à… »—, Paul Ricœur écrit dans une petite note en bas de page : « On lira le plus vigoureux plaidoyer pour une attitude face à la mort proche de celle articulée dans Sein und Zeit chez F. Dastur, La Mort. Essai sur la finitude, Paris, Hatier, 1994 (p. 465).
Il s’agit de la première édition de l’ouvrage de F. Dastur (paru dans une collection qui n’existe plus) et qui était destiné aux étudiants et aux élèves de Terminale et  « à tous ceux qui s’intéressent à la philosophie sans avoir reçu de formation spéciale à cet égard ».
Dans la présente édition, F. Dastur revient sur le contexte de cette première publication :
« Lorsque l’on m’offrit de publier un essai dans cette collection, en me précisant le cadre dans lequel il s’agissait de s’insérer, j’eus tout de suite envie de participer à cette entreprise, et si je choisis alors de traiter du « thème » de la mort, c’est précisément parce qu’il me semblait que la pensée se heurtait là à une aporie. La philosophie qui se donne certes légitimement le droit de tout penser peut-elle donc aussi se donner pour « objet » cet impensable qu’est la mort ? »(p.7)
La perspective éditoriale de la présente publication dans la Collection Epiméthée (PUF), vise un public averti, ce qui donne une version plus élaborée et très augmentée, même si la réflexion de l’auteure aboutit à la même conclusion.
Mon exposé se limitera dans un premier temps à un rapide survol du livre. Dans un second temps nous donnerons plus d’échos aux analyses de Dastur développées au chapitre III, intitulé : « Phénoménologie de l’être-mortel », dans lequel l’auteure déploie, selon ses propres termes, un discours proprement phénoménologique, puisqu’il est « discours sur l’apparaître à soi-même du caractère fini de sa propre existence. »
Ce moment de se-savoir et de se-sentir mortel me paraît aussi être le lieu crucial où se situe le débat entre Ricœur et Heidegger quant aux conséquences pour et sur l’être-au-monde selon que celui-ci se vit comme être-pour-la mort ou être-vivant-jusqu’à la mort ! Ce sera l’autre objet de la seconde partie de l’exposé. Expliciter la critique que Ricœur oppose à Heidegger, tout en laissant ouvert le débat.

Introduction 
1. La grandeur de la mort.
L’ouvrage s’ouvre sur un constat : les humains,  à travers les mythologies, les religions et même la philosophie, ont toujours cherché à surmonter et même à vaincre la mort : « Vaincre la mort : tel est en effet le programme non seulement de la métaphysique, qui prétend à la connaissance du suprasensible et du non-corruptible, mais aussi de la religion, en tant que celle-ci est promesse de survie personnelle, de la science, qui érige la validité d’une vérité indépendante des mortels qui la pensent, et plus généralement de l’ensemble de la culture humaine, puisque celle-ci se fonde par essence sur la transmissibilité de savoirs et de techniques qui constituent le trésor durable d’une communauté de vivants s’étendant sur plusieurs générations. »p.10
Avec pédagogie, Dastur se lance alors dans l’analyse des sources archaïques et religieuses de la conception de l’immortalité dans la philosophie de Platon « dont la tâche la plus essentielle (…) est de nous rappeler notre participation à l’éternel et de nous inviter à dépasser ainsi la contingence et la finitude de la vie individuelle » (p.9)
La philosophie, depuis Platon, procèderait ainsi par esquive ; ne pouvant penser la mort, elle se tourne vers ce qui en l’homme participe de l’éternel, pensant ainsi s’affranchir des contingences de la finitude.
Pour Dastur, et c’est tout l’enjeu de son livre, il est possible d’avoir un autre rapport à la mort que celui de l’esquive. Pour cela ne faut-il pas, se demande-t-elle, « renoncer à absolutiser le devenir et parvenir à voir dans l’«éternité » (…) moins la preuve de notre appartenance à ce qui échappe à l’indétermination foncière du temps qu’une production propre à la temporalité elle-même, qui serait ainsi capable, en l’être humain, de projeter par elle-même l’horizon de son propre dépassement. »(p.12)
Ce dépassement passe par une sorte de renversement de la pensée du temps. Ce point sera développé plus loin. Convoquant tour à tour, dans un premier temps, Schelling, Hölderlin et Hegel (tous trois lecteurs de Sophocle), F. Dastur avance l’idée que l’existence de Dieu chez ces auteurs ne relève pas d’une démonstration ontologique mais de ce qu’elle nomme « attestation phénoménologique ». Ainsi  « Hölderlin explique que Dieu ne peut être démontrable qu’à partir de la structure totale formée par l’homme et le monde » sans que cela constitue pour autant une preuve. « Ce Dieu, au contraire du Dieu de la métaphysique et du Dieu de la révélation, n’est ni objet de pensée, ni objet de croyance : ce « dieu  de la sphère »—cet espace à la fois anthropologique et cosmologique qui est le lieu de vie d’une communauté de vie historique— est « éprouvé » et ne vient à la parole que lorsqu’il est représenté dans des images et nommé dans la poésie» (p.14). Donc non plus dans le temps « divin », l’éternité, mais dans le temps fini, à l’image de l’être humain.
Désormais, en philosophie, l’éternel sera pris dans le pli de la finitude : il n’y aura plus de « hors temps » qui ne soit le résultat d’un projet éminemment temporel. « C’est en ce sens (…) que Heidegger a pu voir en l’homme ce mortel qui regarde dans la direction du divin et qu’il a pu dire de la mort qu’elle est l’ « écrin du rien » en même temps que « l’abri de l’être » (p.20)

2. La culture et la mort
Le premier chapitre, intitulé La culture et la mort, essaie de définir le sens des rites funéraires en situant le deuil comme l’origine de la culture. Les dieux ayant fixé aux humains la mort comme destin, le rite funéraire peut être compris comme une « volonté de ne pas se soumettre passivement à la nature des choses ». Si « la mort apparaît alors comme une échéance inévitable à laquelle l’homme ne peut que se résigner, précisément parce qu’il ne lui appartient pas de changer l’ordre naturel des choses », il n’en demeure pas moins qu’à travers la figure mythique de Gilgamesh (début du IIè millénaire avant notre ère), l’humain récuse ce destin qu’il n’a pas choisi, il refuse la mort. (p.22)Le rite funéraire accentue en quelque sorte ce refus. En effet, à la différence de l’animal, le refus d’abandonner la dépouille d’un proche participe chez l’homme de l’idée ou plutôt de la certitude d’un principe de vie qui dépasse la contingence de l’existence : le souffle, l’âme, dont il faut accompagner le départ.
D’où cette proposition de F. Dastur de « définir l’homme plutôt à partir de ces conduites externes de deuil qu’à partir d’un se-savoir mortel qui demeure tout intérieur » (p.25)
« Toutes ces pratiques qui mettent en jeu tout un ensemble de rites qui s’étendent parfois, par-delà le jour même des funérailles, sur une très longue durée, sont en elles-mêmes ce qui marque l’apparition du règne de la culture, car elles témoignent d’un refus de se soumettre passivement à l’ordre de la nature, à ce cycle de la vie et de la mort qui régit tous les vivants. » (p.26)
En prenant acte de la disparition du défunt, le rite funéraire communautaire permet en même temps d’accéder à un nouveau mode de relation avec le trépassé, avec « celui qui est passé au-delà et qui continue d’exister dans un ailleurs indéterminé. Le deuil, manifestation de la douleur—le mot vient du latin dolor—, doit s’extérioriser dans tout un ensemble de conduites, dont les « pleureuses » antiques et modernes ne sont que la forme la plus visible, afin de permettre de renouer sur un nouveau mode, tout intérieur et « spirituel », la relation brutalement interrompue par la mort du disparu. » (p.26-27)
Une manière, plus ou moins inconsciente pour l’homme,  de transgresser la part limitée de vie qui lui est accordée. Mais, cela signifie aussi que la vie de l’homme est une vie « avec » les morts. « Ce sont les ombres des disparus, comme de ceux qui ne sont pas encore nés, qui l’accompagnent, de manière invisible, tout au long de sa vie » (p.29). Selon l’auteure, cette communauté virtuelle est le véritable fondement de toutes les cultures. C’est ce qui lui permet de définir la culture, au sens large, comme culture de la mort.
En même temps, tout se passe comme si pour chacun, les morts ne sont jamais morts, dans la mesure où il existe une ouverture vers l’au-delà. F. Dastur souligne que très tôt, cette approche de la mort ouvrant sur un au-delà a permis de penser la vie sur un mode eschatologique : depuis la Perse zoroastrienne, en passant par Platon et jusqu’à l’apôtre Paul, et saint Augustin, les âmes sont ainsi destinées à un jugement, les actions de la vie terrestre sont sanctionnées. L’attente d’un salut et de la vie éternelle conduit à se désintéresser aux choses de la vie terrestre. Dans ce sens, selon Dastur, l’assomption chrétienne de la mort n’en est pas une, puisque mourir c’est dépasser la mort : « L’assomption de la mort a ici la forme, dialectique, d’une reconnaissance qui est en même temps déni.  C’est pourquoi il faut chercher ailleurs l’image d’une véritable assomption de la mortalité » (p.42).

3. Tragédie et mortalité
Le chapitre intitulé La métaphysique de la mort plante un nouveau décors pour une véritable assomption de la mortalité, dans un moment où « le lien entre visible et invisible, les vivants et les morts, n’est plus manifeste, c’est-à-dire à partir du moment où le monde du mythe, dominé par l’idée qu’une communauté de destin unit les mortels et les immortels, les dieux et les hommes, a perdu son autorité. » (p.53).
 C’est dans ce contexte général que va apparaître une nouvelle figure de l’homme qu’est le philosophe, au même moment que l’invention du discours sur la mort par le biais de la mythologie « ce qui implique que soit posée d’emblée une homologie entre mort et philosophie, laquelle sera l’horizon de tout le discours platonicien sur la mort » (p.71)

4. Phénoménologie de l’être-mortel 
La phénoménologie va mettre en question toute la tradition précédente.
F. Dastur, dans ce chapitre, part d’une évidence, à savoir que  de la mort comme telle, il n’existe nulle expérience et nulle pensée, la mort étant ce « rien » qui « ne peut qu’imposer le silence au discours conceptuel », dans la mesure où « elle constitue le non-phénomène par excellence, ce qui n’apparaît jamais en « personne ». La mort est une « invisibilité absolue », elle ne sera jamais un donné, car elle échappe radicalement à toute présence, elle « est l’autre absolu de l’être » (p.105).
Néanmoins, l’expérience que l’être humain a de lui-même et qui constitue le fondement même de son être, est celle de se-savoir et de se-sentir mortel. « C’est donc cet étrange savoir, que chacun a avec certitude de sa fin propre et qui n’est semblable à aucun autre savoir du fait même de son irréductible dimension « affective », qui rend possible un discours non pas sur « la » mort, mais bien sur le rapport qu’entretient l’être pensant à sa propre mortalité ». Comment m’apparaît le caractère fini de ma propre existence, voilà le sens de l’approche proprement « phénoménologique ».
Au contraire de toutes les autres sortes de discours sur la mort, le discours « phénoménologique » sur la mortalité « ne promet nul « dépassement » de la mort, ne revendique nulle victoire remportée contre elle et ne pose par avance aucune transcendance susceptible de la neutraliser ».
Ce discours radical n’a pourtant pas la prétention d’en savoir plus sur la mort que la mythologie, la théologie, la métaphysique, l’anthropologie et la biologie, mais simplement contrairement aux autres discours, la phénoménologie  « pose la question de l’essence de ce qui apparaît, elle se voit contrainte de « mettre entre parenthèses » toutes les évaluations qui ont cours—ce que Platon nommait doxa, « opinion » ou « croyance » (…). La phénoménologie, qui réitère ainsi le geste philosophique en ce qu’il a de plus propre, s’abstient de toute présupposition provenant de ces différents domaines de la culture humaine et se propose uniquement de décrire la manière dont l’être humain se rapporte à sa propre mort » (104).
Ainsi, la mort dans sa présentation apparaît sur le mode de l’immanence tout en étant perçue paradoxalement comme « une absence absolue »(p.106). Le discours phénoménologique est possible, parce qu’il s’en tient « à la pure expérience de l’immanence toujours possible de ce non-sens qu’est l’abolition de l’exister et ne tente pas de donner à la mort un sens en l’intégrant à une transcendance qui la relativiserait ». F. Dastur va jusqu’à écrire que, —à l’inverse de Parménide pour qui la mort est une voie impraticable du non-être absolu— « c’est parce qu’il a rapport à ce rien qu’est la mort que l’être humain pense, et aussi qu’il parle et qu’il rit. » (p.106).

5. Le débat
Avec l’analyse de la mort propre et la mort de l’autre, nous en arrivons à l’un des points de désaccord entre Ricœur et Heidegger. Là, il faut s’accrocher pour ne pas perdre le fil. Le point de départ, si j’ose dire, se situe dans l’affirmation d’une phénoménologie de la condition mortelle de l’être humain. Jusque là ça va. Mais quand arrive de manière massive le sens du rapport de celui qui pense à sa propre mort et que ce rapport est défini comme celui de l’être-pour-la mort, c’est-à-dire l’idée de la mort comme possibilité intime du pouvoir-être le plus propre, là Ricœur s’insurge ! Je suis obligé de citer longuement l’argumentation de Ricœur dans La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, à propos de l’analytique du Dasein dans Etre et Temps : « Il est tout à fait remarquable que la deuxième section, intitulée « Dasein et temporalité », débute par un chapitre qui fusionne deux problématiques : celle de la totalité(« l’être-tout-possible du Dasein »), et celle de la mortalité (« projet existential d’un être authentique pour la mort »). Tout se décide sur ce nexus entre la vastitude du pouvoir-être total et la finitude de l’horizon mortel. Avant même d’avoir commencé à explorer les strates de la temporalisation de tous les registres d’existence, nous savons que l’entrée dans la dialectique des instances de temporalisation se fera par le futur et que la futurité  est structurellement barrée par l’horizon fini de la mort. Le primat du futur est impliqué dans le thème de l’être-pour-la-mort : celui-ci condense ainsi toute la plénitude de sens entraperçue dans l’analyse préparatoire du souci sous le titre du « devancement de soi » (p.464).
Ce que reproche Ricœur à Heidegger c’est de poser d’emblée, comme allant de soi, la mort comme la possibilité la plus propre du Dasein, « la plus propre, absolue, indépassable, certaine d’une sorte non épistémologique de certitude, angoissante à force d’indétermination » (p.465). Pour Ricœur, il y a une difficulté épistémologique dans l’approche heideggérienne de la mort propre, dans la mesure où ne sont pris en compte que le souci et l’angoisse, l’angoisse « qui met son seau sur la menace toujours imminente du mourir », masquant ainsi ce qui est cher à Ricœur, à savoir « la joie de l’élan du vivre». Il souligne ainsi, selon lui, le silence, dans Etre et Temps, sur le phénomène de la naissance : « sa jubilation ne devrait-elle pas être opposée à ce qui paraît bien une obsession de la métaphysique par le problème de la mort, comme il en est parlé dans le Phédon de Platon louant le « souci du mourir »? S’il est vrai que la banalisation du mourir au niveau du « on » vaut esquive, l’obsession angoissée ne vaut-elle pas obturation des réserves d’ouverture de l’être possible ? Ne faudrait-il pas alors explorer les ressources de l’expérience du pouvoir-être en deçà de sa capture par l’être-pour-la-mort ? » Ne faut-il pas alors entendre Spinoza : « L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort et sa sagesse est une méditation non de la mort mais de la vie ». « La jubilation fomentée par le vœu—que j’assume—de demeurer vivant jusqu’à… et non pour la mort ne fait-elle pas ressortir par contraste le côté existentiel, partial et inéluctablement partiel de la résolution heideggérienne face au mourir ? » (p.165-166). Nous retrouvons ici développés et plus argumentés des thèmes esquissés dans Vivants jusqu’à la mort (la vie, la joie…).
Bien sûr, F. Dastur, qui a réécrit son essai sur la mort, —dont Ricœur ne connaissait que la première version— a l’avantage d’avoir lu La Mémoire, L’Histoire, L’Oubli ainsi que le recueil des textes posthumes, Vivant jusqu’à la mort, alors que l’essai actuel a paru après la mort de Ricœur. Elle cite ainsi, au moins à deux reprises Ricœur mais d’une manière trop rapide et très succincte à mon goût, contrairement à Levinas, Derrida et même Jean-Paul Sartre… Serait-ce dû au fait que les objections de Ricœur sont imparables ou que cela prendrait plus de temps à les réfuter ?
Ricœur est cité une première fois lorsqu’il est question de Mort propre et mort de l’autre,(p. 107). Dastur invite alors à se placer en face du « pur phénomène » de la mortalité. Mais ici se pose, d’après Dastur, un problème de traduction à propos de l’expression Sein zum Tode, « que l’on traduit habituellement par « être pour la mort », mais qui signifie, selon Dastur, « un être en relation avec la mort », comme le précisera Heidegger lui-même dans une lettre adressée à Hannah Arendt (2001). Ricœur, tout comme Levinas et bien d’autres penseurs, aurait commis une grave erreur de traduction en laissant croire que Heidegger était « pour » la mort comme d’autres seraient « pour la vie ».
« C’est en particulier la position de Paul Ricœur qui se demande si « l’angoisse qui met son seau sur la menace toujours imminente du mourir ne masque pas la joie de l’élan du vivre » et qui, à « l’obsession de la métaphysique par le problème de la mort » veut opposer la leçon spinoziste qui enjoint de « demeurer vivant jusqu’à… et non pour la mort ». Dastur enchaine immédiatement sur Levinas lequel serait dans la même erreur puisqu’il affirme dans Totalité et infini qu’ « être temporel, c’est être à la fois pour la mort et avoir encore du temps, être contre la mort », ici, Ricœur est cité comme simple renfort de Levinas dans une note en bas de page : « C’est ce qui permet à Ricœur d’affirmer que « Silencieux sur l’éventuel après la mort (…), Levinas est clair et ferme sur l’avant de la mort, qui ne peut être qu’un être-contre-la-mort et non un être pour la mort » (p.108). Le débat, on le voit, est loin d’être clos, même si les protagonistes ne sont plus de ce monde.

Conclusion :
Ce que j’ai apprécié dans l’ouvrage de Dastur, c’est l’impressionnante moisson de connaissances tant philosophiques qu’anthropologiques sur plusieurs siècles concernant les différentes conceptions de la mort.  En partant d’une certaine compréhension de l’existence humaine définie comme celle d’un être-avec-ses-morts, —ce qui la distingue de toute vie animale—, elle définit les pratiques du deuil avec ses rites comme l’origine de la culture.
Par ailleurs, cet être-avec-la-mort, caractéristique de la culture humaine (ch.1), participe au coup d’envoi de la métaphysique de la mort (ch.II), tradition qui sera elle-même mise en question par la relève phénoménologique de l’être-mortel (ch.III) et l’être-vers-la-mort heideggérien (ch.IV). Sur ce dernier point, elle aide à mieux comprendre la distinction que fait Heidegger entre le mourir et la mort : la mort, c’est la disparition, le mourir est une manière d’être par laquelle le Dasein se rapporte à la mort. Cela signifie que le Dasein existe toujours à travers sa propre fin qu’il devance, alors que le vivant ne fait que d’une certaine manière cesser d’être. Le premier existe comme un être-vers-la-mort, le second vit puis parvient à sa fin. C’est tout le paradoxe heideggérien de la mort comme possibilité de l’impossibilité de l’existence.
Quant au débat entre Ricœur et Heidegger, il met en lumière non pas deux conceptions de la mort, mais une différence majeure quant à la relation de l’un et l’autre à la mort. Pour Heidegger l’être qui est en relation avec la mort n’est ni le vivant en général, ni l’homme dans son sens traditionnel de vivant doté de raison, ni un moi essentiellement déterminé par sa volonté, mais celui qu’il baptise Dasein, une traduction du latin existentia et qui signifie littéralement « être-là ». « Il y a donc un être soi-même ou une ipséité qui ne se confond nullement avec un être-sujet du fait même qu’il n’est jamais déjà réalisé, mais au contraire toujours « à être » et que cet « être à être » a la forme d’un projet de soi-dans-le-monde qui ne présuppose aucun être substantiel comme son fondement ». (p.112)
Ricœur lui, cherche à montrer, à la différence de Heidegger, je cite ici Frédéric Worms, « que la relation à la mort, loin de pouvoir être directe et première, passe par un (…) détour qui, tout en conduisant bien à cette relation à la mort et même, dans cette relation, à une « sagesse », indique d’abord les pôles d’une autre relation, qui est la relation à la vie »(2006).

ARENDT. H., HEIDEGGER. M., Lettres et autres documents 1925-1975, Gallimard, 2001, P. 139
WORMS. F. Esprit 2006/3, mars-avril, p.304-315.

mardi 2 juillet 2019

Mes lectures cet été


1. L'Etincelle de l'âme. Maître Eckhart (Sermons I à XXX traduits et présentés par Gwendoline Jarczyk et Pierre-Jean Labarrière), Albin Michel, 1998.
Il s'agit des trente premiers sermons du maître dominicain traduits du moyen-haut allemand, textes a priori plus accessibles que son œuvre latine (des Traités en général).

"Dieu ne cherche pas ce qui est sien ; dans toutes ses œuvres il est dépris et libre et les opère par juste amour. Ainsi aussi fait cet homme qui est uni à Dieu ; il se tient lui aussi dépris et libre dans toutes ses œuvres, et les opère seulement pour honorer Dieu, et ne recherche pas ce qui est sien, et Dieu opère en lui."

2. Philip Roth, Pourquoi écrire?, Gallimard, 2019
Compilation d'essais et d'entretiens conçue par Ph. R lui-même. L'auteur revient avec nostalgie sur ses débuts littéraires, "dévoile les coulisses de son travail, revient sur ses controverses et livre de nombreuses anecdotes où le goût de la fiction le dispute à la stricte biographie."

"Me voilà, sans mes tours de passe-passe, à nu et sans aucun de ces masques qui m'ont donné toute la liberté d'imaginer dont j'avais besoin pour écrire des romans."

3. Janet Hobhouse, Nos vies consumées, éditions Rue Fromentin, 2019
Dans sa présentation du livre posthume de Janet Hobhouse (dont il a partagé la vie quelques années), Philip Roth (encore lui (rire)) écrit :
"Au cœur du texte, décrit avec une franchise impitoyable, se découvre le tortueux lien d'amour entre mère et fille. A la fin de sa courte vie, Janet Hobhouse a su faire de sa souffrance une confession précise, éloquente, jamais larmoyante et même singulièrement pleine de verve — un véritable tour de force, moral autant que littéraire."

4. Laurent Gaudé, Médée Kali suivi de Sodome, ma douce, Actes Sud, 2019.
J'ai découvert Laurent Gaudé en lisant Le soleil des Scorta (prix Goncourt 2004), que nous avons beaucoup apprécié au Cercle de lecture (que j'anime en région parisienne une fois par mois). Médée Kali et Sodome, ma douce sont deux femmes "auxquelles Laurent Gaudé prête une voix lyrique d'oracle (qui) ont payé le prix fort de leur indépendance et de leur désir."

5. Gabriel Garcia Marquez, Douze contes vagabonds, Grasset, 1993
Dans son livre Cultiver l'incertitude, paru chez l'exprimerie, Frank M. Staemmler, évoque une Nouvelle de Gabriel Garcia Marquez dans laquelle une femme, dont la voiture est tombée en panne, est prise en auto-stop par l'autobus (elle ignore qu'il s'agit du bus d'un asile d'aliénés) et se retrouve internée! En cherchant dans la bibliographie de G.-G.M, (Staemmler n'indique pas ses sources) j'ai eu la joie de découvrir que la fameuse Nouvelle fait partie de Douze contes vagabonds, dont Pierre Lepage (Le Monde) rend compte ainsi :
"Drôle, émouvant, féroce, inquiétant, superbe, Garcia Marquez connaît tous les registres."

vendredi 24 mai 2019

Olivier Clerc, La grenouille dans la marmite d'eau: sommes-nous déjà à moitié cuits ?

    "Imaginez une marmite remplie d'eau froide, dans laquelle nage tranquillement une grenouille. Le feu  est allumé sous la marmite. L'eau chauffe doucement. Elle est bientôt tiède. La grenouille trouve cela plutôt agréable et continue de nager.
    La température commence à grimper. L'eau est chaude. C'est un peu plus que n'apprécie la grenouille, mais elle ne s'affole pas pour autant, surtout que la chaleur tend  à la fatiguer et à l'engourdir.
   L'eau est vraiment chaude, maintenant. La grenouille commence à trouver cela désagréable, mais elle est aussi affaiblie, alors elle supporte, elle s'efforce de s'adapter et ne fait rien.
   La température de l'eau va ainsi continuer de monter progressivement, sans changement brusque, jusqu'au moment où la grenouille va tout simplement finir par cuire et mourir, sans jamais s'être extraite de la marmite.
   Plongée d'un coup dans une marmite à 50°, la même grenouille donnerait immédiatement un coup de patte salutaire et se retrouverait dehors.

   Cette expérience est riche d'enseignements. Elle nous montre qu'une détérioration suffisamment lente échappe à notre conscience et ne suscite la plupart du temps pas de réaction, pas d'opposition, pas de révolte de notre part."

Et l'auteur de citer, comme premier exemple (il y en a plusieurs autres dans le livre), la santé :
  
   "Certaines maladies mettent ainsi dix, vingt ou trente ans à se mettre lentement en place, le temps que notre corps et notre psyché parviennent à saturation de toxines, de tensions, de blocages, de non-dits, de refoulements. Notre accoutumance à certains désagréments mineurs, ajoutée à la perte de sensibilité et de vitalité, fait que nous ne réagissons pas à cet insensible affaiblissement de notre santé avant que n'apparaissent des pathologies plus profondes, plus graves, plus lourdes à traiter."

Lire ce livre, plein de métaphores et d'allégories, peut s'avérer salutaire à une époque, comme l'écrit Olivier Clerc, "où l'esprit analytique règne en maître, favorisant l'individualisme forcené, la fragmentation sociale, la réduction du monde à des chiffres, à des statistiques et des données sans vie."

Olivier Clerc, La grenouille qui ne savait pas qu'elle était cuite et autres leçons de vie, JC Lattès, 2005, p. 15-17

mercredi 22 mai 2019

James Baldwin

"Dans ces essais écrits durant les années 1940 et 1950 alors qu'il n'avait qu'une vingtaine d'années, James Baldwin s'interroge sur ce que signifie être noir aux Etats-Unis. Ses réflexions sur la vie à Harlem, la politique, la religion, la presse, la littérature ou le cinéma, écrites dans une prose riche, dense et percutante, sont d'une profonde et vibrante actualité.

La force de ce recueil réside dans la virtuosité avec laquelle Baldwin entremêle sa critique d'une société injuste et clivante, et le récit très personnel de son expérience et de ses souvenirs. L'évocation de la mort de son père, figure insondable d'un pasteur guetté par la démence, l'entraine à commenter les émeutes de 1943 à Harlem ; le témoignage de son emprisonnement injustifié dans la prison de Fresnes le conduit à poser un regard lucide sur le rapport de la France à la colonisation ; la chronique d'un voyage à Atlanta lui donne l'occasion de dénoncer le racisme systémique et le paternalisme des politiques qui infantilisent la communauté noire. Avec une justesse incomparable et une franchise désarmante, il détaille ainsi les comportements, explore des méandres des relations entre les Noirs et les Blancs et donne à voir une société aux prises avec ses contradictions.

Cette nouvelle traduction rend admirablement justice à l'intensité, la finesse et la perspicacité de l'œuvre de Baldwin, et permet de redécouvrir la voix unique d'une des figures les plus brillantes du XXsiècle."

James Baldwin, Chroniques d'un enfant du pays, Gallimard, 2019, quatrième de couverture.

NB : je reviendrai bientôt sur ce livre pour livrer mes impressions de lecteur.

Quoi de neuf sur le blog ?

Autrefois hébergé par Google+, le blog n'avait plus de fournisseur officiel depuis fin mars et n'était donc plus sécurisé. De fait, je n'avais qu'à basculer sur Blogger pour fonctionner à nouveau normalement. C'est chose faite depuis la semaine dernière, grâce à l'aide technique d'un ami.

Tout cela n'explique pas pourquoi je publie moins sur le blog, la dernière fois que je suis intervenu ici c'était en novembre 2018! Je sais, je crois savoir ce qui s'est passé. J'ai privilégié —non, ce n'est pas exact, il ne s'agit pas d'un acte délibéré —, j'ai cédé plutôt, comme un somnambule, à la facilité inhérente aux réseaux sociaux: un post vite fait, presque tous les jours, sinon plusieurs fois par jour sur Facebook ! Liker, pour montrer mon soutien, mon appréciation "j'aime", par exemple ! Geste mécanique, sans affect, souvent, dans l'espoir implicite qu'on me rende la pareille, tout pour nourrir l'égo jamais rassasié ? Bon, bien sûr, il y a des amis (es) qu'on aime retrouver, je parle de vrais amis qu'on connait de visu de longue date et aussi d'autres plus récents rencontrés sur fb, qui pensent, questionnent et ouvrent sur autre chose que le sensationnel ou l'émotionnel ou les critiques systématiques sur tout ce qui ne va pas dans leur sens !
 Peu de pensée vraiment personnelle. Normal, sur fb, pas de temps à perdre, le texte ne doit surtout pas excéder quelques lignes pour espérer être lu, et puis la cadence très tenue, le côté éphémère, aussitôt publié aussitôt oublié. Normal.

Alors vient un moment, et c'est maintenant, où je me dis stop, ou plutôt ressaisissement, reprise de l'élan initial, retour dans cet espace libre, disponible pour penser, rêver, chercher, écrire!

Quant à fb, sans bouder le réseau, —est-ce possible à l'heure du tout numérique ?—revenir à mes premières intentions : n'y publier dans la mesure du possible que des citations ou de brèves recensions de livres, quelques photos prises sur le vif de l'actualité.

 Nous sommes au téléphone depuis une dizaine de minutes, je ne suis pas du tout à l'aise : —Attends s’il te plaît, lui dis-je, donne-moi...