mercredi 31 décembre 2008

dimanche 14 décembre 2008

La Tour de Babel

Préambule:
Nous sommes le 21 octobre 2008.

Il est bientôt minuit. Je viens de lire l'ordre du jour de la pastorale pour demain matin. J'avais oublié que c'est mon tour de conduire la méditation!
Panique à bord. 
"D'où me viendra le secours?", murmurai-je, en pensant à la phrase célèbre du psalmiste.
Le secours me vient, instantanément, de mon blog : en effet, j'ai tout de suite pensé à Babel, un texte écrit quelques semaines plus tôt en référence à une phrase de Baudelaire à propos de la "parole confuse".

Le 22 octobre 2008. Jour J, donc, comme on dit.

Je m'amène avec mon papier et je lis Genèse 11, 1-9. Puis je livre ce qui est censé être un commentaire. Peu d'échos. Quelques regards que j'interprète comme des signes d'acquiescement. Acquiescement à quoi, au juste ? 
Cependant, un ou deux jours après, je reçois un mail de M.H., qui m'oblige à relire Genèse 11 et à remanier mon texte.
Je vous le livre, toujours imparfait. Il n'annule pas le précédent, mais ce n'est pas tout à fait le même texte.

BABEL

Je cite : "La terre entière se servait de la même langue et des mêmes mots. Or en se déplaçant vers l'Orient, les hommes découvrirent une plaine dans le pays de Shinéar et y habitèrent".

Tout est dit. Une langue unique. La terre entière rassemblée comme un seul peuple. Tout est dit, en quelques mots. Tout est là. La suite ne fera que reprendre ce qui est inscrit en filigrane, déjà, dans ces premiers mots. 
D'abord nomades, sans domicile fixe, les hommes finissent par investir un lieu où ils s'installent. La crevasse qu'ils viennent de découvrir va devenir désormais leur lieu d'habitation. Ainsi, de commencement en commencement, au fil des siècles, l'homme n'en finira plus de reproduire cette scène primitive de la "colonisation" des espaces.
Installés, ils vont faire de ce lieu un antre. Ils ne partiront pour l'ailleurs que contraints. Toute immigration serait-elle contrainte?

"Les hommes découvrirent une plaine dans le pays de Shinéar et y habitèrent".  

Et à partir de cette crevasse, ils décident de bâtir une Tour "dont le sommet touche le ciel". 
La conquête de l'espace n'est plus un postulat, c'est un acte fondateur dont la date de naissance est antérieure à la construction même de la Tour . On peut lire dans ce sens l'uniformité de la langue et l'unité revendiquée comme un processus consensuel, nécessaire pour la mise en œuvre finale de ce projet qu'on dirait sorti des studios hollywoodiens: l'ascension et la maîtrise  du ciel…

A force de s'immobiliser dans un parler commun, la tête nous tourne, les muscles peu à peu se raidissent. Bientôt la paralysie de l'esprit de responsabilité et de la créativité. Il faut faire quelque chose et vite, sinon c'est l'atrophie, la mort certaine!
Alors, on cherche. Comme la terre semble limitée dans ses offres, on lève les yeux. Pourquoi pas ? Mais une Tour "dont le sommet touche le ciel", est-ce bien raisonnable ?
Qu'est-ce que c'est que ce phallus terrien qui s'érige ainsi dans le vide ? Symbole de la jouissance de soi ? La jouissance d'un peuple unifié et super-puissant ?

La conquête de la plaine comme fin de l'errance va de pair ici avec celle du ciel projeté comme l'apothéose de l'aventure humaine.
Ne me dites pas qu'ils ne la veulent pas vraiment cette Tour, surtout ne me dites pas que c'est pour passer le temps. Ils la désirent vraiment, pour une raison simple : c'est le seul moyen pour eux, pensent-ils, de rester ensemble toujours, en étant unis (peu importe comment) d'éternité en éternité!
L'auteur prend soin de préciser que tous parlaient la même langue. Parler la même langue c'est penser dans la même langue. Le texte semble suggérer qu'il n' y a pas encore de l'altérité dans cette histoire. Chacun pense comme les autres. La pensée unique, déjà ?

Comment rendre compte dès lors de la spécificité, de la singularité de chaque personne ? Comment reconnaître sa propre différence et l'assumer sans se faire éjecter par la tribu des bien-pensant ou des politiquement corrects ? Comment sortir de l'air du temps pour oser dire, écrire une parole autre, celle qui nomme, dénonce les injustices, les disparités dans un pays, par exemple dit des Droits de l'Homme, comme la France ? 
Une parole d'espérance enracinée —pour les chrétiens— dans l'Evangile et qui s'incarne au jour le jour dans le quotidien, est-ce impossible ?
Cela doit être possible, certains s'y emploient en tout cas, ici et là, avec détermination, par exemple récemment à Nîmes à propos des Centres de rétention! Acte symbolique fort à l'intention des pouvoirs publics mais aussi de tout un chacun.

Les nouveaux locataires de Shinéar, eux, ils n'ont qu'une idée en tête: bâtir cette Tour inimaginable pour sceller la pérennité de l'esprit humain sur la matière, mais pas seulement. Prouesse de la technique certes, mais pauvreté de l'esprit qui ne peut se réaliser que dans le "faire", en négligeant la respiration de la prière qui délimite et restaure la place de la créature devant Celui qui l'a faite, et qui dit quelque part " Celui qui te sauve (de toi-même), c'est moi".

"Faisons-nous un nom afin de ne pas être dispersés sur la surface de la terre".

Un nom! Quel nom ? Celui des hommes et des femmes marqués à vie par le manque originel ? Celui des assoiffés, des chercheurs de sens ? Celui des utopistes ? Celui d'un peuple envahi, à n'en peut plus pouvoir, par le désir de toute-puissance ?
Le nom reste indéfini à ce stade, et il le restera à jamais. Le nom est toujours donné par un autre.
Et c'est ici que l'inattendu se produit : l'entrée en scène de Celui que l'homme ne tient pas, apparemment, à voir s'associer à son œuvre, mais le connaissait-il vraiment ? Peu importe. Dieu "descend" (l'ironie de Dieu est irrésistible, alors que l'homme se fatigue à escalader le ciel, lui, tranquillement, descend sur terre!), s'invite et, voyant cela (l'œuvre de l'homme) décide de les disperser. Il y aurait beaucoup à dire ici, mais passons.

Dispersés, délogés de leur tour (ils s'imaginent y être déjà), ils vont être obligés de faire l'effort d'apprendre la langue de l'autre, réapprendre pour ainsi dire à parler, à se parler, enfin. 
La "confusion des langues", ici, peut être lue comme une dynamique pour se re-tourner vers l'autre, l'Autre
Mais, après l'épisode de Babel, la parole de l'homme, quoi qu'il fasse, restera à jamais une confuse parole, comme dirait Baudelaire, car symbole d'un deuil inachevé, celui de Babel.

Il reste la Parole. Celle de l'Autre, qui raisonne à nos oreilles étonnées (rêvons!) comme une bonne nouvelle : "Je suis le chemin et la vérité et la vie" (Jean 14,6).

lundi 1 décembre 2008

Christiane Veschambre, Les Mots pauvres

"L'autre matin je me suis réveillée muette. Je ne m'en suis pas aperçue tout de suite parce que j'étais seule dans la chambre. Je me sentais heureuse de la journée à vivre. Emplie d'un sentiment de liberté et de légèreté. Je me suis étirée en bâillant, sans bruit, je me suis levée, je suis allée décrocher un vêtement dans la salle de bains et je me suis dirigée vers la cuisine où je t'entendais chanter. J'ai poussé la porte, je t'ai souri, tu m'as appelée par mon nom, et je t'ai répondu par le tien. C'est-à-dire que j'ai ouvert la bouche, j'ai formé avec mes lèvres les deux syllabes aimées, et aucun son n'est sorti. Tu as ri, d'abord, de me voir répéter ma mimique silencieuse, tu t'es avancé vers moi pour me prendre dans tes bras et tu t'es arrêté. Tu m'as demandé ce que j'avais, je n'ai pas pu te répondre. Finalement j'ai pris sur le buffet le papier où on inscrit les commissions et j'ai écrit: "Je ne peux plus parler." Et je me suis mise à pleurer."

Christiane Veschambre, Les Mots pauvres, collection Grands fonds chez Cheyne éditeur, 1996.

Voici ce qu'on peut lire en quatrième de couverture:
"Se réveiller un matin MUETTE, et donc soudain exclue du cours familier des choses, et arrachée pour une grande part au commerce des autres, telle est l'expérience limite que vit la narratrice des Mots pauvres.
Or, loin de l'anéantir, l'événement la renvoie à une solitude essentielle, et comme primitive, au cours de laquelle elle renaît à elle-même, libérée des pièges de l'amour-propre et des masques où l'enfermait jusque-là le souci de paraître, s'ouvrant enfin à un rapport juste et confiant avec le monde. C'est pour elle une véritable initiation, dont elle témoigne au jour le jour dans une sorte de journal intime qu'éclaire la discrète présence de l'homme qu'elle aime, et à qui elle s'adresse en secret.
Dans ce livre tout intérieur, Christiane Veschambre évite la séduction d'une écriture savante et contournée, privilégiant les mots simples d'une confidence pudique."

Christiane Veschambre vit à Paris, où j'ai eu la chance de faire sa connaissance il y a quelques années de cela. Depuis elle nous a régulièrement honorés de sa présence en venant présenter ses livres au Cercle de lecture que j'animais à Villeneuve Saint Georges, dans le Val-de-Marne. Par ailleurs, privilège insigne, j'ai pu pendant un certain temps participer aux ateliers d'écriture qu'elle organisait et continue à animer chez elle. 
J'ai dit que Christiane vit à Paris, je dois ajouter tout de suite et dans la Combraille bourbonnaise dont parlent plusieurs de ses livres. Elle anime à travers la France des ateliers d'écriture auprès de différents publics, participe à des débats et lectures publiques. Co-fondatrice de la revue Land (1981-1984), et la revue de poésie Petite (1995-2005).

Publications récentes, outre les Mots pauvres:
La Griffe et les Rubans, éditions Le Préau des collines, 2002
Haut Jardin (photographies de Jacques Le Scanff), éditions Le Préau des collines, 2004
La Maison de terre, éditions Le Préau des collines, 2006
La Ville d'après suivi de A propos d'écrire, éditions Le Préau des collines, 2007
Robert et Joséphine, Cheyne éditeur, juin 2008. Le texte sera mis en scène à la Scène nationale d'Evreux, par Jacques Falguières.
Vous trouverez dans le numéro 6 de la revue Le Préau des collines un dossier consacré à son travail, en 2003.
Bonne lecture.


mercredi 5 novembre 2008

YES WE CAN !

"Le changement n'arrivera pas en attendant un autre moment ou qu'un autre s'en charge.
Nous sommes ceux que nous attendions.
Nous sommes le changement que nous cherchons."
Barack Obama

Allez, pour une fois, je me laisse aller : la démocratie a du bon! On pouvait en douter avec ses travers, notamment en terme de libéralisme à outrance. 
Mais là, c'est du bon: l'élection de Barack Obama à la présidence des Etats Unis d'Amérique est un événement considérable, historique! 
Qu'est-ce qu'un événement ?
L'événement, selon Derrida, c'est "ce qui arrive" et en arrivant arrive à nous surprendre. Dans un Monde gavé du déjà vu et donc désabusé jusqu'au désespoir, l'avènement d'un homme comme Barack Obama suggère que chacun de nous peut faire que sa propre vie soit un événement au sens de renouveau et d'espoir …    
Je le dis avec toute l'émotion qui m'habite, je suis heureux, en tant qu'Africain, de ce qui vient d'arriver! Evidemment, je le sais, nous le savons tous, la couleur de la peau n'explique pas à elle seule l'élection d'Obama, sinon d'autres l'auraient fait avant lui. Son message et sa manière d'être transcendent la question raciale.
L'expérience d'un événement comme celui-ci nous affecte et, d'une certaine manière, appelle un mouvement d'appropriation, mais qui peut s'approprier une telle victoire ?

mercredi 1 octobre 2008

Citation du jour

"Pour que la pensée se remette en marche, il lui faut d'abord tomber en arrêt, être saisie d'effroi ou d'émerveillement, se laisser ravir, au risque de se perdre. 
Arrêt, relance. Sidération, trouvaille. Torpeur, éveil. Immobilité, mobilité. 
Une pensée qui se voudrait constamment agile, qui ne ferait pas l'épreuve de son échec, une intelligence qui redouterait la bêtise, une parole qui ne serait jamais défaillante ignoreraient ce qui est à l'origine de la pensée, de l'intelligence, de la parole : ce que je nomme le temps de l'infans ou le silence des commencements."
J.-Pontalis Fenêtres, Gallimard, 2000, pp.28-29

vendredi 12 septembre 2008

Citation du jour

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers".
Charles Baudelaire
(1821-1867)

vendredi 22 août 2008

Citation du jour

"Car chacun, chaque homme et chaque femme, à chaque instant de son existence fait l'expérience immédiate de son propre corps, éprouve la peine que lui procure la montée de cette ruelle en pente ou le plaisir d'une boisson fraîche l'été, ou encore celui d'un vent léger sur le visage — tandis que son rapport au corps animal, à celui des infusoires, des crevettes ou des insectes, est d'un autre ordre. Au point que certains penseurs, et non des moindres, ont considéré tous ces êtres vivants autres que l'homme comme des sortes d'ordinateurs qui ne comprennent rien à ce qu'ils font. Quant à appréhender le corps des hommes de cette façon, comme un ordinateur lui aussi, plus élaboré et d'une "génération" plus avancée, cette pensée de plus en plus répandue se heurte à une objection majeure.
C'est ici que se creuse l'abîme. 
Un corps inerte semblable à ceux qu'on trouve dans l'univers matériel —ou encore qu'on peut construire en utilisant les processus matériels arrachés à celui-ci, en les organisant et en les combinant selon les lois de la physique —un tel corps ne sent et n'éprouve rien. Il ne se sent pas et ne s'éprouve pas lui-même, il ne s'aime ni ne se désire. Encore moins sent-il ou éprouve-t-il, aime-t-il ou désire-t-il aucune des choses qui l'entourent.
Selon la remarque profonde de Heidegger, la table ne "touche" pas le mur contre lequel elle est placée. Le propre d'un corps comme le nôtre, au contraire, c'est qu'il sent chaque objet proche de lui ; il perçoit chacune de ses qualités, il voit les couleurs, entend les sons, respire une odeur, mesure du pied la dureté d'un sol, de la main la douceur d'une étoffe. Et il ne sent tout cela, les qualités de tous ces objets qui composent son environnement, il n'éprouve le monde qui le presse de toute part, que parce qu'il s'éprouve d'abord lui-même, dans l'effort qu'il accomplit pour gravir la ruelle, dans l'impression de plaisir en laquelle se résume la fraîcheur de l'eau ou du vent.
Cette différence entre les deux corps que nous venons de distinguer — le nôtre qui s'éprouve soi-même en même temps qu'il sent  ce qui l'entoure d'une part, un corps inerte de l'univers d'autre part, qu'il s'agisse d'une pierre sur le chemin ou des particules micro-physiques censées la constituer —, nous la fixons dès maintenant dans une terminologie appropriée. Nous appellerons chair le premier, réservant l'usage du mot corps au second.
Car notre chair n'est rien d'autre que cela qui, s'éprouvant, se souffrant, se subissant et se supportant soi-même et ainsi jouissant de soi (…), se trouve, pour cette raison, susceptible de sentir le corps qui lui est extérieur, de le toucher aussi bien que d'être touché par lui. Cela donc dont le corps extérieur, le corps inerte de l'univers matériel, est par principe incapable.
(…) Nous voulons parler des êtres incarnés que nous sommes, nous les hommes, de cette condition singulière qui est la nôtre. Mais cette condition, le fait d'être incarné, ce n'est rien d'autre que l'incarnation.
 Seulement l'incarnation ne consiste pas à avoir un corps, à se proposer de la sorte comme un "être corporel" et à ce titre matériel, partie intégrante de l'univers auquel on décerne le même qualificatif .
L'incarnation consiste dans le fait d'avoir une chair — d'avantage peut-être: d'être chair. 
Des êtres incarnés ne sont donc pas des corps inertes qui ne sentent et n'éprouvent rien, n'ayant conscience ni d'eux-mêmes ni des choses. Des êtres incarnés sont des êtres souffrants, traversés par le désir et la crainte, ressentant toute la série des impressions liées à la chair parce que constitutives de sa substance…

Michel Henry, Incarnation, une philosophie de la chair, Seuil, 2000,pp.7-10.

samedi 12 juillet 2008

Citation du jour

"Livré aux seuls gens normaux, le monde n'aurait pas un grand avenir. Cela devrait nous enseigner la tolérance et l'écoute la plus attentive à l'égard des excentriques de toute sorte, inestimables insensés, nos frères, nos semblables. Car c'est aussi par eux, qui se tiennent vaillamment sur les crêtes de la raison, que nous avons tous, peut-être, une chance d'atteindre un jour à l'essentiel".

Michel Braudeau, Six excentriques, Gallimard

Bon été à tous !

jeudi 3 juillet 2008

Ô poésie !

"Et je pourrais
Tout à l'heure, au sursaut du réveil brusque,
Dire ou tenter de dire le tumulte
Des griffes et des rires qui se heurtent
Avec l'avidité sans joie des vies primaires
Au rebord disloqué de la parole.
Je pourrais m'écrier que partout sur terre
Injustice et malheur ravagent le sens
Que l'esprit a rêvé de donner au monde,
En somme, me souvenir de ce qui est,
N'être que la lucidité qui désespère
Et, bien que soit retorse
Aux branches du jardin d'Armide la chimère
Qui leurre autant la raison que le rêve,
Abandonner les mots à qui rature,
Prose, par évidence de la matière,
L'offre de la beauté dans la vérité,

Mais il me semble aussi que n'est réelle
Que la voix qui espère, serait-elle 
Inconsciente des lois qui la dénient.
Réel, seul, le frémissement de la main qui touche
La promesse d'une autre, réelles, seules,
Ces barrières qui poussent dans la pénombre,
Le soir venant, d'un chemin de retour.
Je sais tout ce qu'il faut rayer du livre,
Un mot pourtant reste à brûler mes lèvres.

Ô poésie,
Je ne puis m'empêcher de te nommer
Par ton nom que l'on n'aime plus parmi ceux qui
errent
Aujourd'hui dans les ruines de la parole.
Je prends le risque de m'adresser à toi, directement,
Comme dans l'éloquence des époques
Où l'on plaçait, la veille des jours de fête,
Au plus haut des colonnes des grandes salles,
Des guirlandes de feuilles et de fruits.

Je le fais, confiant que la mémoire, 
Enseignant ses mots simples à ceux qui cherchent
A faire être le sens malgré l'énigme,
Leur fera déchiffrer, sur ses grandes pages,
Ton nom un et multiple, où brûleront 
En silence, un feu clair,
Les sarments de leurs doutes et de leurs peurs…
"Regardez, dira-t-elle, dans le seul livre
Qui s'écrive à travers les siècles, voyez croître
Les signes dans les images. Et les montagnes
Bleuir au loin, pour vous être une terre.
Ecoutez la musique qui élucide
De sa flûte savante au faîte des choses
Le son de la couleur dans ce qui est."

Ô poésie…"

(Yves Bonnefoy, Les planches courbes, Poésie/ Gallimard, 2001, p.p. 77-79)

dimanche 29 juin 2008

Nouvelles du week-end

Comme prévu, Herbie Hancock était au rendez-vous ce vendredi 27 juin aux Jardins de la Fontaine dans le cadre des Nuits des jardins organisées par la Ville de Nîmes et Jazz 70.
Physiquement, Harbie est égal à lui-même, il est apparu en pleine forme et toujours le même sens de l'humour.
Sur scène, le choix du répertoire et l'utilisation du synthétiseur associé au piano m'ont surpris. Par ailleurs, H.B. a peu joué en solo au piano! Un peu frustrant.
Par contre, quelle équipe! Tenez-vous bien: à la basse Dave Holland (ancien bassiste de Milles Davis, et d'autres); à la batterie l'intenable et talentueux Vinnie Colaiuta ; on retrouve à la guitare, paré de sa queue de cheval, le prodigieux guitariste béninois, chanteur-compositeur, Lionel Loueke ; au saxophone (mon instrument fétiche!) l'immense Chris Potter qui nous a littéralement fait vibrer par l'originalité de sa sonorité, par sa phrasée toute singulière et énergique à vous faire balancer dans tous les sens!!!
 Enfin, pour les voix, deux jeunes chanteuses, Sonya Kitchell et Amy Keys, pleines de promesse.
En résumé, une soirée très agréable, malgré mes réserves du début.

lundi 23 juin 2008

Herbie Hancock à Nîmes! C'est le jazz pianissimo! Rare!

Vite, si vous ne l'avez pas encore fait, réservez votre place pour le vendredi 27 juin à 22h. En effet, H. Hancock est l'invité exceptionnel ce vendredi à l'occasion des "Nuits des jardins" (Jardins de la Fontaine) de Nîmes. Je l'ai déjà vu en concert à Paris, ce type est tout simplement génial!
Alors à vendredi ?

dimanche 22 juin 2008

Citation du jour

"Le "détachement", selon Maître Eckhart, poussé jusqu'au renoncement aux projections imaginaires du soi identitaire après la mort propre : le même dans le même temps, celui de ma propre vie avant la mort et celui des survivants qui me survivront : voilà ce qui est à perdre. La mort est vraiment la fin de la vie dans le temps commun à moi vivant et à ceux qui me survivront. La survie, c'est les autres (…). p.76
J'ai été souvent touché par une idée que je crois venir de Whitehead : la mémoire de Dieu. Dieu se souvient de moi. Difficile de ne pas le mettre au futur : Dieu se souviendra de moi. Risque d'en faire une forme hypocrite de la projection imaginaire, de la "consolation" comme concession à l'imaginaire —bref, comme détachement imparfait. 
Apparaît ici, pour la première fois, la question du rapport vertical entre temps et éternité. La phrase "Dieu se souvient de moi" est dite au présent éternel, qui est le temps du fondamental, de l'essentiel. Mais, en raison de la finitude de la compréhension humaine (…), je ne puis que "schématiser" ce présent éternel du souci divin (…). 
Qu'est-ce qui peut m'aider à séparer le "schématisme" du mémoriel divin du détachement imparfait ? Seulement l'idée de la grâce. La confiance dans la grâce. Rien ne m'est dû. Je n'attends rien pour moi ; je ne demande rien ; j'ai renoncé — j'essaie de renoncer! — à réclamer, à revendiquer. Je dis Dieu, tu feras ce que tu voudras de moi. Peut-être rien. J'accepte de n'être plus.
Alors, une autre espérance que le désir de continuer d'exister se lève." 
(Paul Ricœur, Vivant jusqu'à la mort, Seuil, pp.76-79)

mercredi 4 juin 2008

Citation du jour

"Vous croyez perdre votre vie quand vous mourez, 
Alors que vous perdez jamais que ce qui était en trop.
Vous vous lancez dans de grands mots
Vous n'avez pas su nommer les choses d'ici,
Vous n'avez pas vu ! 
Les morts ne quittent jamais que des os.
— Délivre-moi, Seigneur, de l'abondance de paroles 
Dont je souffre à l'intérieur, 
Car ma pensée ne se tait point, 
Lors même que ma bouche se tait.
Nous multiplions les paroles au lieu d'attendre ta parole. 
Quand nous t'aurons atteint, 
Cesseront les paroles que nous multiplions sans t'atteindre !"

Valère Novarina, L'Espace furieux, p. 50-51, édit. P.O.L, 2006

dimanche 1 juin 2008

Dans nos rêves nous faisons parler les autres

"C'est une évidence que lorsqu'on rêve, même si on s'agite un petit peu, la motricité est réduite; quand on dort, on ne parle pas. Sauf parfois lorsqu'on crie dans les cauchemars ou dans les rêves d'angoisse, où on articule quelques mots. 
Mais dans nos rêves nous faisons parler les autres. On entre en conversation avec les morts, avec les disparus. Cela arrive. Moi j'ai même fait parler mon chien ! Parce qu'on dit toujours que les chiens, il ne leur manque que la parole. Il y a un chien que j'aimais infiniment et à qui j'ai donné la parole. Il parlait peut-être un peu mal, il bafouillait… Et je lui disais — parce qu'il m'embêtait alors que j'étais entrain de travailler, pour une fois, et il voulait sortir — je lui disais dans mon rêve:
— "Attends un peu, je finis ce que j'ai à faire, et après on sort, je te promets".
Et vous savez ce qu'il m'a répondu ? Cela m'a vraiment touché…: il m'a répondu :
— "Je ne te crois pas !"

J.-B. Pontalis, in Fenêtres sur l'inconscient (colloque sur l'œuvre de J.-B.Pontalis, sous la direction de F.Duparc) p, 151-152, Delachaux et Niestlé, 2002.

lundi 26 mai 2008

Citation du jour

"Ma grande chance, ce fut peut-être d'avoir toujours plus ou moins su qu'il n' y avait pas à refuser la souffrance. Qu'il fallait lui laisser préparer le terrain où grandirait la joie."
(Charles Juliet)

dimanche 18 mai 2008

Qui parle ?

Maurice Blanchot, ça vous dit quelque chose ?
Quelques titres: Thomas l'Obscur, Faux pas, l'Espace littéraire, Le Livre à venir, l'Entretien infini, l'Attente l'oubli, Celui qui ne m'accompagnait pas, l'Instant de ma mort, La part du feu…
Si le maniement du paradoxe ne vous fait pas peur, si la rigueur et l'exigence d'une pensée de la nudité du langage ne vous font pas reculer, si comme moi vous désirez aborder la chose littéraire autrement que par le biais de l'anecdotique, alors entrez dans l'espace littéraire de Blanchot. 
Au début, je n'y prêtais pas attention, le nom Blanchot apparaissait incidemment mais régulièrement dans mes lectures, au détour d'une phrase, d'un chapitre de Lévinas, Derrida, Nancy et d'autres…
Blanchot m'intriguait et m'attirait à la fois, sans que cependant je fasse le pas décisif vers celui que certains décrivent comme "l'écrivain de la solitude essentielle".
  "Il semble que nous apprenions quelque chose sur l'art, quand nous éprouvons ce que voudrait désigner le mot solitude", écrit Blanchot en ouverture de l'Espace littéraire.
C'est, finalement, Leslie Kaplan dans son excellent ouvrage "Les Outils" (pour penser) qui me donna brusquement envie d'aller voir du côté de celui qui a consacré l'ensemble de sa réflexion à des figures limites de la littérature: Sade, Hölderlin, Rimbaud, Lautréamont et surtout Malarmé, Rilke et Kafka.
Dès les premières phrases, c'est le choc intellectuel: dépaysement total! 
"Ici, et sur cette phrase qui lui était peut-être aussi destinée, il fut contraint de s'arrêter. C'est presque en l'écoutant parler qu'il avait rédigé ces notes. Il entendait encore sa voix en écrivant. Il les lui montra. Elle ne voulait pas lire. Elle ne lut que quelques passages et parce qu'il le lui demanda doucement.
"Qui parle ?" disait-elle. "Qui parle donc ?" 
Elle avait le sentiment d'une erreur qu'elle ne parvenait pas à situer." (L'Attente, l'oubli, Gallimard, 1962, p.7)
Dans ce récit comme dans tous les autres, Maurice Blanchot pose l'acte même de parler, d'écrire (ou de penser) comme une question : "Qui parle?".
Disparition du "sujet" dans le langage ?
"Quand nous parlons, nous nous rendons maîtres des choses avec une facilité qui nous satisfait. Je dis cette femme, et immédiatement je dispose d'elle (…). Pour que je puisse dire cette femme, il faut que, d'une manière ou d'une autre, je lui retire sa réalité d'os et de chair, la rende absente et l'anéantisse. Le mot me donne l'être, mais il me le donne privé d'être. Il est l'absence de cet être, son néant." (La part du feu, Gallimard, 1949)
Comment dépasser les limites du langage, faire sans cesse apparaître ce qui disparaît en le nommant?
 Le questionnement de Blanchot se soucie peu d'aboutir à une réponse, bien au contraire, il débouche souvent sur le paradoxe, sur l'aspect contradictoire de ce qui est en question, sur "l'inconnu comme objet de travail", pour reprendre la belle expression de Marie Depussé (voir réf. Magazine littéraire, ci-dessous, p.57).
Dans un émouvant hommage à l'auteur, disparu en 2003, Leslie Kaplan écrit: 
"J'ai toujours eu le sentiment d'être écoutée par les mots de Blanchot, accueillie, soutenue et poussée en avant. Elle poursuit: "Maurice Blanchot: sa façon précise, particulière, de parler du malheur. "Quelqu'un se met à écrire, déterminé par le désespoir…" Douceur absolue de ce "quelqu'un", douceur qui permet de parler de cette chose brutale: le désespoir. D'en parler et de la transformer en question. Une question qui pourrait être lancinante, torturante, et personne ne peut dire qu'elle ne l'est pas, mais en même temps elle vient d'ailleurs que de soi, d'un lieu large, général, enveloppant, et de cette façon, elle est à la fois exigeante et apaisante. Il me semble que ce qui dans les mots de Blanchot m'a aidée à poursuivre, à avancer, c'est que dans ses mots il ya toujours eu, j'ai toujours trouvé un point d'appui possible, ce qui veut dire: toujours l'aspect double, contradictoire, qui donne une dimension vivante (oui), une tension au désespoir lui-même, qui l'interroge, justement pas en le repoussant, mais en le maintenant, en le relançant, en le transformant en autre chose. "Quelqu'un se met à écrire, déterminé par le désespoir. Mais le désespoir ne peut rien déterminer." (Les Outils, édit. P.O.L, 2003, p.p.82-83)
Peut-être souhaiteriez-vous en savoir d'avantage sur Maurice Blanchot avant d'aborder son œuvre ? Je vous recommande le n°424 du Magazine littéraire (octobre 2003) qui lui est consacré: 4 rue du Texel 75014 Paris, tél. 0140474495.
Sur la toile, ma préférence va aux deux sites: 
http://remue.net/cont/blanchot (hommage collectif à Maurice Blanchot) 
et
 : http://www.mauriceblanchot.net (Maurice Blanchot et ses contemporains).
Bonne lecture!

vendredi 16 mai 2008

Point de suspension!

Demain, c'est promis, j'enlève…le point de suspension.
La bonne nouvelle, du moins pour moi, c'est que j'ai récupéré enfin mon Power Book, autrement dit mon Mac os x 10.4.11, ce n'est pas le tout dernier cri (vous avez vu un peu les prix ?), mais il reste performant, et surtout il fait ce que je veux, pour un narcissique même repenti c'est pas mal, non ?
Plus sérieusement, je réfléchis à la manière de faire évoluer le blog… J'ai quelques idées : photos, vidéos, zoom sur des conférences, expositions, concerts de jazz, films, théâtre, stages…, et toujours et encore des livres!!!
A suivre…
A propos, je viens de me souvenir que le "point" est une "portion d'espace". Ainsi, "faire le point" c'est se repérer en examinant sa situation par rapport aux faits, aux circonstances, à une évolution. C'est ce que je suis entrain de faire par rapport au blog, à son évolution possible. Jusqu'à un certain point, bien entendu. D'où le point de suspension annoncé dans le titre, pour se donner le temps de la réflexion.
A demain donc.

jeudi 1 mai 2008

coucou!

Le blog est momentanément en veilleuse, le temps que mon Mac soit réparé! Et oui, c'est fragile ces engins même hyper sophistiqués. Bon un peu de patience. J'écris ces lignes à partir de l'ordi des enfants.
Si moi je suis bloqué pour le moment, vous, par contre, vous avez toujours libre accès au blog pour vous exprimer. Par exemple que vous inspire le texte sur Naaman le lépreux ? Je suis curieux de vous lire!
Bises
Alkaly

mardi 15 avril 2008

L'histoire de Naaman (2 Rois 5)

D'emblée, je dois vous avouer une chose : j'ai du mal, j'ai toujours eu du mal à commenter la Bible, car chaque fois que j'essaie j'entends comme une petite voix me murmurer: "Comprends-tu ce que tu lis ?"
Et ce que je lis ici c'est entre autres "Va! lave-toi sept fois dans le Jourdain".
Bon, a priori c'est clair, c'est un ordre, mais c'est une parole qui ne me parle pas. Du moins tant que je la lis avec le projet de la commenter. Tant que je la lis en professionnel!
Et néanmoins, comme je ne veux pas perdre la face, je réponds à la voix anonyme: "Oui, je crois que je comprends un peu".
Je peux donc lire ou entendre sans comprendre et néanmoins commenter. Et néanmoins plonger dans l'eau profonde et trouble de la Parole, avec l'illusion d'en rapporter la quintessence, le sens, celui qu'il faut entendre!
Et c'est ici que, personnellement, je commence à bafouiller. Car la petite voix persiste: "Lis-tu seulement ce que tu comprends ou comprends-tu ce que tu lis quand tu lis": "va, lave-toi sept fois"? 
Bafouiller c'est pédaler dans sa salive, c'est barboter dans une espèce de voix boueuse, où mes mots flottent à demi, comme submergés par le doute, comme l'officier Naaman partagé entre le doute et l'espoir au moment de plonger dans l'eau du Jourdain.
Bafouiller c'est aussi un manque d'hygiène: je n'ai pas à l'instant de mots secs, propres à nommer mon expérience, non pas celle du professionnel, mais de simple lecteur concerné par ce qu'il lit. Que sait Naaman, à cet instant, de son expérience ? A l'instant où, ayant lâché prise  il consent à plonger sept fois dans l'eau?
Oubliant ce que je sais ou crois savoir, je m'interroge: Qui parle dans le texte ? A qui s'adresse-t-il ?
Et c'est souvent là où je me réveille, en sursaut. En effet c'est une manie chez moi, je sursaute chaque fois que je suis irrité, et je suis irrité chaque fois que je suis touché. Et cela me réveille, c'est-à-dire me sort du confort de ma neutralité. La parole "Va! lave-toi sept fois dans le Jourdain" me réveille littéralement. Non pas à cause du chiffre sept, chiffre parfait paraît-il, mais à cause de l'adresse.
Qu'est-ce qu'une parole en effet, sinon qu'elle est adressée ? Sinon quand elle me parle ? Et quand la Bible m'adresse la parole à travers un personnage comme celui de Naaman, je ne sais pas pourquoi, elle me renvoie toujours à ma propre expérience de croyant parlant, non pas tout seul, mais avec un autre Naaman, c'est-à-dire un homme en souffrance en quête d'un vis-à-vis, comme P.A.
J'ai rencontré P.A. dans un hôpital psychiatrique. La trentaine, grand, beau. Il ne dit "rien". Il a l'air de tourner en rond. Je suis là depuis un quart d'heure environ. Un surveillant s'approche de lui et lui dit (en me désignant) que je suis aumônier. La petite fille n'avait-elle pas indiqué à Naaman le lieu où il pouvait espérer trouver guérison ?
Alors P.A. est venu vers moi. Je lui ai demandé s'il préférait qu'on aille à l'extérieur? Il a dit "non, on reste ici". On s'est assis à l'écart dans la grande salle (une télé allumée en permanence au fond de la salle).
Comment ça va ?
—Pas fort!
—Que voulez-vous dire ?
—Pas fort, a-t-il répété.
—Voulez-vous qu'on en parle…? (il me fait oui de la tête) Qu'est-ce qui ne va pas ?
—Tout!
—C'est beaucoup "tout".
—Oui, tout.
—Avez-vous besoin de quelque chose là maintenant ?
—Oui, de paix!
—Quand vous dites "paix" vous pensez à quelque chose de précis? (il me regarde comme surpris par ma question). Où la situerez-vous la paix ? Ici, là (je désigne ma tête puis le coeur)?
—Les deux, me répond-il. Et il ajoute d'une voix étrange que je ne reconnais soudain plus: "Que les persécutions s'arrêtent".
—…!? Silence. On se regarde longuement. Vous savez qu'est-ce qui vous persécute ? Est-ce quelqu'un ?
—Oui, quelqu'un me persécute.
—Et vous voulez que "ça" s'arrête…
—Oui. (suit un long silence)
Ses yeux sont fixes et semblent viser un ailleurs dont je n'ai pas accès. Je me rends compte que je ne m'étais pas présenté. Lui non plus. Nous sommes deux inconnus qui se parlent. Je le lui dis en souriant. Histoire de le ramener dans le présent de notre singulière rencontre. Il se présente en ajoutant son nom de famille et le service médical où il est interné. Je comprends qu'il souhaiterait qu'on se revoit. Il me dit à un moment donné: 
—Dieu est amour, n'est-ce pas ?
—Oui, est-ce que vous le ressentez ?
Visiblement, il ne s'attendait pas à la question. On se regarde longuement, en silence! Il y a comme un semblant de complicité entre nous. Je sens que notre conversation touche à sa fin. On se reverra encore les semaines suivantes. Puis un jour, je me présente comme d'habitude au service:
Est-ce que je peux voir P.A. ?
—P.A. est sorti en début de semaine, il va beaucoup mieux!
J'étais à la fois surpris et content pour lui. Mais je ressentis aussitôt une petite déception, j'aurais voulu lui dire au revoir. Mais de quel droit, au fond ? P.A. poursuit son chemin, nos routes se sont croisées simplement.
Comme celles de Naaman et du prophète Elisée. N'en déplaise à Naaman, qui veut faire un cadeau à Elisée, mais une telle rencontre a-t-elle un autre prix que celui de la grâce ?
P.A. a-t-il réussi, comme Naaman pour sa lèpre, à se débarrasser de l'esprit persécuteur qui menaçait son intégrité ? Continuera-t-il à sentir au fond de lui l'amour brûlant et apaisant de Dieu ?
Et moi, lecteur, commentateur, bafouilleur hésitant devant la Parole de Dieu, suis-je sûr que mon souvenir déclenché par elle est un souvenir en tout point fidèle à ce qui est "arrivé" ?
Que mon souvenir ait été investi d'autres significations en le mélangeant avec l'histoire de Naaman, n'en fait pas pour autant un souvenir-écran. Dans ce qui est arrivé, entre P.A. et moi, s'est inséré peut-être autre chose qui nous échappe et qui ne nous appartient pas.

dimanche 13 avril 2008

Encore un rêve!

Décidément! 
Allez-y comprendre quelque chose.
"Je me promène. Il fait nuit. Je ne sais pas où je vais. Au coin d'une rue, alors que j'allais rebrousser chemin, mon attention fut soudain attirée par trois individus bizarrement vêtus que je n'avais pas remarqués. C'étaient Moïse, Elie et Jésus, ils riaient et mangeaient en même temps des fruits déversés la veille sur le trottoir par des agriculteurs en colère. Ils mangeaient et riaient aux éclats, en écoutant Louis Armstrong!
Peu à peu, je vis, venant de je ne sais où, une foule de gens de blanc vêtus envahir la place. Et, comme dans un film de science-fiction, de toutes parts, des arbres géants sortirent du sol, tandis que leurs branches s'entremêlaient au son des rythmes venus des terres lointaines. 
Et la foule, comme un seul homme, chantait en canon le refrain bien connu: 
"ô! Eternel-Dieu, quel bonheur d'être ici réunis, quelle joie de chanter tes louanges ensemble, sans discrimination de race, de religion ou d'appartenance politique!… ô! Eternel—Amour!".
A cette louange unanime, le ciel s'ouvrit et laissa passer des filets d'eau, alors des fleuves aux couleurs arc-en-ciel se mirent à couler et arrosèrent le jardin tout autour duquel nous nous trouvons à présent.
L'un de ces fleuves s'appelait l'Euphrate…
Je reçus, à cet instant précis, une goyave bien mûre dans la bouche, et je vis debout à côté de moi Eve qui souriait! Brusquement, je fus envahi d'un vague sentiment de honte, comme si je nous voyais nus tous les deux pour la première fois…
Aussitôt, je me réveillai en sursaut, suçant mon pouce et avec le mot "liberté" dans la tête!".
Voilà mon rêve.
Peut-être quelqu'un saura t-il l'interpréter?


Citation du jour

"Seule la pensée méditante mérite d'être appelée pensée. La pensée calculante ne pense pas, elle ne laisse pas être".
Martin Heidegger 

jeudi 3 avril 2008

Sarah !

Voici donc mon rêve. S'il vous paraît étrange ou inquiétant, relisez Genèse 18, 1-15.

"J'aperçois, assis sous leur tente, un peu à l'écart d'un groupe de trois hommes , Abraham et Sarah. Il fait chaud.
Une fillette passe en courant, elle crie à la cantonade: "Ils attendent, ils attendent…!".
J'ai compris qu'elle parlait du patriarche et de sa compagne. Mais pourquoi attendent-ils donc, me demandais-je? Comme si elle lisait dans mes pensées, la petite fille, revenue de je ne sais où ni comment, me murmura à l'oreille droite (pourquoi droite?) :"Ils sont très vieux, et ils sont toujours seuls, sans enfant…Non, ce n'est pas tout à fait exact, se reprit-elle, Abraham s'est bien débrouillé avec leur servante Hagar, sur le conseil de Sarah, paraît-il, pour avoir un enfant: il s'appellera non pas Isaac mais Ismaël", conclut la petite fille, qui disparut aussitôt.
Je rêve, ma parole, me suis-je dis: pour rester fidèles à la promesse de Dieu, ces deux-là n'ont toujours pas d'héritier! 
Sarah n'a pas arrêté de rire depuis mon arrivée. Etonné et curieux à la fois, je décide de l'aborder. Mais plus j'essaie de parler plus elle rit. Et plus elle rit, plus son rire me met en joie et plus les mots me viennent comme soufflés par son rire. Et c'est sur ce fond de rire contagieux  que m'est venu spontanément ce qui suit (bizarre, je ne vois plus Abraham dans mon rêve!):
"Sarah, ô Sarah! commençais-je.
Que tu es belle!
Et dire que tu as quatre-vingt dix ans révolus! Comment as-tu fait? conserver une telle beauté à un âge si avancé! Cependant, ce qui me captive le plus chez toi, c'est ton rire…! En effet, au lieu de ton silence habituel (qu'est-ce que j'en sais?), tes mots retenus, étouffés, ton obéissance sans condition…( je projette sur elle), tu as choisi de rompre net tout cela par ce rire qui fera tant réfléchir des générations entières… Un rire entendu: comme si tu disais, "il est quand même buté ce Dieu qui annonce sans sourciller: "Sarah aura un fils!".
Or, selon les sages, physiologiquement, tu n'es plus à l'âge de porter un enfant.
Et tu as ri…
Et ce rire parvient jusqu'à Dieu; et toi, comme un enfant surpris, tu nies sans conviction.
— Tu as bel et bien ri. Ah! ce rire, Sarah!, ton éclat de rire…! C'est peut-être la première fois, après Abraham, qu'un être humain se mesure ainsi à Dieu, en refusant l'illusion.
Peut-être qu'au "catéchisme" (où je vais chercher tout "ça"?) tu as été bourrée dedans, gavée de paroles pieuses. Au lieu d'une "éducation", c'est-à-dire une manière de faire germer, sortir, enfanter à une vie nouvelle, on t'a fait avaler une "instruction" religieuse, sans que tu aies eu le temps ou le pouvoir de la mâcher, de la mastiquer, bref de faire le tri. Au lieu de l'apprentissage de la confiance qui va à la rencontre de la Parole, on t'a asséné des vérités toutes faites (Sarah rit de plus bel).
Mais ce rire, Sarah! ah! ce rire spontané a levé l'obstacle de la fausse humilité et t'a rapprochée de Dieu. Paradoxalement, il rend crédible la promesse d'un nouveau-né.
Et ça ne s'invente pas le nom que vous lui réservez à ce petit "Isaac", ce qui signifie selon les traductions: "Que Dieu rie, sourie, soit bienveillant".
Ton rire est ainsi prémices d'une joie partagée. Et bientôt (comment je sais "ça"?) tu vas jubiler, Sarah! Car cet enfant préfigure l'humanité telle que Dieu la rêve, une humanité habitée par l'Esprit de Dieu, portée par le souci de l'autre, par le devoir de nourrir et d'abriter.
Oui, bientôt Sarah!  Car cet enfant annonce déjà un autre: Jésus! (Yeshoua) qui signifie "Dieu sauve".
Un Dieu qui s'incarne dans le rire pour sauver du désespoir et de la résignation.
A cet instant de mon rêve, je me mets moi aussi à rire."
Mince alors, mon propre rire m'a réveillé…
— Sara, où es-tu ?
Rien n'est perdu: tu m'as transmis ton rire, pour que je le partage!
Rions donc, amis, amoureux de la vie, vous qui consacrez du temps et peut-être votre vie entière à dire l'indicible, à rallumer la vie, à donner du pain à ceux qui ont faim, de l'eau à ceux qui meurent de soif, vous qui visitez les prisonniers, les malades, les désœuvrés, vous qui rassemblez ce qui est désuni, qui osez mettre à part un peu de temps pour penser hors des sentiers battus, qui réfléchissez à des questions dont vous n'êtes pas sûrs, comme Sarah, qu'elles soient réalisables.
Rions donc, amis, comme Sarah, parce qu'une "bonne nouvelle" est d'abord une nouvelle incroyable: c'est trop beau pour être vrai!
Et pourtant: "Y a-t-il une chose trop prodigieuse pour le Seigneur ? Au temps du renouveau, dit l'Eternel, Sara aura un fils".
A propos de Jésus, l'évangéliste Jean écrit: "A ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Ceux-là ne sont pas nés du sang ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu".
N'est-ce pas prodigieux ?
A bientôt, dans une semaine.
En attendant, riez, surtout de vous-mêmes! Ça fait tellement du bien!
Et laissez m'en une trace sur le blog.


mercredi 2 avril 2008

J'ai rêvé de Sarah!

Je vais être absent du blog pendant une semaine, rien de grave : je pars dans un endroit merveilleux, propice au recueillement et au silence! Mais j'y vais pour bosser, ou plutôt faire bosser les autres. 
Vous suivez ? Non ? Ce n'est pas grave.
Mais rien que d'y penser je me rends compte à quel point ce lieu de rendez-vous (je parle du blog) d'un genre singulier m'est devenu familier, attachant…! 
Si bien que je me surprends à penser au blog comme s'il s'agissait de mon enfant (c'est grave, docteur?) : que va-t-il devenir en mon absence ?Serez-vous là pour lui tenir compagnie, lui parler poésie, philosophie…, lui confier des mots d'amour, d'espérance…, et peut-être de protestation aussi ou de révolte? 
Bref, c'est dur de partir sans lui, mais il le faut. 
Et puis, une semaine qu'est-ce que c'est au regard de l'éternité?
Je sais, c'est prétentieux. 
Quoi que…
En fait, voilà, j'oubliais, je ne voulais pas m'arrêter là aujourd'hui, j'étais venu pour confier au blog, et aussi à vous par la même occasion, un soi-disant "rêve", vous voyez, histoire de lui laisser quelque chose à méditer pendant mon absence.
Ici je suis un peu injuste en qualifiant de "soi-disant" ce qui relève effectivement de l'imaginaire, que j'ai conçu comme dans un rêve, quoique éveillé, et dans un mouvement intérieur non maîtrisé, sans retenu, disons.
Seulement, voilà,  il vous faut attendre encore demain. Ce soir, c'est trop tard, il va être bientôt minuit et je sens mes paupières me trahir.
Promis, demain matin avant de partir je vous raconte mon rêve sur Sarah. Vous voyez au moins qui sait, Sarah ? Voyons, l'épouse du "père des croyants", comme on l'appelle: Abraham!
Mais oui, la chère vieille Sarah qu'Abraham appelait "ma princesse". En voilà un autre prétentieux. Non, Sarah, c'est la princesse, un point c'est tout, elle est ton épouse d'accord, mais tu ne la possèdes pas, admets-le père Abraham. C'est pour cela d'ailleurs qu'un pauvre hère comme moi peut en rêver sans culpabiliser.
A demain donc!

samedi 29 mars 2008

Citation du jour

"Oui. On nous oubliera. C'est la vie, rien à faire. Ce qui aujourd'hui nous paraît important, grave, lourd de conséquences, eh bien, il viendra un moment où cela sera oublié, où cela n'aura plus d'importance. Et, c'est curieux, nous ne pouvons savoir aujourd'hui ce qui sera un jour considéré comme grand et important, ou médiocre et ridicule…"
Anton Tchekhov 

jeudi 20 mars 2008

Citation du jour

"Rendre l'autre fou est dans le pouvoir de chacun : qu'il ne puisse pas exister pour son compte, penser, sentir, désirer en se souvenant de lui-même et de ce qui lui revient en propre."
(Harold Searles, L'effort pour rendre l'autre fou, Gallimard)

dimanche 16 mars 2008

Conversation avec Dieu

"J'avais invité Dieu à déjeuner.
— Je ne prends rien, dit-il.
— Ça m'aurait surpris, dis-je.
"Une omelette aux fines herbes!", dis-je au garçon.
— Et si les œufs ne sont pas frais ? dit Dieu.
— Vous devez le savoir, dis-je.
— Oui, dit-il, oui bien sûr.
L'omette arrivait.
— C'est bon, dis-je.
— Ah! dit Dieu, si je pouvais me payer le luxe d'être un homme.
— Qui vous en empêche ? dis-je.
— Ça ne me réussit pas, dit-il. La dernière fois encore, ils m'ont crucifié.
— C'est de votre faute, dis-je. Il faut toujours que vous vous fassiez remarquer.
— On est comme on est, dit Dieu. On ne se refait pas.
— Alors, dis-je, à quoi ça vous sert d'exister ?
— Je ne sais pas, dit Dieu, c'est comme ça. S'il y avait une raison il y a beau jeu que j'en aurais profité pour disparaître.
— Ah oui! dis-je.
— Oh, dit Dieu, c'est tout de même plaisant d'être ensemble.
— Oui, dis-je, mais les œufs ne sont pas frais. Mon foie grince.
— Vous allez peut-être mourir, dit Dieu.
— Ça vous amuserait ? dis-je.
— Non, dit Dieu. Mais je vous envie."
(Pierre Bettencourt, Conversations avec Dieu, éditions Lettres Vives, 2000)
Un tout petit livre de 65 pages, à lire avec modération et beaucoup de recul. 

mercredi 12 mars 2008

Citation du jour

"Les utopies consolent: c'est que si elles n'ont pas de lieu réel, elles s'épanouissent pourtant dans un espace merveilleux et lisse: elles ouvrent des cités aux vastes avenues, des jardins bien plantés, des pays faciles, même si leur accès est chimérique.
Les hétérotopies inquiètent, sans doute parce qu'elles minent secrètement le langage, parce qu'elles empêchent de nommer ceci ou cela, parce qu'elles brisent les noms communs ou les enchevêtrent, parce qu'elles ruinent d'avance la "syntaxe", et pas seulement celle qui construit les phrases — celle moins manifeste qui fait "tenir ensemble" (à côté et en face les uns des autres) les mots et les choses"
Michel Foucault

mardi 4 mars 2008

RdV sur les Ondes

Pour ceux et celles que cela intéresse, je présente le livre de Laurence Cossé "Le Coin du Voile" (Gallimard) sur Radio Alliance 103.1 , ce mardi 04 mars à 17h et à 21h. 
Sinon RdV chaque mois sur la même antenne dans l'émission 7 à voir / 7 à lire. Le prochain livre (je vous le recommande si vous ne l'avez pas encore lu) c'est celui d'Eric-Emmanuel Schmitt "Le Visiteur" publié chez Actes Sud. Et si c'était Dieu, lui-même, sous l'apparence d'un dandy, qui rendait visite au vieux Freud, malade et sur le point de partir en exil à Londres pour échapper aux Nazis ! 
Passionnant, génial, tout simplement!
Allez, à bientôt.

jeudi 28 février 2008

Valère Novarina

Absent du blog depuis une semaine, je m'étais promis d'écrire sur ce qui est présent pour moi depuis quelques jours, à savoir un questionnement (plus ou moins tendu) sur le thème du choix: qu'est-ce qui détermine nos choix ? Peut-on choisir sans risques ?

Mais, sans savoir pourquoi, peut-être pour retarder le moment de l'écriture ou simplement pour me changer les idées, j'ai plongé dans "L'Espace furieux" de V. Novarina. Livre que j'ai commencé depuis longtemps et que je ne suis pas du tout pressé de terminer, et que je lis toujours avec le même dépaysement, le même étonnement et à chaque fois avec autant de plaisir. Je sais, certains de mes amis n'aiment pas Novarina, ils le trouvent hermétique, trop abstrait (et pourtant, ils continuent à le lire!). Moi, j'aime la musique de ses phrases, le côté absurde aussi des choses de la vie qu'il décrit avec une certaine délectation…

Bref, en lieu et place de ma propre réflexion, je cours le risque (non calculé) de vous donner à lire un passage de L'espace furieux. C'est mon choix du jour, et j'en profite pour vous inviter à vous procurer le livre aux éditions P.OL. 

"Le temps n'a plus aucun instant à passer avec nous. 
La vie n'a plus aucun instant à penser à nous. 
Même le présent n'a plus le temps d'être avec nous. 
Le futur est arrivé sans qu'on prenne garde à soi. 
Passé s'est terminé sans qu'on ait su pourquoi. 
Il faut que je me crève en rêve quelque chose dans la tête que j'ai en trop depuis le premier instant de ma pensée émise. 
Si quelqu'un venait, dans moi, à ma place, je ne serais pas digne de lui lacer ses souliers.
 J'hésite à partir d'ici. 
J'arrive plus à mettre les pieds hors d'ici. 
Les plafonds sont au sommet. 
J'arrive plus à mettre les deux pieds dans la même mentalité. 
J'arrive plus à mettre mes pensées en idées. 
Mes deux pensées pensent, chacune de son côté. 
J'arrive plus à garder les mains à la place du tronc. 
Ma tête est imminente. Je vais passer lui laisser la suite…"

jeudi 21 février 2008

Citation du jour

"Comme c'est curieux! on est conduit, on ne conduit pas. Je ne suis qu'un serviteur."
(Henri Matisse, Ecrits et propos sur l'art, Paris, Hermann, 1972, p.272)
 
"On ne conduit pas"!
Cela donne envie de visiter la Chapelle de Vence où Matisse, aux dires de certains, ouvre la peinture à l'expérience qui "ne saisit rien", où rien ne se retient. 
Nous sommes ici dans le don.
Point de poids à porter! 
On laisse venir ce qui vient ou être ce qui est.
Et ce qui vient alors, ce qui naît du pinceau de l'artiste, s'appelle l'inattendu! 
L'oeuvre d'Art!
Tiens!
"Comme c'est curieux! on est conduit, on ne conduit pas…"



mise à jour du blog

Depuis hier le blog connaît un certain dysfonctionnement suite à une manipulation hasardeuse. j'espère y remédier avant la fin de la semaine.

lundi 18 février 2008

l'amitié

"Celui qui voit sent qu'il voit, celui qui écoute sent qu'il écoute, celui qui marche sent qu'il marche, et pour toutes les autres activités il y a quelque chose qui sent que nous sommes en train de les exercer de sorte que si nous sentons nous nous sentons sentir, et que si nous pensons, nous nous sentons penser, et cela c'est la même chose que se sentir exister: exister signifie en effet sentir et penser.
Sentir que nous vivons est doux en soi, puisque la vie est par nature un bien et qu'il est doux de sentir qu'un tel bien nous appartient.
Vivre est désirable, surtout pour les gens de bien, puisque pour eux exister est un bien et une chose douce. En con-sentant, en "sentant avec", ils éprouvent la douceur du bien en soi, et ce que l'homme de bien éprouve par rapport à soi, il l'éprouve aussi par rapport à son ami: l'ami est en effet un autre soi-même". (Aristote)

Merci à vous tous, amis! Pour mes 62 ans, j'ai été bien gâté. Des mails, des texto, des coups de fil, des cadeaux, et j'en passe, car il y a eu aussi une petite fête rue Rabaut Saint Etienne, et  je me suis senti, littéralement, exister, tellement c'était doux et bon! Et vos retours semblent confirmer qu'il en a été aussi de même pour vous!
Pour prolonger ce doux bonheur, je vous recommande un petit bouquin qu'une amie m'a offert récemment, devinez le titre: L'amitié, de Giorgio Agamben, Rivages poche, 2007.

jeudi 14 février 2008

Le plaisir d'écrire à partir des écrits des autres

Roland Barthes, dans La Préparation du roman (Cours et Séminaires au Collège de France 1978-1980, éditions Seuil, 2003) dit que le premier moteur de l'écriture est la lecture: on écrit parce qu'on a lu et certains textes sont venus s'adapter à notre désir. 
L'auteur poursuit: "Je veux m'ajouter activement à ce qui est beau; l'oeuvre de l'autre passe en moi, je veux la faire autre, la déformer".
Ces Cours sont, en quelque sorte, une réponse à la question qui a toujours accompagné Roland Barthes, à savoir: face à l'intraitable réalité, la littérature est-elle possible?
Chaque fois que nous écrivons nous répondons, à notre manière, à cette question.

mercredi 13 février 2008

Citation du jour

"L'idée de ne vivre subjectivement que dans le présent semble contraire à l'intuition. Par exemple, devant le souvenir d'un événement passé, on est légèrement surpris de se rendre compte que l'expérience du souvenir se passe maintenant.
Nous re-vivons peut-être quelque chose, mais nous le re-vivons maintenant. Nous sentons intuitivement que nous n'avons pas effectué de retour en arrière. Même le récit d'un événement antérieur de quelques minutes se passe maintenant. Un récit est une expérience située dans le présent, bien qu'il renvoie à un moment présent qui s'est produit dans le passé.
Nous nourrissons des attentes à propos de l'avenir, mais elles sont également vécues maintenant. On peut en dire autant des fantasmes, des rêves et des révisions après les faits".
(Daniel N. Stern)

dimanche 10 février 2008

Quand Michel Henry conduit à Maître Eckhart

C'est à Sylvie que nous devons ce lien fort heureux et qui demande qu'on s'y arrête dès maintenant. 
Le thème de l'auto-affection cher à Michel Henry conduit Sylvie, par association, directement au "détachement" terme forgé par Maître Eckhart, que l'on peut traduire aussi par "déprise","abandon" ou "laisser-être. 
Michel Henry ( 1922—2002) est phénoménologue. 
Maître Eckhart (1260—1328), est à l'origine de ce qu'on appelle la "mystique rhénane".
Le premier est considéré comme l'un des plus grands penseurs français de la seconde moitié du XXe siècle, le second a influencé et continue de fasciner non seulement des lecteurs occasionnels ou connaisseurs avérés, mais aussi des oeuvres majeures de la tradition spéculative —mystique et /ou philosophique, pour ne citer que quelques noms: Nicolas de Cues, Angelus Silesius, Hegel, Jung, Heidegger, Bataille…

A l'appui de la remarque de Sylvie, à savoir que chez M. Henry la vie, c'est "ce qui s'auto-affecte", voici une citation tirée de son livre postume Phénoménologie de la vie ( collection Epiméthée, Puf, 2007, p.49):
"La vie se sent, s'éprouve elle-même. Non qu'elle soit quelque chose qui aurait, de plus, cette propriété de se sentir soi-même, mais c'est là son essence: la pure épreuve de soi, le fait de se sentir soi-même. L'essence de la vie réside dans l'auto-affection".

A ce propos, un de mes amis, Claude, m'écrit pour souligner l'intérêt qu'il y a pour les aumôniers hospitaliers à lire Michel Henry: sa réflexion peut nous aider à comprendre "la façon dont le patient, à partir de son expérience et de son ressenti intérieur, son vécu de conscience, exprime, quand il est écouté, sa perception de la souffrance et de la douleur. Cette expression singulière le concerne dans son intériorité: il peut douter de beaucoup de choses, mais pas du fait qu'il souffre. Il peut douter de beaucoup de choses, mais pas des effets en lui des discours ou des paroles qui lui sont adressées".

L'auto-affection renvoie à la fois à notre expérience intime et, de manière plus large, au mouvement même de la vie, ce qui transforme l'individu en même temps " qu'il résulte de lui comme son oeuvre propre".

Dans un entretien publié dans la revue Autre Sud ( n° 11, décembre 2000) Michel Henry revient sur ce mouvement essentiel de la vie, qu'il définit par un autre terme, celui "d'auto-donation" : 
—"…il existe une puissance fondamentale qui est la vie, car la vie est auto-donation. (…) je ne me suis pas créé moi-même, je suis venu dans la vie et ce n'est pas moi qui ai accompli cette venue, ce serait une erreur de croire que je la dois à mes parents qui sont exactement dans la même situation que moi. La venue d'un Soi en lui-même présuppose une réalité qu'on appellera métaphysique ou absolue qui me place dans cette condition privilégiée qui est la mienne, à savoir d'être un vivant. Si la vie est devenir, c'est parce qu'elle se situe à cette jonction que nous sommes. Nous ne sommes pas seulement des vivants et des êtres finis, mais nous sommes des vivants qui vivons d'une vie infinie qui nous fait vivre à chaque instant. La raison d'être de notre vie est d'accueillir en nous cette vie et de vivre d'elle, ce qui peut se faire de multiples façons, dans l'effort de la création, dans la solitude des cloîtres ou dans la simplicité du dévouement". 

Ainsi, "l'auto-affection" est comme une matrice originelle et invisible qui fonde mon être : elle s'exerce toujours par et dans une profonde affection (ou donation) au double sens du terme, à la fois l'affection par soi et le fait de se laisser affecter par toutes les autres consciences auto-affectées que "l'amitié attire", sans pour autant dépendre d'elles.

Dans un autre entretien (cf. Entretiens, Sulliver, 2007, p.153), M.H précise : 
"Si la seule vie qui existe est la vie absolue qui s'apporte elle-même en soi et si c'est elle par conséquent qui me donne à moi-même, alors il est vrai que la vie, telle que la pense une phénoménologie radicale de la vie ressemble à l'absolu des mystiques au point peut-être de s'identifier à lui."
 Cette dernière citation nous replace au coeur du commentaire de Sylvie, et du rapprochement des deux thématiques qu'elle opère, à savoir l'auto-affection d'un côté et le détachement de l'autre. 
L'auto-affection renvoie à la vie en tant que fondement originel et en tant que réalité infinie à laquelle on ne peut rien ajouter ou retrancher. 
Le détachement, tel que développé dans le petit traité qui porte le même nom, fait appelle aussi à cette dimension, en tant qu'il indique une "présence à soi-même", un parfait reposer-dans soi, dans le retrait à l'égard du "monde", mais surtout une reconnaissance de soi, "un laisser-être-soi-même sans ajout d'aucune sorte". 
Il ne s'agit aucunement là d'une attitude ascétique ou volontariste, comme le souligne fort justement Gwendoline Jarczyk (cf. Maître Eckhart, Du Détachement et autres textes, édit. Rivages poche) mais d'une liberté "essentiellement de vide, de "sans-prise" réelle sur quoi que ce soit d'autre que ce qui est, — "ce qui est" étant le tout-originaire sans ajout d'aucune sorte".

Il y aurait encore à pousser plus loin les points de convergence entre ces deux penseurs de grande envergure. Peut-être l'un de vous se sent-il disponible et compétent pour cela, qu'il n'hésite pas à nous faire partager le fruit de ses recherches. 
Quant à moi, j'aurai d'autres occasions de parler de l'un ou de l'autre. En tout cas, grâce à Sylvie, nous avons déjà de quoi méditer, mastiquer et peut-être rêver aussi !
Bonne semaine à tous.
 

samedi 9 février 2008

Vos réactions!

Vous êtes déjà quelques uns à réagir sur le blog. Ça devient intéressant, stimulant même. En effet, vos réactions m'encouragent à poursuivre ce qu'il faut bien appeler une nouvelle aventure, celle de la pensée interactive, celle de la virtualité du désir individuel et collectif, grâce à vos réactions justement. 
Le blog est un espace propice au "dévoilement de soi". Avec le risque qui va avec : jusqu'où aller et comment y aller sans se renier, sans dépasser une certaine limite, sans céder à la facilité et à la tentation de plaire coûte que coûte? C'est tout le défi de l'exercice!

En lisant et relisant vos commentaires, voici ce qui m'est venu, ce sont en grande partie vos propres termes, je vous les rends puisqu'ils m'ont nourri! Je vous les rends mastiqués, digérés et donc quelque peu reconstruits.

Illusion, que la course contre le temps!
Oublier, pour ne rien ressentir? 
Mourir en se dépêchant ? Vide !
Crainte-ennui-fuite! Vacillement !
Oui mais … créativité-choix : agir et prendre le temps en le perdant, pour rien.
Flottement, retour à soi, sortie de l'ennui ?
Confrontation à soi, émotions, solitude peut-être…
Oui, mais…peu importe, du moment que la possibilité d'exister nous excède,
Du moment que nous est révélée la dimension profonde de notre expérience :
La surprise de l'inattendu, le parfum de la grâce!
L'émergence du nouveau, la conscience du moment présent.
Où est le présent?
Maintenant!
L'acceptation de ce qui est, ici-maintenant! 
Prendre. Donner. Inversement.
Du temps pour chaque chose.

Merci à Jean-Pierre, Renée et Lauriane, et mes encouragements anticipés aux futur bloggeurs! 

jeudi 7 février 2008

Découvrir Michel Henry

"L'histoire d'un homme, les circonstances qui l'entourent, est-elle autre chose qu'une sorte de masque, plus ou moins flatteur, que lui-même et les autres s'accordent à poser sur son visage — lui qui, au fond, n'a aucun visage? Vous observerez que je suis né dans un pays lointain. C'est ce qu'on m'a dit. Mais ce pays n'est-il pas "plus loin que l'Inde et que la Chine"? Pour moi, je suis né dans la vie, dont personne n'a encore trouvé la source sur quelque continent".
(Michel Henry)

A ceux que la philosophie ne rebute pas, je vous recommande de lire Michel Henry, phénoménologue de la vie (et chrétien). Il nous pose, à nous ses contemporains, la question qui mérite le plus d'être posée: "Qu'est-ce que cela que nous appelons la vie?"
Deux livres abordables et qui donnent la mesure de la profondeur de sa pensée:
1. Entretiens, éditions Sulliver, 2007
2. Voir l'invisible—sur Kandinsky, éditions François Bourin, 1988, réédition augmentée PUF coll. "Quadrige" 2003

 Nous sommes au téléphone depuis une dizaine de minutes, je ne suis pas du tout à l'aise : —Attends s’il te plaît, lui dis-je, donne-moi...