jeudi 28 février 2008

Valère Novarina

Absent du blog depuis une semaine, je m'étais promis d'écrire sur ce qui est présent pour moi depuis quelques jours, à savoir un questionnement (plus ou moins tendu) sur le thème du choix: qu'est-ce qui détermine nos choix ? Peut-on choisir sans risques ?

Mais, sans savoir pourquoi, peut-être pour retarder le moment de l'écriture ou simplement pour me changer les idées, j'ai plongé dans "L'Espace furieux" de V. Novarina. Livre que j'ai commencé depuis longtemps et que je ne suis pas du tout pressé de terminer, et que je lis toujours avec le même dépaysement, le même étonnement et à chaque fois avec autant de plaisir. Je sais, certains de mes amis n'aiment pas Novarina, ils le trouvent hermétique, trop abstrait (et pourtant, ils continuent à le lire!). Moi, j'aime la musique de ses phrases, le côté absurde aussi des choses de la vie qu'il décrit avec une certaine délectation…

Bref, en lieu et place de ma propre réflexion, je cours le risque (non calculé) de vous donner à lire un passage de L'espace furieux. C'est mon choix du jour, et j'en profite pour vous inviter à vous procurer le livre aux éditions P.OL. 

"Le temps n'a plus aucun instant à passer avec nous. 
La vie n'a plus aucun instant à penser à nous. 
Même le présent n'a plus le temps d'être avec nous. 
Le futur est arrivé sans qu'on prenne garde à soi. 
Passé s'est terminé sans qu'on ait su pourquoi. 
Il faut que je me crève en rêve quelque chose dans la tête que j'ai en trop depuis le premier instant de ma pensée émise. 
Si quelqu'un venait, dans moi, à ma place, je ne serais pas digne de lui lacer ses souliers.
 J'hésite à partir d'ici. 
J'arrive plus à mettre les pieds hors d'ici. 
Les plafonds sont au sommet. 
J'arrive plus à mettre les deux pieds dans la même mentalité. 
J'arrive plus à mettre mes pensées en idées. 
Mes deux pensées pensent, chacune de son côté. 
J'arrive plus à garder les mains à la place du tronc. 
Ma tête est imminente. Je vais passer lui laisser la suite…"

jeudi 21 février 2008

Citation du jour

"Comme c'est curieux! on est conduit, on ne conduit pas. Je ne suis qu'un serviteur."
(Henri Matisse, Ecrits et propos sur l'art, Paris, Hermann, 1972, p.272)
 
"On ne conduit pas"!
Cela donne envie de visiter la Chapelle de Vence où Matisse, aux dires de certains, ouvre la peinture à l'expérience qui "ne saisit rien", où rien ne se retient. 
Nous sommes ici dans le don.
Point de poids à porter! 
On laisse venir ce qui vient ou être ce qui est.
Et ce qui vient alors, ce qui naît du pinceau de l'artiste, s'appelle l'inattendu! 
L'oeuvre d'Art!
Tiens!
"Comme c'est curieux! on est conduit, on ne conduit pas…"



mise à jour du blog

Depuis hier le blog connaît un certain dysfonctionnement suite à une manipulation hasardeuse. j'espère y remédier avant la fin de la semaine.

lundi 18 février 2008

l'amitié

"Celui qui voit sent qu'il voit, celui qui écoute sent qu'il écoute, celui qui marche sent qu'il marche, et pour toutes les autres activités il y a quelque chose qui sent que nous sommes en train de les exercer de sorte que si nous sentons nous nous sentons sentir, et que si nous pensons, nous nous sentons penser, et cela c'est la même chose que se sentir exister: exister signifie en effet sentir et penser.
Sentir que nous vivons est doux en soi, puisque la vie est par nature un bien et qu'il est doux de sentir qu'un tel bien nous appartient.
Vivre est désirable, surtout pour les gens de bien, puisque pour eux exister est un bien et une chose douce. En con-sentant, en "sentant avec", ils éprouvent la douceur du bien en soi, et ce que l'homme de bien éprouve par rapport à soi, il l'éprouve aussi par rapport à son ami: l'ami est en effet un autre soi-même". (Aristote)

Merci à vous tous, amis! Pour mes 62 ans, j'ai été bien gâté. Des mails, des texto, des coups de fil, des cadeaux, et j'en passe, car il y a eu aussi une petite fête rue Rabaut Saint Etienne, et  je me suis senti, littéralement, exister, tellement c'était doux et bon! Et vos retours semblent confirmer qu'il en a été aussi de même pour vous!
Pour prolonger ce doux bonheur, je vous recommande un petit bouquin qu'une amie m'a offert récemment, devinez le titre: L'amitié, de Giorgio Agamben, Rivages poche, 2007.

jeudi 14 février 2008

Le plaisir d'écrire à partir des écrits des autres

Roland Barthes, dans La Préparation du roman (Cours et Séminaires au Collège de France 1978-1980, éditions Seuil, 2003) dit que le premier moteur de l'écriture est la lecture: on écrit parce qu'on a lu et certains textes sont venus s'adapter à notre désir. 
L'auteur poursuit: "Je veux m'ajouter activement à ce qui est beau; l'oeuvre de l'autre passe en moi, je veux la faire autre, la déformer".
Ces Cours sont, en quelque sorte, une réponse à la question qui a toujours accompagné Roland Barthes, à savoir: face à l'intraitable réalité, la littérature est-elle possible?
Chaque fois que nous écrivons nous répondons, à notre manière, à cette question.

mercredi 13 février 2008

Citation du jour

"L'idée de ne vivre subjectivement que dans le présent semble contraire à l'intuition. Par exemple, devant le souvenir d'un événement passé, on est légèrement surpris de se rendre compte que l'expérience du souvenir se passe maintenant.
Nous re-vivons peut-être quelque chose, mais nous le re-vivons maintenant. Nous sentons intuitivement que nous n'avons pas effectué de retour en arrière. Même le récit d'un événement antérieur de quelques minutes se passe maintenant. Un récit est une expérience située dans le présent, bien qu'il renvoie à un moment présent qui s'est produit dans le passé.
Nous nourrissons des attentes à propos de l'avenir, mais elles sont également vécues maintenant. On peut en dire autant des fantasmes, des rêves et des révisions après les faits".
(Daniel N. Stern)

dimanche 10 février 2008

Quand Michel Henry conduit à Maître Eckhart

C'est à Sylvie que nous devons ce lien fort heureux et qui demande qu'on s'y arrête dès maintenant. 
Le thème de l'auto-affection cher à Michel Henry conduit Sylvie, par association, directement au "détachement" terme forgé par Maître Eckhart, que l'on peut traduire aussi par "déprise","abandon" ou "laisser-être. 
Michel Henry ( 1922—2002) est phénoménologue. 
Maître Eckhart (1260—1328), est à l'origine de ce qu'on appelle la "mystique rhénane".
Le premier est considéré comme l'un des plus grands penseurs français de la seconde moitié du XXe siècle, le second a influencé et continue de fasciner non seulement des lecteurs occasionnels ou connaisseurs avérés, mais aussi des oeuvres majeures de la tradition spéculative —mystique et /ou philosophique, pour ne citer que quelques noms: Nicolas de Cues, Angelus Silesius, Hegel, Jung, Heidegger, Bataille…

A l'appui de la remarque de Sylvie, à savoir que chez M. Henry la vie, c'est "ce qui s'auto-affecte", voici une citation tirée de son livre postume Phénoménologie de la vie ( collection Epiméthée, Puf, 2007, p.49):
"La vie se sent, s'éprouve elle-même. Non qu'elle soit quelque chose qui aurait, de plus, cette propriété de se sentir soi-même, mais c'est là son essence: la pure épreuve de soi, le fait de se sentir soi-même. L'essence de la vie réside dans l'auto-affection".

A ce propos, un de mes amis, Claude, m'écrit pour souligner l'intérêt qu'il y a pour les aumôniers hospitaliers à lire Michel Henry: sa réflexion peut nous aider à comprendre "la façon dont le patient, à partir de son expérience et de son ressenti intérieur, son vécu de conscience, exprime, quand il est écouté, sa perception de la souffrance et de la douleur. Cette expression singulière le concerne dans son intériorité: il peut douter de beaucoup de choses, mais pas du fait qu'il souffre. Il peut douter de beaucoup de choses, mais pas des effets en lui des discours ou des paroles qui lui sont adressées".

L'auto-affection renvoie à la fois à notre expérience intime et, de manière plus large, au mouvement même de la vie, ce qui transforme l'individu en même temps " qu'il résulte de lui comme son oeuvre propre".

Dans un entretien publié dans la revue Autre Sud ( n° 11, décembre 2000) Michel Henry revient sur ce mouvement essentiel de la vie, qu'il définit par un autre terme, celui "d'auto-donation" : 
—"…il existe une puissance fondamentale qui est la vie, car la vie est auto-donation. (…) je ne me suis pas créé moi-même, je suis venu dans la vie et ce n'est pas moi qui ai accompli cette venue, ce serait une erreur de croire que je la dois à mes parents qui sont exactement dans la même situation que moi. La venue d'un Soi en lui-même présuppose une réalité qu'on appellera métaphysique ou absolue qui me place dans cette condition privilégiée qui est la mienne, à savoir d'être un vivant. Si la vie est devenir, c'est parce qu'elle se situe à cette jonction que nous sommes. Nous ne sommes pas seulement des vivants et des êtres finis, mais nous sommes des vivants qui vivons d'une vie infinie qui nous fait vivre à chaque instant. La raison d'être de notre vie est d'accueillir en nous cette vie et de vivre d'elle, ce qui peut se faire de multiples façons, dans l'effort de la création, dans la solitude des cloîtres ou dans la simplicité du dévouement". 

Ainsi, "l'auto-affection" est comme une matrice originelle et invisible qui fonde mon être : elle s'exerce toujours par et dans une profonde affection (ou donation) au double sens du terme, à la fois l'affection par soi et le fait de se laisser affecter par toutes les autres consciences auto-affectées que "l'amitié attire", sans pour autant dépendre d'elles.

Dans un autre entretien (cf. Entretiens, Sulliver, 2007, p.153), M.H précise : 
"Si la seule vie qui existe est la vie absolue qui s'apporte elle-même en soi et si c'est elle par conséquent qui me donne à moi-même, alors il est vrai que la vie, telle que la pense une phénoménologie radicale de la vie ressemble à l'absolu des mystiques au point peut-être de s'identifier à lui."
 Cette dernière citation nous replace au coeur du commentaire de Sylvie, et du rapprochement des deux thématiques qu'elle opère, à savoir l'auto-affection d'un côté et le détachement de l'autre. 
L'auto-affection renvoie à la vie en tant que fondement originel et en tant que réalité infinie à laquelle on ne peut rien ajouter ou retrancher. 
Le détachement, tel que développé dans le petit traité qui porte le même nom, fait appelle aussi à cette dimension, en tant qu'il indique une "présence à soi-même", un parfait reposer-dans soi, dans le retrait à l'égard du "monde", mais surtout une reconnaissance de soi, "un laisser-être-soi-même sans ajout d'aucune sorte". 
Il ne s'agit aucunement là d'une attitude ascétique ou volontariste, comme le souligne fort justement Gwendoline Jarczyk (cf. Maître Eckhart, Du Détachement et autres textes, édit. Rivages poche) mais d'une liberté "essentiellement de vide, de "sans-prise" réelle sur quoi que ce soit d'autre que ce qui est, — "ce qui est" étant le tout-originaire sans ajout d'aucune sorte".

Il y aurait encore à pousser plus loin les points de convergence entre ces deux penseurs de grande envergure. Peut-être l'un de vous se sent-il disponible et compétent pour cela, qu'il n'hésite pas à nous faire partager le fruit de ses recherches. 
Quant à moi, j'aurai d'autres occasions de parler de l'un ou de l'autre. En tout cas, grâce à Sylvie, nous avons déjà de quoi méditer, mastiquer et peut-être rêver aussi !
Bonne semaine à tous.
 

samedi 9 février 2008

Vos réactions!

Vous êtes déjà quelques uns à réagir sur le blog. Ça devient intéressant, stimulant même. En effet, vos réactions m'encouragent à poursuivre ce qu'il faut bien appeler une nouvelle aventure, celle de la pensée interactive, celle de la virtualité du désir individuel et collectif, grâce à vos réactions justement. 
Le blog est un espace propice au "dévoilement de soi". Avec le risque qui va avec : jusqu'où aller et comment y aller sans se renier, sans dépasser une certaine limite, sans céder à la facilité et à la tentation de plaire coûte que coûte? C'est tout le défi de l'exercice!

En lisant et relisant vos commentaires, voici ce qui m'est venu, ce sont en grande partie vos propres termes, je vous les rends puisqu'ils m'ont nourri! Je vous les rends mastiqués, digérés et donc quelque peu reconstruits.

Illusion, que la course contre le temps!
Oublier, pour ne rien ressentir? 
Mourir en se dépêchant ? Vide !
Crainte-ennui-fuite! Vacillement !
Oui mais … créativité-choix : agir et prendre le temps en le perdant, pour rien.
Flottement, retour à soi, sortie de l'ennui ?
Confrontation à soi, émotions, solitude peut-être…
Oui, mais…peu importe, du moment que la possibilité d'exister nous excède,
Du moment que nous est révélée la dimension profonde de notre expérience :
La surprise de l'inattendu, le parfum de la grâce!
L'émergence du nouveau, la conscience du moment présent.
Où est le présent?
Maintenant!
L'acceptation de ce qui est, ici-maintenant! 
Prendre. Donner. Inversement.
Du temps pour chaque chose.

Merci à Jean-Pierre, Renée et Lauriane, et mes encouragements anticipés aux futur bloggeurs! 

jeudi 7 février 2008

Découvrir Michel Henry

"L'histoire d'un homme, les circonstances qui l'entourent, est-elle autre chose qu'une sorte de masque, plus ou moins flatteur, que lui-même et les autres s'accordent à poser sur son visage — lui qui, au fond, n'a aucun visage? Vous observerez que je suis né dans un pays lointain. C'est ce qu'on m'a dit. Mais ce pays n'est-il pas "plus loin que l'Inde et que la Chine"? Pour moi, je suis né dans la vie, dont personne n'a encore trouvé la source sur quelque continent".
(Michel Henry)

A ceux que la philosophie ne rebute pas, je vous recommande de lire Michel Henry, phénoménologue de la vie (et chrétien). Il nous pose, à nous ses contemporains, la question qui mérite le plus d'être posée: "Qu'est-ce que cela que nous appelons la vie?"
Deux livres abordables et qui donnent la mesure de la profondeur de sa pensée:
1. Entretiens, éditions Sulliver, 2007
2. Voir l'invisible—sur Kandinsky, éditions François Bourin, 1988, réédition augmentée PUF coll. "Quadrige" 2003

lundi 4 février 2008

Il s'appelle Tempo

Tempo est comme tout le monde. Tempo essaie de gérer au mieux son temps, pour être de son temps ou parce qu'il ne sait pas faire autrement, même si parfois comme Sarrazin, il trouve le temps long. Alors, pour fuir l'ennui, il passe son temps à avoir des activités destinées, paradoxalement, à ne pas sentir passer le temps. En fait, Tempo tue le temps, ou plutôt il croit le détruire en le convertissant en fragments de vécus, en occupations multiples.
Il aurait pu être le héros du livre "Le Spleen de Paris" de CH. Baudelaire:
"Comme la voiture traversait le bois, il la fit arrêter dans le voisinage d'un tir, disant qu'il lui serait agréable de tirer quelques balles pour tuer le Temps. Tuer ce monstre-là, n'est-ce pas l'occupation la plus ordinaire et la plus légitime de chacun?"
Mais par les temps qui courent, se dit Tempo, même si j'ai du temps devant moi, il vaut mieux que je cherche à gagner de l'argent, car le temps c'est de l'argent "Time is money", comme on dit chez Oncle Sam. De plus, il savait, comme tout le monde, la devise désormais célèbre du tout aussi célèbre Président: "Travailler plus, pour gagner plus!" Si encore c'était vrai!
Tempo, subitement, fut pris d'un doute: contrairement à ce qu'il croyait, le temps lui était compté, sur cette terre! Que le temps perdu ne se rattrape jamais! Il se mit alors à faire toujours plus de choses en toujours moins de temps. Peu à peu son temps fut saturé par le travail…, il ne savait plus pourquoi il travaillait tant! A vrai dire Tempo ne savait même plus qui il était!
Evidemment, ce n'est là que de la fiction. Il n'empêche que le planning imaginaire de tempo est peut-être moins chargé que certains de nos emplois du temps!

J'attends vos commentaires.
Pour réagir, c'est très simple. Cliquez dans "commentaires", écrivez votre commentaire, ensuite votre pseudonyme (si vous voulez) et vous publiez le tout. Simple comme "bonjour, comment ça va?".
A bientôt.
A.C

dimanche 3 février 2008

l'esprit respire

"L'esprit du texte, c'est le souffle donné par toi, lecteur: l'action de ton haleine qui soulève les lettres, en trouve le mouvement, l'émotion, rassemble les pages, les nage, fait du livre un seul corps dansant… 
L'esprit respire. Voilà ce que notre pensée, notre langue oublient toujours. Le français ni l'allemand, ni les autres langues d'Europe n'ont su conserver le même mot pour l'esprit et pour le souffle, comme le fait l'hébreu rouah, comme le grec pneuma. Le spirituel, ce n'est pas l'immatériel c'est le respiré : l'esprit n'est pas antimatière ; l'esprit n'est pas le contraire de la matière mais sa combustion, sa métamorphose, sa transfiguration, son offrande."
 (Valère Novarina)

samedi 2 février 2008

citation du jour

"L'autre en tant que personne ne peut pas être mis à découvert. Il se révèle ou il ne se révèle pas. Il s'ouvre dans la déchirure de son opacité et se produit au jour de cette déchirure. Mais il n'apparaît dans sa réalité de son visage que dans le regard d'un autre. Dans le regard, non pas sous le regard" 
(Henri Maldiney)


 Nous sommes au téléphone depuis une dizaine de minutes, je ne suis pas du tout à l'aise : —Attends s’il te plaît, lui dis-je, donne-moi...