mardi 27 décembre 2011


A VOUS                                               TOUTES/TOUS


D'ICI                                               ET                                              D'AILLEURS


                                      JOYEUSES                     
                                                                                                   FETES
                                                         ET


MEILLEURS
                                                                         
                                                            VŒUX                               P O U R  
              
                                                                                                                      
                                                              20  12                                                                   

lundi 19 décembre 2011

TENIR PAROLE

"—Il faudrait donc dire que l'homme (…) en face de l'homme n'a pas d'autre choix que de parler ou tuer.
—C'est peut-être en effet la brutalité sommaire de cette alternative qui nous aiderait le mieux à nous approcher d'un tel instant: s'il arrive jamais que le moi tombe sous cette mise en demeure, la parole ou la mort, c'est qu'il est en présence d'autrui.
— Mais il faudrait donc dire aussi que la distance absolue qui "mesure" le rapport d'autrui à moi  est ce qui appelle en l'homme l'exercice du pouvoir absolu: celui de donner la mort. Caïn tuant Abel, c'est le moi qui, se heurtant à la transcendance d'autrui (ce qui en autrui me dépasse absolument et qui est bien représenté, dans l'histoire biblique, par l'incompréhensible inégalité de la faveur divine), essaie d'y faire face en recourant à la transcendance du meurtre.
—Mais ces deux transcendances sont-elles de même ordre, et que peut signifier leur débat? A Abel Caïn dit: ce par quoi tu prétends me dépasser, ta dimension d'être infini et absolument extérieur, cela qui te met hors de ma portée, je te montrerai que j'en suis le maître, car, en tant qu'homme de pouvoir, je suis maître aussi de l'absolu, et j'ai fait de la mort ma possibilité.
— C'est que, pour Caïn, cette présence infinie d'Abel qui lui fait obstacle comme une chose est donc vraiment une chose appartenant à Abel et dont il s'agit de le priver. Et, en un sens, cela n'est pas faux: cette présence, c'est aussi l'heureuse fortune d'Abel, la bénédiction, le troupeau qui se multiplie. Dès que la présence de l'autre en autrui n'est pas accueillie par le moi comme le mouvement par lequel l'infini vient à moi, dès que cette présence se referme sur autrui comme propriété d'autrui établi dans le monde, dès qu'elle cesse de donner lieu à la parole, la terre cesse d'être assez vaste pour pouvoir contenir à la fois autrui et moi, et il faut que l'un des deux rejette l'autre — absolument.
—Je remarque que Caïn, lorsqu'il veut s'expliquer avec Abel, lui dit: "Allons au dehors", comme s'il savait que le dehors, c'est le lieu d'Abel, mais aussi comme s'il voulait le reconduire à cette pauvreté, à cette faiblesse du dehors où toute défense tombe."


Maurice Blanchot, L'entretien infini, Gallimard, 1969, pp.86_87

vendredi 2 décembre 2011

C'est à lire

"Dans un livre passionnant intitulé L'aventure, l'ennui, le sérieux, Vladimir Jankélévitch évoque, en citant Nietzsche, "l'ennui de Dieu au septième jour de la création", qui "advient dans le vide hebdomadaire qui succède (…) aux heures trop remplies". L'ennui, conclut-il, "est vacuité". Le temps s'allonge, l'espace se vide, révélant un manque fondamental que rien ne peut combler. Ni le bonheur, dont l'ennui, justement, marque la "faillite", ni la conscience, qui, "comme une fêlure insidieuse", introduit en toutes choses le doute et le regret.
"Il n'y a ennui, poursuit Jankélévitch, que là où il y a conscience." Phrase essentielle, dont on peut mesurer la justesse dans de nombreux films d'Hitchcock, et qui s'entend dans deux sens opposés: trop de conscience de ce qui n'est pas suscite insatisfaction et ennui, mais celui qui s'ennuie peut aussi découvrir, avec le temps, qu'une conscience crépusculaire l'habite et le "travaille", une conscience tâtonnante, encore incertaine de son objet.
Mais, telle quelle, elle donne une orientation à l'ennui, car, mis en éveil par une vague intuition ou cette "pensée sans raisonnement" dont parle Fernando Pessoa dans Le Livre de l'intranquillité, l'ennui s'éprouve alors comme un sentiment, un sentiment d'incomplétude, qui donne au sujet, par-delà ses croyances, ses petits savoirs et ses habitudes, la mesure de sa perplexité.
Cet ennui mâtiné de conscience, qui pousse l'individu insatisfait mais ouvert au doute vers une vie plus aventureuse, qui le confronte à sa propre ombre, à des sentiments et des désirs auxquels il n'avait pas encore accès, à une image, donc, plus contrastée de lui-même, Hitchcock en a fait la trame de ses films. Je pense qu'il a dû beaucoup s'ennuyer pour avoir su si bien nous donner à vivre, par le jeu du suspense, un temps où le rythme, l'émotion et l'enfance retrouvent enfin leurs pouvoirs. Si, à travers ses personnages, il s'est lancé "dans de grandes aventures", c'est sans doute qu'il espérait, comme le poète Norge cité en exergue, qu'elles allaient lui "permettre de penser à quelque chose et de (s') ennuyer moins"."

Aimé Agnel, Hitchcock et l'ennui, une psychologie à l'œuvre, éditions ellipses, 2011, pp.4-6

jeudi 1 décembre 2011

C'est à lire

Enfin, te voilà! Depuis tout ce temps…
Depuis le temps que je t'attendais!
Depuis ce jour 30 novembre 2011, où, pensant à ta venue, et sachant que tu vivras dans un monde où l'ennui sera considéré comme une maladie incurable, j'ai pensé te révéler l'existence d'un ouvrage passionnant qui te réconciliera, je pense, avec ton enfance, tes émotions…, bref avec la vie!
Quand tu auras lu ces pages, ton univers s'élargira et ton sentiment d'ennui ne sera plus synonyme de paralysie ou de malédiction, bien au contraire elles t'ouvriront à la créativité…, éveillant curiosité et désir, tu accueilleras l'événement, l'inattendu "comme une nourriture bienfaisante et indispensable"!
Ah! oui, le titre du livre: Hitchcock  et l'ennui, une psychologie à l'œuvre, éditions Ellipses, 2011.
L'auteur ? c'est un artiste de l'âme humaine… Il s'appelle Aimé Agnel.
Bonne lecture, espérant que les moyens technologiques, mis en œuvre pour la conservation du papier, auront préservé ce petit trésor jusqu'à ce que tu le déterres…
Bien à toi.
A.C

lundi 28 novembre 2011

Mon jour de repos!

Je n'ai pas fait grand-chose de la journée…
A part deux ou trois petites choses…

Chez Renault minute, pour une affaire de pare-chocs,
je suis reparti en moins de dix minutes…
C'était peu de chose, m'a dit le mécanicien.
Vous n'avez rien à payer.
Je suis reparti tout joyeux!

De retour à la maison, j'ai ouvert Ainsi parlait Zarathoustra:
"Je vous le dis: il faut avoir en soi-même quelques chaos pour engendrer une étoile qui danse."
Puis j'ai pris Œil ouvert et cœur battant: 
"Notre présence au monde peut nous paraître banale ou miraculeuse, selon la sensibilité de chacun. Mais tous, nous admettons qu'il y a là un mystère. Nous n'étions pas là, et un beau jour, nous nous découvrons là, pour un laps de temps. Une fois plongés dans ce monde tel qu'il s'offre à nous, deux phénomènes, entre autres, nous frappent particulièrement, deux phénomènes extrêmes qui constituent pour ainsi dire des mystères dans le mystère, celui du mal et celui de la beauté."
Je me suis dit, ces deux-là, Friedrich Nietzsche et François Cheng, ils disent quelque chose…
Mais j'avais l'esprit ailleurs.
Il faut quand même que je le rédige cet article sur Croyances et Valeurs…

Je suis allé dans le jardin, quelques pigeons s'y étaient donné rendez-vous,
je me suis senti, un instant, comme l'un d'eux.
J'étais bien, on étaient bien!
C'était mon jour de repos…
Puis, je me suis mis à observer ces prochains radicalement différents de moi,
alors j'ai cessé de me sentir bien, j'étais devenu observateur, et non plus une présence!
Déçu, j'ai essayé de m'étirer, les oiseaux ont peut-être cru que j'applaudissais,
leurs battements d'ailes dans l'air m'ont ému jusqu'aux larmes!
Je suis rentré et j'ai écrit deux ou trois phrases, mon article prenait forme…
Ma journée s'est bien passée, pourtant je n'ai pas fait grand chose,
C'était mon jour de repos!

mardi 22 novembre 2011

Lire, relire Charles Juliet

"Ces êtres qui, par peur, besoin de sécurité, trahissent la vie, se réfugient dans le mensonge ou l'illusion, ces êtres sont toujours perdants. Car le plus souvent, la vie se venge, et un jour, il se révèle qu'ils ont été détruits par cela même qui devait assurer leur protection."


Charles Juliet, Traversée de nuit, Journal II, 1965-1968, Editions P.O.L, 1997, pp. 35-36

lundi 21 novembre 2011

Le sens du monde se situe hors du monde, selon Wittgenstein

"Le sens du monde doit se trouver en dehors du monde. Dans le monde toutes choses sont comme elles sont et se produisent comme elles se produisent: il n'y a pas en lui de valeur —et s'il y en avait une, elle n'aurait pas de valeur.
S'il existe une valeur qui ait de la valeur, il faut qu'elle soit hors de tout événement et de tout être-tel. Car tout événement et être-tel ne sont qu'accidentels.
Ce qui les rend non-accidentels ne peut se trouver dans le monde, car autrement cela aussi serait accidentel.
Il faut que cela réside hors du monde."


Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, Gallimard, 1961, p.103

mercredi 16 novembre 2011

Il est urgent de lire Michel Henry

"Le principe de toute critique radicale, de toute critique phénoménologique est le suivant: c'est l'exigence de faire voir la réalité dont on parle, si l'on prétend justement que c'est une réalité, c'est la nécessaire exhibition de ce qui doit faire le thème du discours ou de la recherche. Faire voir (…) ce dont on parle, c'est le faire entrer dans ce milieu de visibilité, dans cet horizon de lumière (…) que Heidegger appelle le monde. Mais le monde, précisément, est un milieu d'extériorité radicale. C'est l'extériorité qui rend visible, qui est la visibilité même (…).
Considérons par exemple le mur de cet amphithéâtre, ce mur dont nous disons qu'il est. Quel est l'être de ce mur ? Pour le sens commun, il n' y a pas de différence entre le mur et l'être du mur. Mais pour nous qui sommes philosophes, l'être du mur, ce n'est pas le mur, c'est bien plutôt sa négation. C'est le mur, mais dans son extériorité radicale par rapport à soi. D'ailleurs regardons ce mur. N'est-il pas extérieur à lui-même, ne se tient-il pas dans une sorte d'extériorité sans laquelle il ne se donnerait pas à nous ? Car notre regard qui atteint le mur n'est pas un comportement ontique, un processus psychique. Ce regard n'est rien d'autre que l'extériorité du mur par rapport à soi. Ainsi en est-il non seulement du mur mais des éléments qui le composent, des briques et finalement des atomes. Chacun de ces éléments n'est qu'en tant qu'il est nié, en tant qu'il est immergé dans ce milieu de néant qui lui permet de se manifester. Et ce n'est pas vrai seulement pour le mur, pour les choses matérielles mais pour tout ce qui est.
 Il y a une sorte d'extériorité radicale qui transit toute chose et qui, la mettant proprement à l'extérieur d'elle-même, lui donne, dans cette extériorité par rapport à soi, la possibilité d'être en se manifestant. Moi-même, je n'échappe pas à cette loi. Je ne suis que pour autant que je me manifeste et je ne me manifeste que pour autant que je suis, moi aussi, traversé par cette extériorité universelle. Je suis un autre.
Que devient alors cette prétendue dimension d'intériorité dont nous parlons ? Comment donc l'intérieur pourrait-il être ? Il ne pourrait le faire qu'en entrant lui-même dans la lumière de l'être, c'est-à-dire en s'extériorisant, en s'objectivant (…).
Ces présuppositions ontologiques si puissantes et si universelles, qui ont été portées à la clarté du concept par la philosophie moderne et qui rejoignent d'ailleurs celles de Kant, qu'elles développent, nous voulons les mettre en question, non pas sur un plan général, mais à propos d'un exemple particulier, et cet exemple sera celui du corps, de mon corps.
Il peut paraître paradoxal, pour légitimer ce concept d'une intériorité radicale et, par là même, le concept d'âme, de faire appel au corps. Ce paradoxe s'atténue dès que se fait jour l'idée d'un corps subjectif. Lorsque le corps, en effet, est interprété, non plus comme d'une façon naïve et unilatérale comme un objet, mais aussi comme un sujet, et peut-être comme le sujet véritable, comme la source de notre connaissance sensible,  et lorsque cette connaissance sensible, à son tour, au lieu d'être traitée comme un mode inférieur de la connaissance, est saisie comme le sol et le fondement de toute connaissance possible, alors l'analyse du corps ainsi compris dans sa subjectivité originelle peut sembler nous conduire à cette intériorité que nous cherchons."

Michel Henry, De la phénoménologie, Tome I, Phénoménologie de la vie, PUF, 2003, pp. 23-25

vendredi 11 novembre 2011

C'est à (re)lire

"Rêve. "Ne m'oublie pas."
Ce sont les mots que j'adresse à une femme qui s'en va. Je m'aperçois, à peine les ai-je prononcés, que ce sont justement les mots qu'il ne fallait pas dire. Ils sont porteurs d'une plainte, ils me mettent dans la position du quémandeur d'amour. C'était cela que la femme en question (non identifiée dans le rêve) ne supporterait pas et qui la ferait fuir.
"Ne m'oublie pas", mon appel est un reproche, il est trop insistant, il aura l'effet contraire de celui que je souhaite, elle ne va pas tarder à m'oublier, à faire en sorte que je n'aie jamais existé à ses yeux.
De ce rêve je sors meurtri, annihilé.
Etre reconnu est au cœur de la demande d'amour. Etre reconnu dans son existence singulière. Cela commence avec le regard, celui d'une mère sans doute. Je me vois dans ce regard qui se porte sur moi: j'existe. Désarroi si ce regard me fuit, se porte ailleurs, est indifférent, hostile ou si je m'aperçois que je me suis leurré en croyant qu'il m'était destiné. Plan inoubliable d'une scène de La Ruée vers l'or : Charlot croit que la jeune femme dont il est amoureux se dirige vers lui, elle sourit, il est aux anges mais non, c'est un gros homme qui est derrière lui qu'elle va rejoindre.
Quand dans la rue les piétons me heurtent sans même s'en apercevoir ou ferment brusquement la porte du magasin où je m'apprêtais à entrer, je me retiens de m'écrier: "Mais enfin je suis là, j'existe." Ils ne m'ont pas vu, à moins qu'ils n'aient feint de ne pas me voir. Ce n'est pas qu'ils m'aient évité comme on cherche à éviter un fâcheux, non, je suis hors de leur champ de vision.
J'ai sur ma table le roman de Sylvie Germain qui s'appelle justement Hors champ. J'y trouve, accentué à l'extrême, ce que j'éprouve a minima dans ce que je viens d'évoquer avec ces passants qui, niant ma présence physique, m'annulent.
Aurélien, le héros du roman de Sylvie, traverse une à une les étapes de la non-reconnaissance : par les passants qu'il croise, les collègues, les amis, les proches, son chien, la femme aimée, impatiemment attendue et soudain indifférente et, pour finir, sa mère — "Non, pas toi maman, pas toi".
Si, toi aussi. La boucle est bouclée.
Peu à peu Aurélien devient l'homme invisible, impalpable, transparent, sans corps et sans ombre. Partout autour de lui on s'active, on parle, on joue, on se dispute, on aime, on mange, on boit.
C'est la vie, quoi!
"Ne m'oubliez pas", crient dans le désert tous ceux que nous ne voyons pas et qui en viennent comme Aurélien à s'effacer eux-mêmes. Ces anonymes, nous les désignons par un nom collectif: S.D.F., exclus, épaves, asociaux. Peut-être jadis ont-ils été des humains. Eux non plus ne se souviennent pas de ce temps-là"


J.-B. Pontalis, En marge des nuits, Gallimard, 2010, pp. 30-32

mercredi 26 octobre 2011

Citation du jour

"La Liberté, ce n'est pas de pouvoir ce que l'on veut, mais de vouloir ce que l'on peut"


Jean-Paul Sartre

jeudi 6 octobre 2011

Maurice Blanchot: La question la plus profonde

"Nous nous interrogeons sur notre temps. 
Cette interrogation ne s'exerce pas à des moments privilégiés, elle se poursuit sans relâche, elle fait elle-même partie du temps, elle le harcèle à la manière harcelante qui est propre au temps. C'est à peine une interrogation, c'est une espèce de fuite (…).
D'où vient ce souci de questionner, et cette grande dignité accordée à la question ? 
Questionner, c'est chercher, et chercher, c'est chercher radicalement, aller au fond, sonder, travailler le fond et, finalement, arracher. Cet arrachement qui détient la racine est le travail de la question. Travail du temps. Le temps se cherche et s'éprouve dans la dignité de la question. Le temps est le tournant du temps. Au tournant du temps répond le pouvoir de se retourner en question, en parole qui avant de parler questionne par le tour d'écriture.
C'est donc d'une certaine manière le temps— le mouvement du temps et l'époque historique — qui questionne ? Le temps, mais le temps comme question, cela même qui par le temps et à un certain moment du temps dégage les questions comme un tout et l'histoire comme ce tout des questions.
Freud  dit à peu près que toutes les questions posées à tort et à travers par les enfants leur servent de relais pour celle qu'ils ne posent pas et qui est la question de l'origine. De même, nous nous interrogeons sur tout, afin de maintenir en mouvement la passion de la question, mais toutes sont dirigées vers une seule, la question centrale ou la question de tout (…).
Le tournant du temps est ce mouvement par où se dégage, d'une manière qui la fait affleurer, la question de tout. Affleurant, venant à la surface, elle s'arrache au fond et, ainsi, devenue superficielle, cache à nouveau en la préservant la question la plus profonde.
Nous ne savons pas si les questions forment un tout, mais nous savons qu'elles ne semblent questionner qu'en questionnant dans la direction de ce tout dont le sens n'est pas donné, fût-ce comme question. Questionner, c'est alors s'avancer ou reculer vers l'horizon de toute question. Questionner, c'est donc se mettre dans l'impossibilité de questionner par questions partielles (…).
La question est mouvement (…). Dans la simple structure grammaticale de l'interrogation, nous sentons déjà cette ouverture de la parole interrogeante ; il y a demande d'autre chose ; incomplète, la parole qui questionne affirme qu'elle n'est qu'une partie. La question serait donc, contrairement à ce que nous venons de dire, essentiellement partielle, elle serait le lieu où la parole se donne toujours comme inachevée. Que signifierait alors la question de tout, sinon l'affirmation que dans le tout est encore latente la particularité de tout ?
La question, si elle est parole inachevée, prend appui sur l'inachèvement. Elle n'est pas incomplète en tant que question ; elle est, au contraire, la parole que le fait de se déclarer incomplète accomplit. La question replace dans le vide l'affirmation pleine, elle l'enrichit de ce vide préalable. Par la question, nous nous donnons la chose et nous nous donnons le vide qui nous permet de ne pas l'avoir encore ou de l'avoir comme désir. La question est le désir de la pensée."
Maurice Blanchot, L'Entretien infini, Gallimard, 1969, pp. 12-14

mardi 20 septembre 2011

Evénement à ne pas manquer: PoésYvelines

Maison de la poesie de Saint Quentin-en-Yvelines

Samedi 1er octobre à 14h30 

                                                    Lecture-rencontre avec 


Christiane Veschambre, Sophie Loizeau et Gilles Cheval.
Musée Lambinet        salle Breillat

54 boulevard de la Reine
78000 Versailles


Lancement des 3 résidences d'écriture

Christiane Veschambre à la gare Versailles-Chantiers
Sophie Loizeau et Gilles Cheval au domaine de Mme Élisabeth.
Les textes qu'ils auront écrits seront dévoilés en mars 2012 à l'occasion du Printemps des Poètes.

Accès :

- SNCF : Paris Saint-Lazare (Versailles-Rive droite à 5 minutes à pied)
- Paris Montparnasse (Versailles-Chantiers à 20 minutes à pied)
- RER : Paris ligne C (Versailles-Rive gauche à 15 minutes à pied)
01 39 50 30 32
http://www.versailles.fr/culture-et-patrimoine/institutions-et-evenements-culturels/musee-lambinet/

Entrée libre

vendredi 16 septembre 2011

Citation du jour

"Si Lol est silencieuse dans la vie, c'est qu'elle a cru, l'espace d'un éclair, que ce mot pouvait exister. Faute de son existence, elle se tait. Ç'aurait été un mot-absence, un mot-trou, creusé en son absence d'un trou, de ce trou où tous les autres mots auraient été enterrés. On n'aurait pas pu le dire mais on aurait pu le faire résonner. Immense, sans fin, un gong vide, il aurait retenu ceux qui voulaient partir, il les aurait convaincus de l'impossible, il les aurait assourdis à tout autre vocable que lui-même, en une fois il les aurait nommés, eux, l'avenir et l'instant.
Manquant, ce mot, il gâche tous les autres, les contamine."
Marguerite Duras

mercredi 31 août 2011

C'est quoi la vie éternelle ? (1)

En demandant à Jésus “Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ?”, le jeune homme riche, comme on le nomme communément, étale paradoxalement ses certitudes.
En effet, dans sa bouche, la vie éternelle semble être une chose finie, définie, et donc établie.
Dans sa réponse, Jésus introduit du jeu, on dirait même du dérapage, du déséquilibre en tout cas: et si la vie éternelle était plutôt un processus relationnel ?
Or, dans cet entretien, manifestement, des étapes semblent avoir été sautées ; le jeune homme, sans doute trop pressé, ne prend pas le temps nécessaire d'entrer  en contact avec Jésus… Pour lui, l'important c'est ce qu'il doit faire pour avoir la vie éternelle!
A supposer qu'il sache exactement de quoi il parle, qu'est-ce qui est vraiment demandé ? Qu'est-ce que la vie éternelle ? Quelle est cette chose qui est demandée ? Est-ce une chose ? Est-elle en dehors du monde, de ce monde, est-elle dans "la vie vivante"? selon la belle expression de Dostoïevski.
Bien malin, à part peut-être le jeune homme, qui pourrait y répondre avec certitude.
Béance!
Comme à son habitude, Jésus ne répond pas, ou plutôt il répond mais comme à côté, histoire de voir venir, pour voir donc, juste pour voir.
Pourquoi m'appelles-tu bon ?
C'est comme s'il lui disait "es-tu conscient de ce que tu dis ? Est-ce que tu ressens réellement ce que tu exprimes ? Pourquoi tant de mots dans ta bouche ?"
La Loi, les commandements de Dieu, cet homme les connaît par cœur et les applique depuis tout jeune! C'est ce qu'il affirme lui-même. C'est un champion de Dieu, un croyant presque sans défaut. Il mériterait vraiment une médaille en or!
Mais avant de la lui décerner, Jésus lui propose un dernier challenge, qui ne devrait pas a priori lui poser de problème:
Va, lui dit alors Jésus, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, puis viens et suis-moi.
Puisque rien ne décourage son interlocuteur dans son désir de faire et de bien faire, dans son désir de posséder la "chose" par et pour lui-même; puisqu'il persiste dans le faire, quand il s'agirait plutôt de lâcher prise et de faire confiance, alors Jésus s'aligne sur sa logique.
Jésus devine-t-il que le riche, cette fois-ci, n'ira pas jusqu'au bout, qu'il va être confronté, enfin, à ses propres limites, à son impuissance à pouvoir faire tout ?
Va…
Malgré les apparences, le riche n'est pas renvoyé à sa richesse, mais à sa pauvreté intérieure. Il n'est pas renvoyé à ce qu'il peut faire mais à ce qu'il est. Il n'est pas non plus renvoyé à sa culpabilité de ne pouvoir se séparer de ses biens, mais à prendre conscience du fait qu'il n'est pas nécessaire de faire ceci ou cela pour être aimé de Dieu. Car c'est précisément de l'amour dont il est question dans cet entretien. Mais, d'abord, l'homme est renvoyé à sa solitude, où il lui sera peut-être donné de se rencontrer lui-même et aussi de découvrir, dans les traits de celui qui se tient devant lui, un signe, quelque chose comme une réponse à sa quête.
Va…, puis viens et suis-moi
Oui, et ça étonne le lecteur: Jésus lui dit à un moment donné: Va…, puis viens et suis-moi!
Cette proposition de Jésus contient une promesse, celle du possible, celle du changement!
Nous sommes d'accord, ce que le jeune homme demande, aucun être humain ne le possède en propre, c'est pourtant ce que lui offre spontanément Jésus:
Et Jésus le regarda et l'aima, est-il écrit.
Ce serait donc "ça" la vie éternelle ? se savoir regardé et aimé ?
Peu importe qu'il soit en règle ou non avec les commandements, avec ce qui est attendu de lui, l'homme est aimé, accueilli tel qu'il est par Dieu!
Résumé provisoire: si je comprends bien Marc, l'auteur de cet évangile, recevoir "la vie éternelle en partage" n'est qu'une image pour dire l'expérience spirituelle d'une rencontre avec Dieu, un Dieu fondamentalement bon et aimant, tel que le révèle le visage du Fils!
L'apôtre Paul, dans sa première lettre aux Corinthiens, au chapitre 13, ne terminait-il pas par ces mots:
—Maintenant donc, ces trois choses demeurent: la foi, l'espérance et l'amour. Mais la plus grande de toutes c'est l'amour.
Et pourquoi donc ?
Parce que, poursuit Paul, l'amour est éternel: "La foi, l'espérance disparaîtront quand nous serons semblables à Lui (Dieu). Mais l'amour jamais!"


1. L'Evangile selon Marc, chapitre 10, versets 17 à 27

mardi 30 août 2011

C'est à lire: Régine Detambel, Son corps extrême.

" Le 25 juillet dernier Régine Detambel donnait lecture du début de son dernier livre et répondait à quelques questions dans l'émission de France-Culture "Les bonnes feuilles". On peut encore l'entendre ici et c'est très agréable. D'abord parce qu'elle a une jolie voix et puis parce  qu'elle livre minutieusement des bribes, de petits éléments de la fabrication d'un livre, celui-là en tous cas et ce n'est pas un hasard.
 Si on ne l'entend pas, ce début, voici:  une nuit d'été un groupe d'hommes immigrés qui travaillent à faire une route aux abords d'une ville sous une pluie d'étoiles filantes qui les étonne et les effraye voient soudain apparaître une biche, puis son faon et, quelques temps après, une voiture qui s'écrase sur un poteau et s'enflamme. Chacun d'eux pourrait être le héros du roman et pourtant non nous ne les verrons plus, mais les sentiments qu'ils ont éprouvé durant  la nuit ne nous quitteront pas.
  L'héroïne c'est la femme qui s'est écrasée, Alice, un nom doux et lisse comme un conte pour un corps fracassé mais pas mort qu'il va s'agir de reconstruire dès la fin du coma. Et pas seulement le corps. Dans le coma et le long de sa lente sortie se fait jour un esprit fragmenté tout autant que le corps qui l'abrite, morcelé, plein de vides et de gouffres hérités d'autres vides jamais compris, jamais comblés. Une reconstruction n'ira pas sans l'autre, Régine Detambel avec la science du corps et du psychisme que l'on lui connait mène les deux pas à pas, lucidement, à terme. Et le terme de l'histoire est un feu,  comme l'avait été le début.
  Son corps extrême est chez les libraires depuis quelques jours, il est paru chez Actes Sud.
Vous pouvez lire aussi de Régine Detambel sur son site De la guérison comme moteur romanesque.
Rencontres prévues le 7 octobre à la librairie Jonas, Paris 13 ème et le 9 octobre à la librairie du 104, Paris 19 ème."
Extrait de la présentation du livre sur le site: http://hippo-asso.over-blog.com (ou voir le lien ci-contre)

mercredi 10 août 2011

C'est à lire: ne fixe pas la route, suis-la…

"Longtemps j'ai suivi la route, m'enfonçant toujours davantage à l'intérieur du pays. De ce qui s'est passé au cours du voyage il n'y a rien à rapporter, parce qu'il ne m'est rien arrivé d'autre que ce qui arrive à tous les voyageurs, quand ils n'ont rien de plus à raconter que la joie du parcours à certains moments et leur fatigue heureuse à l'heure de s'endormir, le soir, dans les auberges, contents de l'étape du jour.
J'ai traversé des villes et des villages, j'ai vu des champs de toutes sortes, j'ai longé les murs de beaucoup de propriétés. J'ai croisé des gens qui se rendaient dans ma ville natale, et des gens qui en partaient, les uns joyeux, les autres tristes, les uns préoccupés, les autres légers, mais je n'ai vu personne comme moi, parce que tous semblaient avoir une destination, et que je n'en avais pas d'autre que la route…"
Fernando Pessoa, Le Pèlerin, éditions La Différence, 2010, p.61

lundi 8 août 2011

Citation du jour "Ce qui dépend de nous"

"N'attends pas que les événements arrivent comme tu les souhaites; décide de vouloir ce qui arrive et tu seras heureux."
Epictète, Ce qui dépend de nous", éditions Arléa, 1995, p.18

samedi 23 juillet 2011

mardi 19 juillet 2011

Le Nom survit à condition que quelqu'un nous nomme

"[…] la mort révèle toute la force du nom dans la mesure même où celui-ci continue de nommer, voire d'appeler, ce qu'on appelle le porteur du nom et qui ne peut plus répondre à son nom ou répondre de son nom […] En appelant ou en nommant quelqu'un de son vivant, nous savons que son nom peut lui survivre et lui survit déjà, commence dès son vivant à se passer de lui, disant et portant sa mort chaque fois qu'il est prononcé dans la nomination ou dans l'interpellation, chaque fois qu'il est inscrit dans une liste, un état civil, ou une signature."
Jacques Derrida

mercredi 6 juillet 2011

"Sho kman - Et quoi encore ?"

"Sho  kman le nouveau spectacle du Freedom théâtre de Jénine plusieurs fois évoqué ici, vient en France pour une tournée dans le cadre des Rencontres du Jeune Théâtre de Grenoble (1- 10 Juillet). Il fait escale en région parisienne le 28 juin à Aubervilliers, le 30 juin à La Bourse du travail de Paris, le 12 juillet au Studio de l'Ermitage, Paris 20 °
The Freedom Theatre est né de la volonté de prolonger l’engagement d’Arna Mer, citoyenne juive israélienne, pour répondre aux besoins d’éducation et de soutien psychologique des enfants du camp de réfugiés de Jénine en Cisjordanie. Son patient travail avait abouti à la création d’une école de théâtre afin de permettre aux enfants d’exorciser leurs peurs et leurs frustrations quotidiennes.
 Les efforts entrepris par Juliano Mer Khamis (fils d’Arna), des amis d’Arna, de plusieurs associations du camp de Jénine, de Palestine et des soutiens internationaux, aboutissent en 2006, à la renaissance de l’école sous le nom de « Freedom Theatre ». Juliano en devient le directeur, sacrifiant ainsi sa carrière artistique, et fait de ce lieu l’un des symboles de la résistance culturelle de la société palestinienne. Les Amis du Théâtre de la Liberté - ATL Jénine - et programme de la tournée.


Militant de la paix et de la justice, Juliano Mer-Khamis a été, pour cette raison-même, assassiné à Jénine le 4 avril dernier. But the show must go on, culture and engagement too.
Sho Kman est une création de Nabeel Al Raee, le spectacle est parrainé par Etel ADNAN, Etienne BALIBAR, Janine EUVRARD, Mohamed KACIMI, François MARTHOURET, Edgar MORIN, Elias SANBAR, Didier SANDRE, Abraham SEGAL, et soutenu par Peter BROOK, metteur en scène, directeur du théâtre « Les Bouffes du Nord »
 Publié le 27 juin sur Hippocampe-associe (voir lien ci-contre)

lundi 4 juillet 2011

vendredi 17 juin 2011

Un nouveau numéro du préau des collines

Le préau des collines numéro 12
Sculpteurs, peintres, poètes
La revue s’ouvre sur un important dossier
consacré au romancier et poète marocain
Mohammed Khaïr-Eddine, 180 pages de
textes inédits, d’extraits de l’œuvre, d’entretiens
retrouvés, de documents et d’une biobibliographie
rassemblés par Jean-Paul Michel.

QUELQUES TEXTES EN SOUVENIR DE
DANIEL PUYMÈGES PAR :

Pierre Bergounioux, Christian Bobin,
Jean-Paul Michel et Pierre Michon.

Le deuxième dossier assemble les sculptures
et les peintures d’artistes contemporains,
leurs forces, leurs talents peuvent sembler
divergents. Mais au-delà des singularités
essentielles de chacun, l’affirmation de tempéraments
puissants qui sont pour la plupart
trop peu connus aujourd’hui les assemblent :

Eugène Dodeigne / Laurence Jeannest / Francis
Limérat / Pierre Édouard / Denis Martin / Agnès
Munier / Alexander Cozens / Jocelyne Colin. /
Charles Maussion.

Puis, comme un coup de cymbale final, des
textes des femmes et des hommes proches
de la revue accompagnent ces riches dossiers :

Gabrielle Althen / Jean-Paul Bota /
Geneviève Huttin / Christiane Veschambre.


Préau des collines, nouvelle adresse, 145 bis, avenue de Choisy, 75013 Paris.
Tél. : 01 48 06 47 06. Nouveau mail : preaudescollines@orange.fr
Site: www.preaudescollines.fr

Citation du jour "Dans le regard, et non pas sous le regard"

"L'autre en tant que personne ne peut pas être mis à découvert. Il se révèle ou il ne se révèle pas. Il s'ouvre dans la déchirure de son opacité et se produit au jour de cette déchirure. Mais il n'apparaît dans la réalité de son visage que dans le regard d'un autre. Dans le regard, non pas sous le regard. 
Parmi les façons du regard il en est deux qui le méconnaissent. 
Le regard par en dessous qui, à l'affût de l'autre, cherche à le surprendre sans s'engager lui-même. Il en circonscrit d'avance l'aire d'apparition ; il réduit son infinitude impossessible  et libre à la finitude d'une image, récapitulable à partir de son contour, à laquelle il peut le prendre. Aussi l'a-t-il manqué. La lumière crue de la caricature d'un être n'est pas la lueur de son secret.
L'autre façon de manquer l'autre en manquant à ce qu'il est est apparemment toute contraire. Si, comme dit Lévinas, le visage de l'autre me transcende, me surplombe de toutes parts, s'il est celui dont je ne peux pas être l'auteur, à peine puis-je de temps en temps m'envisager à lui.
Inversons la situation —qui est réciproque. Je suis celui qui regarde, pur regard enveloppant. Ce regard qui émane de moi et qui ne va nulle part, traverse l'autre et ne le rencontrera jamais. Pas plus que le premier qui fait encontre. Ces deux échecs ne sont pas contraires. Ils se rejoignent dans la même méconnaissance. Ils expriment ensemble, négativement, la condition requise pour l'apparition en personne du visage d'autrui: l'épiphanie du visage de l'autre est liée, indissolublement, à l'autophanie de celui dans le regard duquel il apparaît. Et les deux sont dans la même situation (…)
Rencontrer l'autre sans réserver rien de soi, n'est-ce pas le comble de la générosité, la forme la plus haute du don ? Mais, à y voir de près, on s'y retrouve un peu trop (…) Ce don est un Gift: don-poison. Il engage l'autre dans une dette et par là me donne un avantage.
Le regard de l'amitié ne donne rien. Il donne ce qu'il n'a pas. Il donne l'autre à l'autre. Tel est le regard du pardon. "Ni regard contemplatif, ni regard affairé par la sollicitude: il s'agit d'un regard qui voit l'être, non pas indépendamment de la faute, mais au-delà d'elle, et qui de ce fait, nous donne un avenir, là où tout paraissait clos. Le regard de Jésus redonne Pierre à lui-même, précisément parce qu'il est un regard vers l'être, et qu'en un sens il ne donne rien, ni un reproche ni une consolation, mais donne plus que tout don: l'invisible du possible, le pardon qui appelle l'autre à être soi" (Jean-Louis Chrétien)
Ce regard sur l'être de l'autre lui ouvre l'espace dans lequel il pourra être non pas attaché à son acte et à son karma, mais être intégralement au péril du rien, d'où croît ce qui sauve. Le regard de l'amitié, le seul qui voit l'autre, ne s'attache pas à une essence possible mais à un être, dans la joie qu'il soit et que je sois."


Henri Maldiney, Penser l'homme et la folie, éditions Jérôme Millon, 2007, pp.258-259

jeudi 16 juin 2011

Les mots d'esprit

"Un fils va voir ses parents à la maison de retraite. Ses très vieux parents, de plus de quatre-vingt-quinze ans chacun. Avec leurs soixante-douze ans de mariage, ils font l'admiration des autres pensionnaires et sont régulièrement félicités et fêtés par le personnel.
Aujourd'hui, ce fils est préoccupé. Il doit écrire un texte sur l'humour à partir d'un article de Freud. Ses collègues lui font confiance sur ce point dont il aurait donné déjà quelques preuves: le sens de l'humour. Pour Freud, il craint que cela soit plus compliqué, car il vient de découvrir cet article écrit en cinq jours, dans la deuxième semaine d'août 1927, et là, on est déjà le 15 août 2007, quatre-vingt ans plus tard et il lui reste tout juste cinq jours de vacances pour écrire son texte, à lui. Ça n'a pas de sens, non, mais c'est peut-être déjà un signe.
Il confie son souci à ses parents. Tous les deux sont nés en 1912, il y avait donc sept ans que Freud avait écrit cet autre article: le mot d'esprit et ses rapports à l'inconscient. Cela pourrait les inspirer. Mais son père ne se souvient que d'une chose: la coïncidence de sa date de naissance avec le naufrage du Titanic. Les mots d'esprit lui inspirent que, grâce aux parties de scrabble avec les pensionnaires, il parvient ainsi à garder ses esprits. Freud ne lui dit plus rien.
Du coup la mère réagit et se plaint amèrement des extravagances de son époux. Bien sûr, il n'est pas tous les jours comme cela, mais quelle différence avec elle, dit-elle, qui non seulement a gardé toute sa tête, mais est la seule mémoire du couple. "Maintenant, je n'ai que toi pour parler sérieusement", dit-elle, s'adressant à son fils à la barbe du père. Le fils, songeur un moment, réagit en s'exclamant: "Ça y est, je le tiens, le Witz inaugural de mon article !"
Il dit Witz parce qu'à la pension, à Genève, quand on faisait un calembour, on appelait ça un Witz. Cette pension, il l'avait connue tout jeune, dès douze ans. Bien qu'il fût enfant unique, ses parents avaient dû se résoudre à mettre une frontière entre leur fils et eux, ses échecs scolaires étant à la hauteur des appréciations de ses professeurs: enfant dissipé, bavard, fait le pitre, etc.
La tranquillité suisse aidant, tout était rentré dans l'ordre.
"Tu te souviens, Maman, ce que tu avais répondu au psychologue du collège quand il vous avait convoqués avant mon départ en pension: "Complexe d'Œdipe, complexe d'Œdipe ? Allez! tout ça ce n'est pas grave du moment qu'il aime bien sa maman !"
"Ah, tu crois ?" reprend sa mère, "tu vois, ça je ne m'en souvenais pas !"
"Par contre", poursuit-elle, "déjà enfant tu aimais bien les histoires drôles… Je me souviens de l'une d'entre elles, que tu me demandais de te raconter sans jamais t'en lasser". "Ah bon ?" dit le fils piqué par la curiosité et les drôles d'associations de sa mère.
"Raconte…"
"Mais oui, souviens-toi, c'est l'histoire de cet homme allongé par terre sur le trottoir, un couteau planté dans la poitrine. Une brave dame se penche vers lui et lui dit: "Qu'est-ce que vous devez avoir mal !"
"Encore là ça va", lui répond l'homme, "mais c'est quand je ris…"
Ça y est, le tableau était au complet: après l'Œdipe, la castration, et tout ça avec le sourire. Il pouvait partir maintenant. Il remercia sa mère pour son aide, fit une bise sur le front de son père et put quitter la maison de retraite l'esprit tranquille. Il avait le sentiment de laisser ce fils derrière lui et d'affronter maintenant la paternité de son travail."


Patrice Brunaud, Clinique du jeu de mots, in Rire de soi, Libres Cahiers pour la psychanalyse n°17, 2008, pp.113-114.



jeudi 9 juin 2011

Nous sommes vivants, ici et maintenant, mais nous ne savons pas y accéder

"Dit brutalement: vivre n'échappe-t-il pas à la pensée ? "Tantôt je pense, tantôt je vis", note Valéry comme en adage — il y aurait partage de fait entre les deux, poussé jusqu'à l'exclusion. Car sur vivre la pensée a-t-elle prise ? Et d'abord sur ce qui brusquement s'émeut en nous et nous éventre, à peine vivre s'y trouve en péril, et fait taire tout le reste. On voudrait le dire d'un trait qui soit le moins forcé, mais ne sommes-nous pas toujours en dépassement bavard de ce qui soudain en nous tressaille, faisant surgir un tréfonds oublié, dès lors que vivre est arraché à son silence: que vivre suspend son évidence ? Car la difficulté n'est pas tant de dire l'au-delà que l'en deçà. Car ce verbe: "vivre" a beau se laisser ranger à côté et parmi tous les autres, se mêler à leur foule, il se retire alors soudain à part, ramasse d'un coup en lui tout ce qui compte, renvoie brutalement tous les autres à leur nullité. Ils ne sont plus que des ombres. 
Lui qu'on voit d'ordinaire s'enfouir et disparaître sous les autres, le voilà qui refocalise alors tout sur lui, tous s'effacent devant lui. 
Qu'est-ce qui soudain chavire, ouvre intérieurement de panique, dès que n'est plus assuré ce sous-entendu discret qui portait tout le reste ? Au point que tout le reste ne paraît qu'habillage…"


François Jullien, Philosophie du vivre, Gallimard, 2011, pp.9-10

vendredi 27 mai 2011

Citation du jour

"Mais quelle garantie les aliénés évidents de ce monde
Ont-ils d'être soignés par d'authentiques vivants ?"


Antonin Artaud

Aimé Césaire

"Et mon originale géographie aussi ; la carte du monde faite à mon usage, non pas teinte aux arbitraires couleurs des savants, mais à la géométrie de mon sang répandu, j'accepte
et la détermination de ma biologie, non prisonnière d'un angle facial, d'une forme de cheveux, d'un nez suffisamment aplati, d'un teint suffisamment mélanien, et la négritude, non plus un indice céphalique, ou un plasma, ou un soma, mais mesurée au compas de la souffrance"


Cent poèmes d'Aimé Césaire, éditions Omnibus, 2009, p.109

jeudi 28 avril 2011

Citation du jour

"Ce qui nous est arrivé, ou bien est arrivé à tout le monde, ou bien à nous seuls ; dans le premier cas ce n'est pas neuf, et dans le second cela demeure incompréhensible."
Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité, Bourgois, 1999

vendredi 22 avril 2011

Vendredi Saint

Abdou— J'ai dîné hier chez des amis, ils sont musulmans, bien que les jeunes se disent non pratiquants…
 Pauline—…Et alors ?
Abdou— Alors, je ne sais pas comment on est arrivé à parler de la semaine sainte…C'est quelque chose qui les intrigue, surtout le Vendredi Saint, curieusement Pâques ne semble pas les étonner plus que ça, je ne sais pas pourquoi… Bref, à un moment donné, mon ami Barry, le père de famille, a posé sa tasse de thé sur la table et m'a regardé droit dans les yeux: "Dis-moi, Abdou, pourquoi ce vendredi  est si particulier pour vous chrétiens?"
Pauline— Tu le sais au moins ?
 Abdou— Tu te fiches de moi ou quoi? — Parce que c'est celui qui précède  le dimanche de Pâques…
Pauline— Bien! mais encore…?
Abdou— Mais encore quoi ?
Pauline— Tu ne leur as pas raconté la Passion, je veux dire tout le supplice infligé à Jésus et  son exécution sur une croix ?
Abdou— Si, si… un peu…Mais j'ai surtout parlé des autres acteurs autour de Jésus…
Pauline— Tu veux parler des apôtres ?
Abdou— Non, pas eux, tu sais ce jour-là, les disciples sont pratiquement inexistants…, Juda, lui, s'est déjà pendu, quant aux autres… Non, je leur ai parlé des gens qui avaient véritablement un pouvoir…de décision.
Pauline— Ponce Pilate, le procurateur romain ?…
Abdou— Oui, à commencer par Ponce Pilate. C'est lui qui pousse en effet devant lui le captif flagellé, couronné d’épines, la face déjà griffée par les stigmates de la mort…
Pauline— …Et qui s'écrie en désignant Jésus:
__”Voici l’Homme!
Abdou— Puis Pilate s’en ira laver ses mains!
Pauline— Pilate ne voulait pas livrer le Christ au supplice de la croix, mais il a cru devoir le faire…
Abdou— Tout comme Caïphe, le grand-prêtre, lui non plus ne voulait pas mettre le Christ à mort, mais il a cru qu’on ne lui pardonnerait pas s’il ne le faisait pas…

Pauline— Où veux-tu en venir avec tout ça ?
Abdou— Ce que j'ai dit à mon ami, c'est que pour moi la Passion, le supplice du Christ, c'est un message universel, au-delà de toute confession particulière, car il s’adresse aux bras et aux mains que nous sommes tous, aux bras et aux mains que nous nous contentons d’être, chaque fois que nous obéissons sans exercer notre conscience.

Pauline__ Tu veux dire que la Passion du Christ interroge notre monde sur la responsabilité de ses actes?
Abdou— C'est exactement cela, mais le monde dont il est question ce n'est pas le monde abstrait, ce n'est pas la société en général, non il s'agit de toi et moi, de chacun en particulier dans ses choix quotidiens!
Pauline— Tout cela demande réflexion…Agir en toute conscience…! Désobéir s'il le faut et assumer mon acte en accord avec ma conscience!…
Abdou— Je reconnais la difficulté…Mais comment faire autrement sans se renier soi-même ?

vendredi 25 mars 2011

Citation du jour: Le Néant précède l'angoisse

« Que l’angoisse dévoile le Néant, c’est ce que l’homme confirme lui-même lorsque l’angoisse a cédé. Avec le clairvoyant regard que porte le souvenir tout frais, nous sommes forcés de dire : ce devant quoi et pourquoi nous nous angoissions n’était "réellement"… rien. En effet : le Néant lui-même – comme tel – était là. »
(Heidegger)

samedi 5 mars 2011

Citation du jour

"Une main offerte
C’est un monde nouveau.
Deux bras ouverts
C’est le miracle.


Je te prêterai
Un peu de ma folie.
Enseigne-moi
Un peu de ta sagesse.


Un peu mais pas trop.
Quand tu me verras raisonnable
Si je le deviens jamais,
Rends-moi, s’il te plaît,
Un peu de ma folie.


Empêche-moi de m’éteindre.
Je ne me blesserai pas de tes silences.
Tu respecteras les miens.
Je ne t’assassinerai pas
De « pourquoi ? ».


Tu n’es ni clé ni serrure.
Je ne suis ni charade
Ni question à résoudre.
Tu es toi.
Je suis ce que je suis.


Je ne troublerai pas 
Ta musique intérieure.
Ne dis pas 
Que je fais des fausses notes,
Si je ne pense pas comme toi.


Nous sommes des vivants,
En quête de vivants.


Donne-moi la main.
Je prierai avec toi,
A ma façon.
Pas avec les mêmes mots,
Qu’importe les mots,
Si nous prions ensemble.
L’essentiel
Est dans le désir de prier."

Simone Conduché, La joie, Desclée, 1981

samedi 26 février 2011

La Voie

"Le vaisseau spatial Terre continue à toute vitesse sa course dans un processus à trois visages: mondialisation, occidentalisation, développement.
Tout est désormais interdépendant, mais tout est en même temps séparé. L'unification techno-économique du globe s'accompagne de conflits ethniques, religieux, politiques, de convulsions économiques, de la dégradation de la biosphère, de la crise des civilisations traditionnelles mais aussi de la modernité. Une multiplicité de crises sont ainsi enchevêtrées dans la grande crise de l'humanité, qui n'arrive pas à devenir l'humanité.
Où nous conduit la voie suivie ?
Vers un progrès ininterrompu ?
Nous ne pouvons plus le croire. La mort de la pieuvre totalitaire a réveillé la pieuvre des fanatismes religieux et stimulé celle du capitalisme financier. Elles enserrent de plus en plus le monde de leurs tentacules. La diminution de la pauvreté se fait non seulement dans un accroissement de bien-être matériel, mais également dans un énorme accroissement de misère.
Allons-nous vers des catastrophes en chaîne ?
C'est ce qui paraît probable si nous ne parvenons pas à changer de voie.


Edgar Morin  pose ici les jalons d'une "Voie" salutaire qui pourrait se dessiner par la conjonction de myriades de voies réformatrices et nous conduire à une métamorphose plus étonnante encore que celle qui a engendré les sociétés historiques à partir des sociétés archaïques de chasseurs-cueilleurs." (Quatrième de couverture)


Edgar Morin, La Voie. Pour l'avenir de l'humanité. Fayard, 2011

lundi 21 février 2011

MERCI !

Chers amis,
Du souffle frais et vivifiant, vous m’en avez apporté à profusion ce samedi 19 février,
de quoi remplir mon cœur d’amour et de reconnaissance!
Vous êtes venus nombreux (une invitée, qui s’y reconnaîtra, et dont la foi est manifeste,
m’a suggéré en douce pendant que les invités affluaient de faire un petit miracle:
prier pour que les murs du salon s’étirent! Finalement, je crois que le miracle a bien eu lieu!)
Merci du fond du cœur aux uns et aux autres, à ceux qui pour différentes raisons n’ont pu être de la fête,
comme à ceux qui sont venus, merci pour vos messages pleins d’affection,
pour les cadeaux aussi (j’ai failli écrire des cas dos, non merci mon dos va bien à 65 ans!),
autant de signes d’amitié qui m’ont d’abord, je l’avoue, surpris:
je ne vous apprends rien, on n’est jamais sûr d’être aimé comme il faut,
souvent par mauvaise foi ou parce qu’on a peur de ne pas le mériter!
Par contre on peut être sûr d’aimer quelqu’un
alors que celle/celui-ci continue à demander plus ou moins implicitement qu’on le lui prouve…
Oh là là! Je m’embarque trop loin.
Je veux juste vous dire un grand MERCI!

Je vous embrasse
Alkaly

PS: Plusieurs amis et proches, habitués à partager avec moi des moments heureux et/ ou moins heureux, seront surpris en lisant ces lignes, qu'ils me pardonnent: je n'ai pas réussi à inviter tout mon monde. Nous aurons d'autres occasions de réjouissance ensemble, je le crois.

jeudi 17 février 2011

Et si l'aventure humaine devait échouer…

"Supposition absurde!
L'homme n'occupe-t-il pas le sommet de l'évolution biologique ?
N'est-il pas le seul animal dont la tanière s'éclaire la nuit ?
Le seul aussi qui soit capable d'avoir une histoire et de l'écrire ?
L'antique Serpent nous l'avait promis:
Vous serez comme des Dieux…
Et la puissance, certes, nous l'avons eue, au moins matérielle.
Nous, les rois orgueilleux de la création.
Nous les maîtres d'une terre bordée de nuit…
Mais si l'homme n'a pas la sagesse de respecter la vie, 
le monde ne risque-t-il pas de continuer sans lui ?"


Théodore Monod, Et si l'aventure humaine devait échouer, Grasset, 2000

samedi 12 février 2011

Le jour où ma fille est devenue folle. C'est-à-lire!

"Courant dans le flot des voitures, sûre de pouvoir les arrêter du simple fait de sa volonté… "

Michael Greenberg, Le jour où ma fille est devenue folle, Flammarion

Aujourd’hui pudiquement baptisée trouble bipolaire, la psychose maniaco-dépressive touche, comme la schizophrénie, 1 % de la population…
Lire la suite de l'article ici: http://www.collectifpsychiatrie.fr
Mais surtout procurez-vous le livre!

jeudi 10 février 2011

C'est à lire: Hors champ (1)

"En une semaine, Aurélien, un homme ordinaire, va progressivement disparaître. Il est de plus en plus hors champ, perdant jusqu'à sa voix, son odeur et son ombre.
Au fur et à mesure de cette genèse à rebours, il sort aussi de la pensée et de la mémoire des autres, même de ses proches. Cet effacement intensif s'opère au grand jour, dans l'agitation de la ville, à l'aune de tous ces naufragés qu'on ne regarde plus et qui ne comptent pour personne (…) 


Sylvie Germain, Prix Femina pour Jours de colère, Grand Prix Jean Giono pour Tobie des marais, Prix Goncourt des lycéens pour Magnus, poursuit une œuvre impressionnante de force, de cohérence et d'exigence, interrogeant ici nos peurs et nos doutes sur ce qui fonde notre présente humanité." 
(quatrième de couverture)


(1) Sylvie Germain, Hors champ, roman, Albin Michel, 2009

mercredi 2 février 2011

Ce qui est perdu (1)

Je l’avais choisi pour son style si particulier qui fait penser par moment à l’auteur de “Trois jours chez ma mère”, François Weyergans.
Mais je crois bien que le prétexte du livre aussi m’a séduit, à savoir écrire une "biographie" du philosophe danois Sœren  Kierkegaard, le père de l’existentialisme  et auteur entre autres de “Crainte et Tremblement”(2), et surtout “Le Concept de l’angoisse” (3).
S.K est connu pour sa difficulté à être chrétien et d’avoir rompu ses fiançailles pour des raisons qu’il explicite justement dans Crainte et tremblement.
Dans ce livre, S.K se pose en effet deux problèmes:
 1) Le rapport de l’individu avec le réel.
 2) Le rapport de l'individu avec le temps.
Ces deux problèmes sont liés étroitement, ils renvoient tous deux à la vie même de Kierkegaard, à ses conflits les plus personnels, à sa relation avec Régine:
“Devais-je l’épouser, alors que Dieu a fait de moi sinon un élu, du moins un individu isolé, différent de tous les autres, et quand le mariage aurait été pour elle un malheur ?…Devais-je l’épouser quand je sentais si profondément que, en même temps qu’elle serait devenue ma femme, elle aurait cessé d’être l’idéale jeune fille que j’aimais, pour prendre place dans le réel, tandis que son souvenir seul me serait resté précieux, qu’elle me serait restée précieuse, mais seulement dans le passé ?… Si j’ai assez de foi, si je suis vraiment digne d’Abraham, le père de la foi, oui, je puis épouser Régine; je puis renoncer à elle, et, par un miracle incompréhensible, Dieu me la rendra; ce mariage me sera possible, comme il fut possible à Abraham de retrouver son fils auquel il avait renoncé. Et le temps même sera changé; de telle sorte que je serai au-dessus du temps ordinaire, dans un temps mûri, mais où rien ne passe, et où la jeune fille restera présente dans la femme. Mais suis-je Abraham ?”
 A cette question, Kierkegaard répondra “non”, il n'épousera pas celle à qui il avait donné sa parole et qu’il aimait profondément.
 Lire “Ce qui est perdu” à la lumière de l’histoire de Kierkegaard m’a énormément plu et stimulé. Cela ne veut pas dire qu'il faut nécessairement lire Sœren Kierkegaard pour apprécier ce beau roman, c'est juste un petit plus.

(1) Vincent Delecroix, Ce qui est perdu, Gallimard,2006
(2) S. Kierkegaard, Crainte et tremblement, Aubier, 1946
(3) S. Kierkegaard, Le concept de l'angoisse, Gallimard, 1935



mercredi 26 janvier 2011

Paul Ricœur et l'Essentiel

"(…) contrairement aux apparences, la finitude est une idée abstraite. L'idée qu'il me faudra bien mourir un jour, je ne sais pas quand, ni comment, véhicule une certitude (mors certa, hora incerta) trop flottante pour mordre sur le désir — sur ce que j'appellerai plus loin (en distinguant les deux termes): désir d'être, effort pour exister.
Je sais tout ce qui a été dit et écrit sur l'angoisse du ne plus être un jour. Mais, si le chemin doit être repris de la finitude acceptée, c'est après avoir lutté avec l'imaginaire de la mort dont je n'ai dit encore qu'une figure, l'anticipation intériorisée du mort de demain que je serai pour les survivants, mes survivants.
Une deuxième signification s'attache au mot mort. Le mourir comme événement: passer, finir, terminer. Pour ma part, mon mourir de demain est du même côté que mon être-déjà-mort de demain. Du côté du futur antérieur. Ce qu'on appelle moribond n'est tel que pour celui qui assiste à son agonie, qui peut-être l'assiste dans son agonie (…).
Me penser moi-même comme un de ces moribonds, c'est m'imaginer comme le moribond que je serai pour ceux qui assisteront au mourir. Toutefois la différence entre ces deux situations imaginaires est grande. Assister à la mort est plus précis, plus poignant que simplement survivre. Assister est une épreuve ponctuelle, événementielle. Survivre, c'est un long trajet, au mieux celui du deuil, c'est-à-dire de la séparation acceptée du défunt qui s'éloigne, se détache du vivant pour que celui-ci survive. Mais, enfin, c'est encore pour moi une anticipation intériorisée, la plus terrifiante, celle du moribond que je serai pour ceux qui assisteront à ma mort, qui l'assisteront.
Eh bien! je dis que c'est l'anticipation de l'agonie qui constitue le noyau concret de la "peur de la mort", dans toute la confusion de ses significations empiétant l'une sur l'autre.
C'est pourquoi je voudrais me confronter d'abord avec cette idée de la mort comme agonie anticipée. Pour cela je m'efforcerai de délivrer l'inévitable anticipation du mourir et de l'agonie elle-même de l'image du moribond dans le regard de l'autre. M'y aidera d'abord le témoignage de médecins "spécialisés" dans les soins palliatifs accordés à des sidaïques, des cancéreux incurables, bref, des malades en phase terminale.
Ils ne disent pas qu'il est facile de mourir. Ils disent deux ou trois choses qui me sont très précieuses. D'abord, ceci: tant qu'ils sont lucides les malades en train de mourir ne se perçoivent pas comme moribonds, comme bientôt morts, mais comme encore vivants (…). 
Encore vivants, voilà le mot important.
Ensuite, encore ceci: ce qui occupe la capacité de pensée encore préservée, ce n'est pas le souci de ce qu'il y a après la mort, mais la mobilisation des ressources les plus profondes de la vie à s'affirmer encore. Les ressources les plus profondes de la vie: qu'est-ce à dire ? Ici j'anticipe. Je ne peux pas ne pas anticiper. Car c'est cette expérience qui va m'aider à dissocier l'anticipation de l'agonie de l'anticipation du regard porté par un spectateur extérieur sur le moribond.
L'agonisant comme distinct du moribond. Le fond du fond du témoignage du médecin de l'unité de soins palliatifs est que la grâce intérieure qui distingue l'agonisant du moribond consiste dans l'émergence de l'Essentiel dans la trame même du temps de l'agonie. 
Ce vocabulaire de l'Essentiel m'accompagnera dans toute ma méditation. 
J'anticipe, j'anticipe encore: l'Essentiel, c'est en sens le religieux ; c'est, si j'ose dire, le religieux commun qui, au seuil de la mort, transgresse les limitations consubstantielles au religieux confessant et confessé. Je le dirai assez, je ne méprise pas ce que j'appelle, pour faire vite, les "codes" ; non, mais le religieux est comme un langage fondamental qui n'existe que dans des langues naturelles, historiquement limitées. De même que chacun naît dans une langue et n'accède aux autres langues que par un apprentissage second, et le plus souvent, seulement par la traduction, le religieux n'existe culturellement qu'articulé dans la langue et le code  d'une religion historique ; langue et code qui n'articulent qu'à condition de filtrer, et en ce sens de limiter cette amplitude, cette profondeur, cette densité du religieux que j'appelle ici l'Essentiel.
Cela dit, ce dont témoigne le médecin de l'unité de soins palliatifs, c'est la grâce accordée à certains agonisants d'assurer ce que j'ai appelé la mobilisation des ressources les plus profondes de la vie dans la venue à la lumière de l'Essentiel, fracturant les limitations du religieux confessionnel. 
C'est pourquoi, observe ce témoin, il n'est pas important, pour la qualité de ce moment de grâce, que l'agonisant s'identifie, se reconnaisse — aussi vaguement que le permet la conscience déclinante —comme le confessant de telle religion, de telle confession. 
Ce n'est peut-être que face à la mort que le religieux s'égale à l'Essentiel et que la barrière entre les religions, y compris les non-religions (je pense, bien sûr, au bouddhisme) est transcendée".


Paul Ricœur, Vivant jusqu'à la mort. Suivi de Fragments. Seuil, 2007, pp.40-45

lundi 17 janvier 2011

Citation du jour

"Sans la reconnaissance de la 
valeur humaine de la folie,
c'est l'homme qui disparaît"


François Tosquelles

mardi 11 janvier 2011

Dans le sommeil, quel soi s'y donne à découvrir ?

Abdou:
Sais-tu qui je lis depuis hier ?
Pauline:
Misrahi ?
A.
Non, cherche encore…
P:
Catherine Bergeret-Amselek "La Cause des aînés" ?
A:
Non…
P:
Gabrielle Rubin "Du bon usage de la haine et du pardon" ?
A:
Non, non , tu n'y es toujours pas…
P:
Heidegger "La dévastation et l'attente" ?
A:
 non, pas tu tout. Tu donnes ta langue au chat ? Bon. Pourtant tu l'aimes bien cet auteur…
P:
…!?
A:
Jean-Luc Nancy…!
P:
Ah! j'ai trouvé, tu lis "La déconstruction du christianisme"…
A:
Le vrai titre du livre dont tu fais allusion c'est "La déclosion"(La déconstruction du christianisme). Moi je te parle de "Tombe de sommeil". Ne cherche pas, je sais que tu n'as pas lu celui-ci, bien qu'il soit sorti depuis 2007!
P:
Exact, et que dit-il, pourquoi m'en parles-tu ?
A:
Ecoute, je cite, p.35: "Tout s'égale à soi-même et au reste du monde. Tout se remet à l'équivalence générale dans laquelle un dormeur vaut n'importe quel autre dormeur et tout sommeil vaut tous les autres, quoi qu'il paraisse. Car "bien" ou "mal" dormir ne revient qu'à dormir plus ou moins, de façon plus ou moins continue, plus ou moins perturbée. Les interruptions et les perturbations, y compris celles qui surgissent parfois du sein du sommeil lui-même, comme ces cauchemars qui nous réveillent dans l'angoisse et la sueur, les accidents du sommeil ne lui appartiennent pas."
P:
C'est incroyable…que tu me lises justement ce passage maintenant!
A:
Que veux-tu dire?
P:
A propos d'interruption et de perturbation du sommeil, j'ai vécu cette nuit quelque chose de semblable.
A:
Ah bon ?
P:
Oui, mais tu me promets que cela reste entre nous, c'est très personnel…
A:
Je te promets… sur la tête de ma belle-mère…
P:
Alors je ne te dirai rien…puisque ça ne t'intéresse pas plus que ça.
A:
Bon, blague à part, ça reste entre nous, je t'écoute.
P:
Donc, cette nuit, vers 4h30, je me réveille en sursaut couvert de sueur, pourtant — j'en suis absolument certain — je n'ai pas fait de cauchemars.
A:
C'est bizarre ton truc, tu te réveilles brusquement en pleine nuit sans raison apparente!
P:
Je te dis que oui. Mais pour moi le problème n'est pas là…
A:
Il est où alors ?
P:
Impossible de me rendormir. J'essaie tout ce que je peux, respiration profonde, exercices de relaxation, rien n’y fait. Je décide de sortir du lit et d'aller au salon avec mon oreiller: bien enroulé dans le peignoir, chaussettes bien remontées, je m'allonge sur le canapé.
Mais le sommeil n’est toujours pas au rendez-vous!
A:
Tu m'étonnes!
P:
C’est alors que, instantanément, je me mets à réfléchir à haute voix (c’est quelque chose ça, tu connais peut-être ? sinon essaie tu verras…, moi ça m’arrive quelquefois, surtout dans les moments de crise… d’identité, et apparemment c’est le cas ici!).
A:
Ah! Et que criais-tu ?
P:
Tu ne m'écoutes pas, je n'ai pas dit que je criais, mais réfléchissais à haute voix, ce n'est pas pareil. Bref. "—Je ne suis pas en paix", commençais-je, et le mot qui s’impose juste après c’est celui de “mensonge”! Je me mens à moi-même, continuellement. Je cours sans cesse après quelque chose d’inaccessible, d’inexploitable, le bonheur, la paix, la reconnaissance, le savoir, les éloges…Or, même en obtenant la reconnaissance, même en accumulant le savoir, je reste insatisfait, insatiable…
A:
Continue…
P:
C’est donc que ce que je cherche, fondamentalement, ne se trouve pas au-dehors, dans l’environnement, dans les choses ou les êtres, mais en moi-même, indéniablement!
A:
Très intéressant, continue.
P:
J’ai alors cette conviction forte, que le retour à la source ne peut s’effectuer par le mental, la réflexion. La réflexion aide à la prise de conscience. Le retour effectif à soi est un acte presque physique, de concentration, d’attention…à ce qui se donne dans l’Etre, qui fait signe hors champs mental, en dehors de toute saisie… Je ne sais pas l’exprimer autrement.
A:
Tu m'impressionnes, tu sais! continue…
P:
Au terme de ce lucide mais difficile examen de conscience, je l’appelle ainsi faute de mieux, qui a dû durer une bonne trentaine de minutes sinon plus, je remonte tranquillement dans la chambre où je me rendors aussitôt.
A:
Eh ben! quelle drôle d'histoire! Quelle expérience, surtout!… Tu sais quoi?
P:
Dis toujours…
A:
Ton histoire me fait me poser cette question: dans le sommeil, quel soi s'y donne à découvrir ? Est-ce le même qui échappe à toute saisie ? Qui suis-je une fois endormi ?
P:
Excellente question, on en reparle si tu veux quand tu auras fini de lire Jean-Luc Nancy! Qui sait, peut-être y répond-il ?

dimanche 9 janvier 2011

Citation du jour "Qu'est-ce qu'un vivant ?"

"Qu'est-ce qu'un vivant ?
—Un être qui rencontre et se sépare, mis en demeure, de l'étranger, au lieu même de son retrait, d'être celui à qui quelque chose arrive, celui au jour duquel l'événement se produit mais qui, lui, n'est jamais à jour, parce que toujours exposé au don équivoque (…) de l'inconnu.
C'est parce que vivants nous rencontrons que quelque chose nous est donné, a lieu. "Subitement il est là, comme surgi d'une éruption volcanique, l'inconnu, ce qui n'existe pas pour nous. Nous l'avons comme s'il jaillissait d'un cratère ou comme s'il débordait d'une source qui monte lentement ; comme violence faite ou comme don reçu ; nouveau et unique, un événement arrive."
L'événement est toujours un plus (…), Il est ce qui dépasse. Tout événement est démesure. Aussi a-t-il hanté les penseurs dès l'origine.
Et, avant tout, ceux des événements qui sont les plus originaires et les plus essentiels, puisqu'ils constituent ensemble l'anti-logique du vivant sans lequel rien n'arrive: la naissance et la mort."


Henri Maldiney, in L'Ouvert. Art, clinique et rythme. Revue Henri Maldiney, n°3, 2010, pp.11-12

vendredi 7 janvier 2011

C'est à lire

" Quand je ferme les yeux
c’est encore toi qui rêves derrière mes paupières.
Je n’irai plus pour toi dévaliser la mer
ni faire le marché dans les plis du soleil.
Je n’irai plus pour toi fleurir le nid du cœur
ni ramasser des oeufs qui gisent en débris.
Je reste seul debout sous le mépris du temps
avec ta mort stupide qui enfle dans mon coeur.
Couvert d’ombre et de larmes
je n’y suis pour personne.
Je ne frappe plus aux portes
pour réveiller les hommes.
Mes mains ne servent plus
qu’à chercher ta présence.
Mes mots ne servent plus qu’à dire ton silence.
Tout ce qui manque au monde
y manque plus encore.
Je me perds de vue
comme un vêtement sans
corps."

Jean-Marc La
Frenière, L’autre Versant, Editions Chemins de Plume

 Nous sommes au téléphone depuis une dizaine de minutes, je ne suis pas du tout à l'aise : —Attends s’il te plaît, lui dis-je, donne-moi...